Assecurare. Contrat d’assurance et gestion du conflit du Moyen Âge à nos jours

Appel à communication

Assecurare. Contrat d’assurance et gestion du conflit du Moyen Âge à nos jours

Colloque international, Université Panthéon Sorbonne, 20-22 avril 2022

Date limite le mercredi 01 déc. 2021

L'assurance est, par excellence, la technique de gestion des risques. L'histoire du contrat qui en est le principal instrument, en matière maritime comme pour les assurances terrestres, a déjà fait l'objet de nombreux travaux. De récentes recherches ont ainsi mis en lumière les étapes de sa construction  jurisprudentielle  et législative. Parmi les champs de recherche qui mériteraient d'être davantage explorés, celui de la gestion des conflits est particulièrement pertinent, en tant que mécanisme constitutif de l'assurance. Outre la résolution des conflits classiques qui relèvent des ordres juridictionnels traditionnels (judiciaire, administratif…) ce secteur a été confronté à des conflits de législation et de répartition de compétences juridictionnelles, mais il présente aussi une prédisposition au recours aux modes alternatifs de règlement des conflits. Le droit des assurances, plus que tout autre et avec succès, a massivement emprunté les voies alternatives. Il semble ainsi que s'observe une continuité entre l'objet de la technique assurancielle et les modalités de traitement des différends que cette dernière suscite. L'objectif de ce colloque est de s'interroger sur la réalité historique de cette continuité. Trois axes d'études peuvent être privilégiés.

 

 

1. Le conflit comme risque

Lorsque le monde médiéval commence à développer ses activités de navigation, les juristes recherchent dans le droit romano-canonique des instruments juridiques immédiatement utilisables pour en encadrer le recours. Le prêt à la grosse aventure est, en effet, conceptualisé à partir du Nauticum foenus romain. Dans leur lutte contre l'usure, les canonistes, à l'instar de Thomas d'Aquin ou encore Olivi, rechercheront également des instruments pertinents. La démarche intellectuelle et la réflexion doctrinale des auteurs mériteraient d'être mises en valeur, autant pour la France que pour l'Italie (Bernardin de Sienne, P. Santerna, B. Bosco, etc.). Par ailleurs, il serait particulièrement bienvenu d'interroger un très ancien mécanisme, encore bien trop peu étudié : l'asseurement. Il s'agit, au Moyen Age, d'un serment d'assurance prêté devant médiateurs, par lequel un justiciable renonce au droit de vengeance (guerre privée) et s'oblige à ne plus commettre d'hostilité à l'encontre d'une personne déterminée. Cette dernière jouit alors d'une garantie formelle selon laquelle elle se verra indemnisée à la suite d'éventuels dommages. Cette paix qu'une sauvegarde formalise peut être assimilée à une assurance particulière. Il est possible d'envisager l'asseurement en tant que pratique sociale de pacification des rapports. Il semblerait également pertinent de l'aborder sous l'angle doctrinal ; si Philippe de Beaumanoir, dans les Coutumes de Beauvaisis, et Jean Boutillier dans la Somme rurale en évoquent les contours, l'Eglise, dans sa lutte contre le sang et la violence, a également participé à en construire le socle théorique.

Mais c'est entre les XVIe et XXe siècles que la doctrine va véritablement conceptualiser le contrat d'assurance et en faire évoluer la nature afin de l'adapter aux besoins de la société. Initialement considéré comme un contrat commercial et maritime, il tend rapidement à devenir un contrat terrestre qui, depuis la loi de 1930, se rapproche du contrat de consommation. Des études portant sur les réflexions d'auteurs autant français (notamment Du Moulins, Pothier, H. Capitant, Planiol, Lyon-Caen), qu'étrangers ou sur des controverses doctrinales seraient particulièrement bienvenues.

Par-delà le cas de la législation française de l'assurance, il serait très intéressant de faire un focus sur une approche comparée des droits (cf. la fonction des sociétés de droit comparé avec leurs bulletins et revues créées durant la seconde moitié du XIXe siècle tant en France, qu'en Allemagne et en Angleterre). La comparaison s'avère stimulante pour évoquer la diversité, les pratiques de règlements des conflits (à cet égard une étude de la jurisprudence serait également bienvenue) et pour mieux comprendre aussi l'ambition d'unifier le droit. Compte tenu de l'inventaire des législations, existe-t-il à partir d'une analyse et d'une interprétation raisonnée un type prédominant qui puisse servir de modèle dans une perspective d'entente internationale ? Par ailleurs, la place de l'Etat dans la gestion des conflits assuranciels doit être aussi interrogée. C'est ainsi qu'en Allemagne véritable modèle assuranciel depuis ses grandes lois sociales des années 1880-1890, l'Office impérial des assurances chargé d'assurer une surveillance générale sur l'ensemble des activités de l'assurance, mais encore de trancher les conflits auxquels ce fonctionnement peut donner lieu, constitue un exemple pertinent de l'ancrage historique du contrôle étatique dans la gestion des conflits. L'Etat s'est aussi manifesté à l'occasion de conjonctures de guerre (Grande Guerre, guerres coloniales, par exemple) notamment au sujet du droit à la réparation (dommages), de la dualité de droit applicable dans le risque de guerre / risque de mer, ou de la question des contrats d'assurance en déshérence plus particulièrement à la suite des déportations durant la Seconde guerre mondiale...

 

2. Le traitement arbitral

En matière d'assurance, l'arbitrage jouit encore aujourd'hui d'une faveur certaine. Ce mode de régulation s'entend d'une institution de justice privée grâce à laquelle les litiges sont soustraits aux juridictions de droit commun, pour être résolus par des individus ayant en la circonstance reçu mission de les juger. Quelles sont les promesses de l'arbitrage en matière d'assurance ? Quels en sont les écueils ?

Il est nécessaire d'effectuer un sondage historique de ce phénomène sous l'Ancien Régime, des « hommes honnêtes » ont souvent eu la charge de la gestion du conflit en matière d'assurance. Il peut être pertinent de s'intéresser aux personnes chargées de traiter le contentieux, lesquelles varient selon les époques. Des études sur les acteurs régulateurs du conflit et sur les controverses doctrinales quant à leur rôle sont les bienvenues. Ces études peuvent notamment porter sur les juges consulaires, sur les négociants et sur les marchands spécialisés dans le commerce maritime à qui incombe la charge d'arbitrer, mais également sur les amirautés qui réclament cette charge, l'obtiennent puis la perdent au gré des évolutions législatives. Il semble pertinent d'étudier la clause compromissoire, tantôt exclue, tantôt reconnue, tant en pratique qu'en doctrine. Des études sur la concurrence entre la compétence juridictionnelle de droit commun et le recours à l'arbitrage sont les bienvenues. Très tôt, la doctrine moderne (Vallin, Pothier, etc) défend le caractère facultatif de l'arbitrage, tandis que d'autres le reconnaissent comme systématique.

La question de l'arbitrage est essentielle puisqu'elle résulte aussi très directement du développement commercial et international de l'assurance qu'accompagne l'essor de la réassurance grâce à la technique de la division et de la répartition géographique des risques. Depuis l'époque moderne les traités de réassurance contiennent une « clause d'arbitrage » qui expriment formellement l'intention des parties de résoudre des contestations et des conflits qui se produiraient à l'occasion du contrat « plutôt en équité qu'en droit strict ». Par ailleurs, afin de mieux adapter le droit maritime à l'essor commercial et permettre l'élaboration de règles communes visant une meilleure régulation, des organisations transnationales ont joué un rôle essentiel en marge des institutions étatiques classiques. Les liens transnationaux se sont notamment construits dès la fin du XIXe siècle autour de l'une des plus anciennes organisations : le Comité maritime international qui travaille en étroit rapport avec The Maritime Committee of the International Law Association. Les réseaux ainsi constitués associent de nombreux acteurs : juristes, armateurs, chargeurs, assureurs, banquiers... Il serait sans aucun doute stimulant d'éclairer ce moment essentiel de la première globalisation avant 1914 qui voit le passage de la méthode de régulation judiciaire classique des conflits privés transfrontaliers à un arbitrage commercial international  / arbitrage privé international (cf. l'établissement à Paris en janvier 1923 de la Cour d'arbitrage de la Chambre de commerce international : quelle a été son impact en matière assurancielle ?). L'internationalisation a modifié le droit des affaires puisque des clauses types (d'exclusion notamment) pour les transactions internationales apparaissent dans les contrats d'assurance. Sur l'aspect international de l'arbitrage, il serait utile d'en évoquer les enjeux : reconnaissance entre pays des clauses compromissoires, reconnaissance puis exécution entre pays des sentences arbitrales. Cette reconnaissance mutuelle pose aussi la question prégnante de la souveraineté des Etats plus que la question d'une "justice privée". D'où l'utilité d'évoquer les relations entre histoire institutionnelle des relations entre acteurs privés, réseaux d'experts et organisations multilatérales (transnationales). Enfin, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, la construction de l'Europe de l'Assurance avec la création à Rome en 1953 du Comité européen des assurances, puis de l'Association internationale du droit des assurances en 1960 à Luxembourg, doivent inciter à approfondir le champ comparatif, le rôle des juristes (A. Besson, A. Donati, notamment) et les travaux sur l'harmonisation des législations européennes de l'assurance qui se singularisent encore dans la seconde moitié du XXe siècle par de fortes disparités y compris en matière de gestion des conflits.

 

3. Le traitement alternatif de règlement des conflits

Le colloque a pour objectif d'élargir le spectre de la gestion des conflits en s'intéressant au traitement alternatif de règlement des conflits, particulièrement développé dans les pays de Common Law. Il prend son essor en France au début du XXe siècle dans le cadre institutionnel administratif pour s'étendre à partir de 1957 à la sphère juridictionnelle. La doctrine s'interroge aujourd'hui sur la signification technique et théorique du recours à la médiation en matière d'assurance. Cette dernière a pour objet de parvenir à un accord amiable entre les parties, grâce à l'intervention d'un tiers qualifié. Si jusqu'à la fin des années 1980, le secteur des assurances, ne semble pas manifester beaucoup d'intérêt pour les expériences étrangères en matière de médiation (pays Scandinaves, Grande- Bretagne, Pays-Bas, Suisse…), il a toutefois été précurseur pour ce qui concerne la médiation institutionnelle. En 1989 le Groupement des entreprises mutuelles d'assurance GEMA répond favorablement à l'incitation de la direction des Assurances (ministère de l'Economie) pour une médiation visant à rationaliser le traitement des réclamations des assurés. Mais c'est en 1993 que les principaux groupements professionnels de l'Assurance (FFSA pour les compagnies d'assurance et sociétés d'assurance mutuelle, GEMA pour les mutuelles sans intermédiaires et Groupama pour la mutualité agricole) se réunissent au sein du Comité de liaison de l'Assurance afin de répondre à la proposition du Conseil national des assurances de créer un système de traitement des réclamations et de médiation organisé par la profession en adoptant un dispositif d'ensemble (charte et protocole de médiation).

Les procédures à l'œuvre présentent cependant des particularismes qui font apparaître des rapprochements entre médiation (judiciaire, institutionnelle…), conciliation, transaction, expertise et arbitrage, voire une forme de syncrétisme entre ces dispositifs pourtant distincts. Une réflexion sur les précédents historiques, notamment doctrinaux, serait probablement bienvenue, d'autant que depuis leur essor au XIXe siècle, les acteurs économiques que sont les entreprises d'assurances et les assurés ont généré de très nombreux contentieux, procédures traditionnelles, amiables ou judiciaires. Répondre aux attentes des assurés, améliorer l'image d'une profession et des cultures d'entreprises, représentent aussi des thématiques sur lesquels il conviendrait d'enquêter davantage.

 

Les trois grands axes thématiques qui structurent les objectifs scientifiques du colloque doivent ainsi guider les propositions de contribution. Elles pourront prendre les formes suivantes : une étude d'acteurs spécifiques ; une analyse de cas pratiques ; un examen du rôle de telle ou telle institution ou organisation, qu'elle relève d'un cadre national, international ou transnational. L'ambition pluridisciplinaire et comparée du colloque doit permettre aussi un dialogue fructueux entre disciplines, notamment juridique et historique.

 

 

Propositions de contribution

Les propositions de contribution (environ 1500 signes), précisant les affiliations scientifiques, sont à envoyer avant le 1er décembre 2021 à Madame Laura VIAUT, Maître de conférences en histoire du droit, Université Paris I Panthéon Sorbonne, à l'adresse suivante : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Une réponse du comité scientifique d'organisation sera donnée pour le 15 janvier 2022.

Le colloque se tiendra du 20 au 22 avril 2022 à la Sorbonne. En vue d'une publication rapide des actes du colloque, les auteurs dont les propositions auront été retenues devront remettre leur texte le 1er juillet 2022 au plus tard.

 

 

Colloque organisé par Laura Viaut, maître de conférences en histoire du droit et des institutions, Université Paris I Panthéon Sorbonne, Xavier Lagarde, professeur de droit privé et de sciences criminelles, Université Paris I Panthéon Sorbonne et Raymond Dartevelle, directeur scientifique de la chaire Assurance et société, Université Paris I Panthéon Sorbonne


Colloque organisé par l'IRJS, dans le cadre de la chaire Assurance et société, Université Paris I Panthéon Sorbonne.