La construction européenne ou la promesse d'une paix durable. Aujourd'hui, celle-ci semble vaciller face aux multiples menaces qui la mettent à l'épreuve. Elles sont à la fois internes et externes. La montée des populismes, les crises multiples, le basculement de démocraties vers une forme « illibérale », le Brexit provoquent des crispations au cœur de l'Union européenne. La guerre en Ukraine, les poussées migratoires, les attaques terroristes l'obligent à réagir pour préserver une paix acquise de longue date mais toujours fragile.
A l'issue de la Seconde guerre mondiale, le continent européen est exsangue. Il n'a plus les moyens de prendre seul en main la question existentielle de son unité et de sa cohérence. Tiraillé entre les puissances américaine et soviétique, il sort du conflit coupé en deux. Se font face les blocs de l'est et de l'ouest que tout oppose : deux systèmes de valeurs, deux modèles économiques, deux visions stratégiques. A peine revenue, la paix est déjà éprouvée.
A l'est, Staline impose le glacis territorial censé protéger l'URSS. Les pays « satellites » de Moscou embrassent à marche forcée l'idéologie communiste, sous la menace des chars de l'Armée Rouge. La Hongrie, lors de l'insurrection de Budapest en 1956 ; la Tchécoslovaquie, lors du Printemps de Prague en 1968, sont alignées au prix du sang. Annexés, les anciens Etats baltes se révoltent à plusieurs reprises jusqu'au milieu des années 1950 et subissent le même sort.
Priorité absolue à l'ouest, la paix se fonde sur les valeurs démocratiques, les libertés retrouvées et la réconciliation franco-allemande. Les pères fondateurs de la construction européenne, Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi, Paul-Henri Spaak, Jean Monnet et Robert Schuman ont pour point commun d'avoir vécu le passage du XIXe au XXe siècle et son cortège de tragédies. A leurs yeux, la paix ne peut s'installer durablement qu'à la condition d'unir les Etats. Les nations toutes puissantes ont provoqué le chaos et deux guerres mondiales. Il est donc impératif de ne pas retomber dans le piège du nationalisme. La souveraineté des Etats doit céder du terrain. Cette idée déjà avancée dans les cercles paneuropéens de l'entre deux guerres alimente la réflexion des pères fondateurs et s'amplifie avec l'organisation de grands rassemblements fédéralistes comme le Congrès de l'Europe à La Haye de mai 1948.
Alors que la paix est portée par le vent du fédéralisme, Jean Monnet imagine une formule où s'équilibrent le pragmatisme et l'ambition. Conscient de l'illusion d'une construction fédérale classique qui conduirait à renier la souveraineté multiséculaire des Etats, il propose d'en inverser le processus. Le 9 mai 1950, Robert Schuman présente ce plan dont l'enjeu stratégique est basé sur l'impératif de paix. Le début du discours donne le ton : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent ». Le constat est lucide : « L'Europe n'a pas été faite, nous avons eu la guerre ». Le point de départ sera économique : « L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d'abord une solidarité de fait ». Les surplus de production de charbon et d'acier font craindre, en France, un redressement économique trop rapide de l'Allemagne. Ce secteur est alors placé au cœur d'une futur Communauté supranationale. Avec le traité CECA du 18 avril 1951 les Européens peuvent préserver la paix en fédéralisant l'économie de la guerre. Son préambule reproduit à l'identique la première phrase du Plan Schuman.
La guerre froide expose rapidement l'Europe occidentale à la menace soviétique. Le 28 septembre 1948, le Premier ministre belge, Paul-Henri Spaak, affirme sans détour à la tribune de l'ONU : « La base de notre politique c'est la peur ». La paix nécessite la mobilisation de moyens de défense. Signé par la France, le Royaume-Uni et le Benelux, le traité du 17 mars 1948 instituant l'Union occidentale comporte une clause de défense mutuelle. Cette dernière permet aux Etats membres de répondre collectivement en cas d'agression armée. Encore faut-il en avoir les moyens.
Les Européens savent qu'ils n'ont guère le choix. Leur sécurité ne peut être assurée que par la superpuissance américaine. Le 4 avril 1949, l'OTAN est créée pour les protéger de la menace soviétique. L'article 5 du traité de l'Atlantique Nord reprend le principe de la clause de défense mutuelle. Le 19 août 1949, l'URSS procède à son premier essai nucléaire. L'OTAN devient incontournable.
Très rapidement, la mutation politique de la construction européenne est mise en chantier. Le 27 mai 1952, le projet de Communauté européenne de défense se donne pour premier objectif de « contribuer, en coopération avec les autres nations libres, et dans l'esprit de la charte des Nations unies, au maintien de la paix, notamment en assurant contre toute agression la défense de l'Europe occidentale, en étroite liaison avec les organismes ayant le même objet ». Le 30 août 1954, la France rejette pourtant ce texte dans lequel se dessinait un embryon d'armée européenne. Outre le tumulte de la vie politique française de la IVe République, le contexte géopolitique a changé. La menace soviétique recule sensiblement. Arrivé au Kremlin le 14 septembre 1953, Nikita Khrouchtchev a fait le choix de la détente. L'orientation de la nouvelle doctrine de la politique étrangère soviétique a pris le chemin de la « coexistence Pacifique ».
Néanmoins, la menace soviétique demeure. Au début des années 1980, la crise des euromissiles le rappelle aux Européens de l'ouest. La fin de la décennie est marquée par la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989. Le plus grand bouleversement géopolitique de la fin du XXe siècle est en marche. Le 25 décembre 1991, l'URSS disparaît, laissant place à une Fédération de Russie affaiblie. Les Etats satellites se tournent vers l'ouest et plusieurs Républiques soviétiques, dont l'Ukraine et la Géorgie, prennent leur indépendance. La guerre froide est alors, pour un temps, remisée aux chapitres des livres d'Histoire.
Pourtant, la paix va reculer. L'effondrement de l'URSS provoque celui de la Yougoslavie. La poudrière des Balkans s'enflamme. Ce pays situé au cœur du continent européen sombre dans la guerre civile. La Communauté européenne est prise de cours. Faute de diplomatie commune, elle montre l'étendue de son impuissance. Le traité de Maastricht du 7 février 1992 institue alors une Union européenne qui se dote d'un volet diplomatique : la politique étrangère et de sécurité commune est destinée à renforcer « l'identité de l'Europe et son indépendance afin de promouvoir la paix, la sécurité et le progrès en Europe et dans le monde », formule reprise par les traités suivants et celui de Lisbonne.
Les grandes étapes de la construction européenne montrent que la paix demeure la priorité. Si l'on met de côté les conflits liés à la décolonisation, aucun Etat européen devenu membre de la Communauté, puis de l'Union européenne n'a subi de véritable guerre sur son sol. Depuis plus de 70 ans et le traité CECA, l'Europe connait sa plus longue période de paix. Cette victoire ne doit pas faire oublier sa fragilité face aux crises internes et externes.
Le 24 février 2022, l'invasion de l'Ukraine a fait entrer la menace russe dans une nouvelle dimension, laissant peu de place aux discours de paix. Le jour de cette attaque, le Conseil européen a pris la décision de sanctionner Moscou. Le lendemain, le haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrel, a déclaré : « L'Europe ne pourra gagner cette confrontation sans apprendre à parler le langage de la puissance ». Le 28 février, un tabou est tombé lorsque la présidente de la Commission européenne, Ursula van der Leyen, a annoncé le déblocage de 450 millions € pour livrer des armes à l'Ukraine. Jugée « obsolète » par Donald Trump en 2017 et en état de « mort cérébrale » par Emmanuel Macron en 2019, l'OTAN apparaît plus que jamais vitale pour notre sécurité. Le budget de la défense a été doublé en Allemagne et a désormais franchi la barre symbolique des 2 % du PIB, conformément aux exigences formulées par les Etats-Unis depuis 2014. Le péril russe sur la paix en Europe ressuscite les peurs que les Européens connurent lors des heures les plus sombres de la guerre froide.
Comme souvent, concernant les commémorations européennes, les 60 ans des CDE sont l'occasion de bilans, d'interrogations, de critiques. Aussi le colloque organisé par le CDE de Tours, l'IRJI François-Rabelais de Tours et l'IDPS de l'Université de la Sorbonne Paris Nord, en partenariat avec la Commission européenne, interroge le rapport de l'Union européenne à la paix dans ses différentes dimensions, ses garanties, les menaces qui la visent. Cette manifestation scientifique se donne pour objectif d'offrir des outils de compréhension, de susciter la réflexion au travers de contributions et de débats animés par les spécialistes des disciplines juridiques et politiques ainsi que les acteurs de terrain.
Calendrier prévisionnel PAXA EUROPA
- 20 janvier 2023 : Lancement de l'appel à contributions du colloque Paxa Europa
- 30 mars 2023 : Date limite de réponse à l'appel à contributions du colloque
- 15 avril 2023 : Annonce des contributrices et contributeurs retenus au colloque
- 9 mai 2023 : Lancement de la communication officielle des 60 ans des CDE (communication par la Commission européenne elle-même, par les 20 CDE français et par le coordinateur CDE de chacun des 26 Etats-membres)
- 9 mai 2023 : Lancement de l'appel à candidatures du Prix de thèse spécial 60 ans des CDE décerné par la Commission européenne (pour des thèses soutenues sur le thème de la Paix)
- 10 juin 2023 : Clôture de l'appel à candidatures du Prix de thèse spécial 60 ans des CDE
- 15 septembre 2023 : Réunion du Comité d'attribution du Prix de thèse et sélection du lauréat et des deux vice- lauréats (Prix de thèse en Droit, Sciences Politiques, Géographie, Sociologie, Géopolitique, Sciences économiques, etc ...et en Sciences Humaines)
- 8 novembre 2023 : Congrès annuel des CDE, des Teams Europe, des Maisons de l'Europe
- 8 novembre 2023 : Début de la semaine de programmation cinématographique des Studios sur la Paix (une ouverture de cette semaine est envisagée avec la participation de la Ministre de la Culture, franco-libanaise, ayant fuit le Liban du fait de la guerre)
- 9 novembre 2023 : Colloque PAXA EUROPA
- 9 novembre 2023 : Attribution du Prix de thèse spécial 60 ans des CDE décerné par la Commission européenne (Josep Borrell, Haut Représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, a été sollicité)
- 10 novembre 2023 : Colloque PAXA EUROPA
- 10 novembre 2023 : Salon des éditeurs juridiques francophones France, Suisse, Belgique) en droit européen et des éditeurs francophones souhaitant promouvoir leurs ouvrages publiés sur la paix
- 14 novembre 2023 : Fin de la semaine de programmation cinématographique des Studios sur la Paix
Axes des communications
Axe n° 1 : La paix en Europe : dimension matérielle
PESC, PSDC, terrorisme, Balkans, Russie, Afrique, droits humains, démocratie, solidarité, crise migratoire, histoire, idées politiques…
Axe n° 2 : La paix en Europe : dimension organique
- Organes de l'Union européenne : haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Conseil européen,
- Conseil de l'Union européenne, Parlement européen…
- Organes nationaux : chefs d'Etat et de gouvernement, ministres des Affaires étrangères, chancelleries, défense…
- Organes d'organisations internationales : Conseil de sécurité, Assemblée générale de l'ONU, organes de l'OTAN…
Axe n° 3 : La paix en Europe : dimension normative
Traité de Lisbonne, textes internationaux, nationaux
Axe n° 4 : La paix en Europe : dimension opérationnelle
Opérations de la PSDC, opérations extérieurs, opérations onusiennes, otaniennes…
Information pour l'ensemble des candidats à la contribution
A ce stade, le nombre de contributions n'est pas définitivement arrêté. Selon celui-ci, certaines propositions retenues ne pourront faire l'objet d'une présentation orale lors du colloque. Elles seront néanmoins publiées.
Bien entendu, les contributeurs dont les propositions de contribution seraient retenues uniquement pour la publication pourront assister à la manifestation en étant exonérés des droits d'inscription.
Eléments de programmation
Dates
Colloque Pax Europa : 9 et 10 novembre 2023
60 ans des CDE : 8-9-10 novembre 2023
Lieu
Salle Thélème
3 Rue des Tanneurs - 37000 Tours
Direction scientifique
Pierre-Yves MONJAL & Nicolas CLINCHAMPS
Contacts : pymonjal@mac.com - nicolas.clinchamps@univ-paris13.fr