Présentation
Le développement du numérique, sous l'impulsion de différents acteurs, ainsi que ses implications dans les territoires et les modifications des comportements qu'il induit, donnent lieu à des discours et des réactions qui divergent souvent de manière fondamentale. Considéré comme étant à l'origine d'une « troisième révolution industrielle » ce « passage » au numérique amènerait un ensemble de transformations se situant dans un registre similaire au passage de l'oral à l'écrit, puis de l'écrit à l'imprimé. Or, si les mutations sont à l'évidence de grande ampleur, les implications sont diverses, contradictoires et difficiles à cerner : mondialisation et relocalisation de l'économie ; désintermédiation et émergence de nouvelles médiations ; reconfiguration des espaces publics et privés ; exigence de privacy et exploitation généralisée des données personnelles par les GAFAM ; annonce d'une société de la connaissance et fake news ; gouvernance « augmentée » et contrôle algorithmique ; arrivée de nouveaux entrants tels que les médias alternatifs, mais aussi de nouveaux monopoles ; économie « immatérielle » ou « virtuelle » et nouvel extractivisme (métaux rares, toxiques, consommation d'énergie et de matière) ; nouvelles formes de travail « libéré » (tiers-lieux, nomadisme, capitalisme cognitif) et de précariat (ubérisation, digital labour, micro-travail). Autant d'éléments dont les registres pluriels laissent entendre la richesse des enjeux et des problématiques soulevés, à tous les niveaux des sociétés contemporaines, mais aussi la nécessité de construire une critique collective, transdisciplinaire et engagée.
Les travaux sont désormais très nombreux, tant sont divers les domaines touchés. Etant capables de faciliter l'intelligence collective, les nouveaux outils numériques sont aussi susceptibles de générer une « bêtise systémique », que ce soit à travers « l'automatisation des existences » qu'ils produisent (Stiegler, 2015) ou l'accélération de la destruction écologique du monde, pour ne prendre que quelques exemples. Le déploiement numérique s'est accompagné de discours sur l'émergence d'une nouvelle forme d'intelligence collective qui n'était pas dénuée de fondements. Mais l'omniprésence récente du thème du smart (smart city, smart nation, smart grid etc.) ramène « l'intelligence » à une formule incantatoire recouvrant diverses tentatives généralement technologiques de transformation et de contrôle des territoires. La soutenabilité des systèmes numériques, la mise en place de nouveaux oligopoles technologiques contraignants, des distorsions majeures dans l'économie et l'écologie de l'attention : autant de phénomènes potentiellement destructeurs de l'intelligence (individuelle et collective) et de la planète. Si l'on réfute une approche purement computationnelle, systématisée et automatisée de l'intelligence, comment faut-il l'approcher ? Dans quelles conditions le collectif peut-il devenir porteur d'intelligence ? L'usage du numérique change-t-il les données du problème ? Comment ? Dans quelles proportions ? Le rôle du numérique a été souligné dans des événements politiques tels que les révolutions arabes, les mouvements « Occupy », les gilets jaunes, etc… ; est-ce à dire qu'il a été un ingrédient nécessaire, sans lequel ces événements n'auraient pas pu se produire ? André Gorz évoquait le numérique comme une technologie-carrefour (1983, 2003, 2008), susceptible de permettre une réappropriation de l'outil de production, pensé comme fondamentalement hétéronome : doit-on le suivre ?
Ce colloque sera donc le moment de réfléchir à l'entrelacs entre différentes strates problématiques de la « numérisation du monde », sans négliger un élément central : toutes ces intelligences ont toujours besoin d'exister d'une manière ancrée, ce qui nous conduit à mettre en évidence le concept de territoire. Celui-ci ne sera pas entendu au sens simplement physique, mais aussi écologique, administratif, politique, éthique et existentiel (Guattari, 1989), de l'ordre du milieu (Berque, 2000) ou du transindividuel (Simondon, 2017). Il s'agira donc d'explorer ces nouveaux territoires et leurs intelligences (à l'aide des outils de l'architecture, de l'urbanisme et du design) pour aller au-delà des smart territories, au sens plat et « bête » de déploiement massif de toutes sortes de devices numériques. L'objectif de ce colloque est de nous permettre de mieux nous positionner dans ce vaste champ de recherches académiques et industrielles en nous appuyant sur une multitude d'expériences, compétences, expérimentations qui viendront de cette communauté critique que nous souhaitons contribuer à faire émerger.
Le colloque se donne une dimension inaugurale, dans la mesure où il aspire à être la première étape en vue de la constitution d'une communauté épistémique internationale et transdisciplinaire sur le sujet.
Programme
Jeudi 26 Mars
(Gaîté lyrique)
8h30 : Accueil des participants / Café
9h30 : Introduction
Manola Antonioli - LAA UMR 7218 LAVUE CNRS/ENSAPLV
Antonella Corsani - IDHES UMR 8533/ISST-Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Fabrice Flipo - Laboratoire de Changement Social et Politique EA7335-Université de Paris/Institut Mines-Telecom BS
9h45 : Peau planétaire. Sensibilités cartographiques/expériences incarnées
Guest speaker : Brian Holmes - Artiste et chercheur indépendant
Session N°1 - Numérique et territoires : entre dispositifs de contrôle et appropriations créatives
10h30 : Ouverture et modération
Manola Antonioli et Gabriel Périès - Lynx-Ecole Polytechnique/Institut Mines-Telecom BS
La Banque des Territoires : enjeux, actions et questions autour de la transition numérique des territoires français
Bastien Champion - Investisseur Senior dans les infrastructures numériques à la Banque des Territoires
Chloé Friedlander - Chargée de mission Smart City à la Banque des Territoires
11h10 : Habiter l'extérieur comme un intérieur. Réflexions à partir du parc climatique de Taichung
Caroline Laurent - Centre d'anthropologie sociale/Université Toulouse Jean Jaurès
21°C partout dans le monde, ou le conditionnement smart des existences
Fabienne Martin - CNRST-LISST
11h40 : Pause
11h50 : De l'enthousiasme technologique à la sociologie impliquée
Guillaume Drevron - LASUR-EPFL Lausanne
12h20 : Questions/Débat
12h40 : Pause déjeuner
14h00 : Vigilance et attention
Elsa Novelli - Université Lyon III
Des systèmes de surveillance dans la ville : une analyse organologique de leur fragilité et de leur nécessaire dépassement
Claude Paraponaris - Ars Industrialis et CNRS-L LEST/Université Aix-Marseille
Table ronde - La Smart city, entre utopie et dystopie
14h30 : La Smart City, entre services et unité de contrôle, quelle(s) évolution(s) pour la mobilité urbaine ?
Meryam Benabdeljelil - LAA UMR 7218 LAVUE CNRS/ENSAPLV
Emergence et “Elégance”, au-delà du formalisme paramétrique
Maxime Geny - LAA UMR 7218 LAVUE CNRS/ENSAPLV
La transformation numérique des organismes d'habitat social dans un contexte de ville intelligente : une utopie ?
Antoine Gherardi - LEMNA-IMT Atlantique
15h15 : Pause
Session N°2 - Territoires intelligents et pratiques de la conception
Modération : Manola Antonioli et Maryse Carmes - Dicen/CNAM
15h30 : Des sociétés de contrôle aux territoires apprenants ; penser les enjeux politiques des technologies numériques
Anne Alombert - IRI Centre Pompidou/Université Paris Nanterre
16h00 : Smart City/Intelligent Citizen
Colette Tron - Auteure et critique, directrice artistique d'Alphabetville
16h30 : Penser comme une ville
Carola Moujan - Ecole Camondo
17h00 : Pause
Table ronde - Conception et créativité
17h15 : La né-cécité logique et l'outil machinique en architecture
Florence Astrié - LAA UMR 7218 LAVUE CNRS/ENSAPLV
Les bâtiments se construisent-ils comme les bases de données ?
Emilien Cristia - UMR MAP 3495
Concevoir, construire et habiter une maison individuelle : solutions et questionnements liés à l'innovation digitale
Luisa Salieri - Laboratoire Sociologie et Anthropologie, Université de Bourgogne Franche-Comté
Automatiser l'organisation et le marché : quelle créativité à l'ère du capitalisme numérique ?
Jean-Sébastien Vayre - UMR 7321/Université Côte d'Azur
18h00 : Questions/Débat
18h30 : Les fablabs dans un contexte African. Le cas du wakatlab
Guest speaker : Gildas Guiella - Cofondateur et président de « OuagaLab » Ouagadougou, Burkina Faso
19h30 : Fin de la 1ère journée
Vendredi 27 Mars
(Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne salle 1)
9h00 : Récalcitrances juridiques au nouveau “réalisme algorithmique”
Guest speaker : Antoinette Rouvroy - Laboratoire de recherche Namur Digital Institue, Centre de recherche Information, Droit & Société/Université de Namur-Belgique
Session N°3 - Mobilisations et déterritorialisations
9h30 : Ouverture et modération
Monique Selim - CESSMA et Wenjing Guo - CESSMA
Table ronde - Activismes globalisés entre féminismes et mode
9h30 : How the internet advocacies construct the new feminist subjects ?
Quanting Ke - Chercheuse indépendante
L'activisme numérique dans la mode : l'essor d'un nouveau paradigme ?
Margaret Lolley - Chercheuse indépendante
Social media and social change : public advocacy on masturbation discourses proliferation in China
Yuxin Pei - Sun Yat-sen University, Chine
Table ronde - Mobilisations politiques entre dé- et re-territorialisation
11h00 : Le G8 de Gênes 2001 : contestation et révolution technologique
Benedetto Luigi Repetto - CHCSC-UVSQ/Paris Saclay
L'image numérique de la révolution tunisienne
Samir Zogbi -Laboratoire Philip/Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis
Table ronde - Management des subjectivités et optimisation des multitudes
11h30 : La fin du probable à l'âge des data
Dominique Deprins - ULC Louvain/Saint-Louis de Bruxelles
Globaliser et optimiser le soin par la numérisation et l'automatisation ?
Sonia Desmoulin-Canselier - Laboratoire Droit Social/UMR 6297 CNRS
Le rejet du droit dans la culture numérique
Jérôme Valluy - Costech-UTC/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
12h30 : Questions/Débat
13h00 : Pause déjeuner
Session N°4 - Digital Labour et mutations du travail à l'ère numérique
14h00 : Ouverture
Antonella Corsani
Digital labour et plateformisation du travail
Modération : Marc Loriol - CNRS-IDHES/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
14h10 : Platform work as the commodification of social reproduction
Guest speaker : Ursula Huws - Université de Hertfordshire, UK
14h40 : Considérations sur les youtubers brésiliens et le travail à l'ère numérique
Giulianna Bueno Denari - LEST-M, Universidade Federal de São Carlos, Brésil & LISE/CNAM
15h00 : “Call-Box” et “pap padap” : l'informel au service des opérateurs de l'économie numérique au Cameroun et en Haïti
Bengie Alcimé - LCSP/Université de Paris
Alain Boutchang - LISE/CNAM
15h20 : Digital platforms and the resistance of precarious subjectivity. The co-research in the mobilisation of Foodora's freelancers
Emiliana Armano - Università di Milano, Italie
Daniela Leonardi - Università di Milano, Italie
Annalisa Murgia - Università di Milano, Italie
15h40 : Questions/Débat
16h10 : Pause
Nouveaux dispositifs de contrôle, nouvelles stratégies d'autonomie
Modération : Marie-Christine Bureau - LISE/CNAM et Nicole Maggi-Germain - Directrice ISST/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
16h20 : Los wearables y su implementacion en el entorno laboral
Olga Garcia Coca - Universidad Pablo de Olivade, Sevillade, Espagne
16h40 : Le droit français et l'automatisation des décisions : de la défiance originelle à un outil de lutte
Liane Huttner - IRJS/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
17h00 : Diffusion des makerspaces : enquête sur deux lobbies du “Faire”
Flavie Genatio - PACTE/Université de Grenoble-Alpes
17h20 : Faire disparaître le travail : faire disparaître l'extraction. De l'évanouissement des frontières laborales à l'euphémisation de l'hétéronomie
Guest Speaker : Patrick Cingolani - LCSP/Université de Paris
17h50 : Questions/Débat
18h20 : Pause
18h30 : Computation, or the end of modernity
Guest Speaker : Mario Carpo - Reyner Banham Professor of Architectural History and Theory, the Bartlett School Of Architecture/UCL London
19h30 : Fin de la 2ème journée
Samedi 28 Mars
(Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne salle 1)
Session N°5 - Ecologie politique et sobriété numérique
9h00 : Ouverture
Fabrice Flipo
Modération : Camille Rondot Gripic, CELSA Sorbonne-Université
9h15 : Quel avenir pour le numérique dans l'anthropocène ?
Alexandre Monnin - Origens Medialab/ESC Clermont
Sophie Quinton - INRIA
9h45 : La décroissance comme retour au raisonnable versus le virtuel comme aboutissement du rationnel : l'exemple de la ville
Guest Speaker : Serge Latouche – Université de Paris Sud
10h15 : Smart cities : a sustainability paradox
Guest Speaker Pushpa Arabindoo - University College London
10h45 : Questions/Débat
11h00 : Pause
Modération : Maura Benegiamo - Collèges des Etudes Mondiales
11h15 : Geek heresy, Rescuing Social Change from the Cult of Technology
Guest Speaker : Kentaro Toyama - School of information at University of Michigan
11h45 : Le numérique dans la perspective de l'économie-écologie-monde
Fabrice Flipo - LCSP/IMT-BS
12h05 : Sobriété(s) numérique(s) : pratiques et représentations de la sobriété autour de deux applications mobile “écolos”
Lorreine Petters - Université de Rouen Normandie
12h25 : Questions/Débat
12h45 : Pause déjeuner
Session N°6 - Communs et communication
14h00 : Ouverture et modération
Haud Gueguen - CRDT EA 4132/CNAM
Pierre Sauvêtre - SOPHIAPOL EA 3932/Paris 10
14h10 : Quels communs pour une démocratie numérique ?
Guest Speaker : Clément Mabi - Costech/Université technologique de Compiègne
14h40 : L'action sociale à l'épreuve de la financiarisation et l'alternative des communs sociaux
Lisiane Lomazzi - CRICIS/UQAM Montréal
15h00 : Pour une généalogie critique du Commun
Marco Assennato (ACS UMR AUSser 3329 CNRS/ENSA Paris Malaquais
15h20 : Questions/Débat
15h45 : Pause
16h00 : Architectures distribuées de l'internet : les “nains” du réseau et l'opportunité du commun
Guest Speaker : Francesca Musiani - CIS/CNRS
16h30 : Les hétérotopies du ''faire'' numérique
Pierre Le Quéau - UMR PACTE 5194 CNRS/Université Grenoble-Alpes
16h50 : Images communes : ce que le post-media fait au cinéma
Gala Hernandez - ESTCA/Université Paris 8
17h10 : Questions/Débat
17h30 : Clôture du colloque
Evénement ouvert au public, dans la mesure des places disponibles.
Inscriptions conseillées : https://cra.sciencesconf.org/registration
Site internet du colloque : https://cra.sciencesconf.org
Colloque international organisé par l'Institut des sciences sociales du travail (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et l'IDHES, avec l'Institut Mines Télécom.