À des fins d’incitation économique ou d’équité sociale, le système fiscal marocain a toujours connu des dérogations visant à alléger la charge fiscale de certaines catégories de contribuables ou secteurs d’activité. Ces dispositions dérogatoires représentent un manque à gagner considérable pour le budget de l’État, au même titre que les dépenses budgétaires. C’est à ce titre qu’elles sont appelées « dépenses fiscales » car elles représentent, en fait, un produit fiscal que l’État a renoncé de collecter sans toutefois s’assurer de la réalisation des objectifs qui lui ont été assignés. Contrairement aux dépenses budgétaires ces dépenses fiscales ne sont pas contingentées. Elles ne sont pas soumises aux mêmes règles de contrôle et de suivi que les dépenses budgétaires.Le paradoxe est que le Maroc a un besoin vital des recettes fiscales afin de faire face à des dépenses publiques qui ne cessent de croître et trouver, l’équilibre budgétaire tant prôné par les pouvoirs publics compte tenu du déficit devenu chronique depuis les années 80. Afin d’enrayer cette tendance, le Maroc a fait de l’impôt, à travers une multitude de réformes, l’instrument à même d’égaliser la croissance des dépenses publiques. Mais en dépit des efforts déployés sur le plan législatif et administratif, le déficit structurel est loin d’être comblé.A s’en tenir à une lecture purement comptable, pour éponger le déficit public, il suffit de faire table à rase de l’ensemble des dispositions dérogatoires minant le système fiscal marocain et faire de ce rejet en bloc d’une pierre deux coups : d’une part stopper la dérive dépensière contribuant au creusement du déficit budgétaire ; d’autre part en finir avec l’univers nébuleux des dépenses fiscales qui remet en cause une fiscalité simple efficace et équitable.Mais préconiser une telle alternative s’avère simpliste et réducteur de l’ampleur de la problématique des dépenses fiscales. Projeter, ainsi, de se débarrasser de tout l’arsenal dérogatoire sans discernement, c’est remettre en cause le rôle conféré à l’impôt depuis toujours, celui d’instrument de politique publique par excellence.. Ainsi, et chaque fois que les pouvoirs publics auraient recours à la dépense fiscale et non à la dépense budgétaire traditionnelle, on comprendrait que ce choix leur a été dicté par l’étude de faisabilité qui aurait été menée en amont de la prise de décision. Le conditionnel utilisé n’est nullement anodin car dans l’état actuel des choses, la démarche ainsi exposée n’est qu’un vœu pieux. La rationalité des dépenses fiscales est pourtant l’une des recommandations- phares des Assises nationales sur la fiscalité tenues en 2013. Il s’agit donc d’évaluer le degré de concrétisation de cette recommandation ce qui nous a imposé de passer en revue les cinq lois de finances qui se sont succédées les Assisses en question.Il nous est apparu indispensable, compte tenu de l’amalgame et du flou conceptuel et juridique qui entoure la notion de dépenses fiscales, de contribuer à en donner une définition, aujourd’hui manquante dans la littérature fiscale marocaine. Pour ce faire, nous avons essayé, en premier lieu, de revenir à la version originale de la notion de dépenses fiscales telle qu’elle a été forgée par son concepteur Stanley Surrey. Cette analyse rétrospective nous a permis de relever les dérapages conceptuels et les abus de langage qu’a connus cette notion. Par la suite, nous avons jugé utile de passer en revue la gestion marocaine des dépenses fiscales ainsi que ses imperfections et ses tares.En conclusion et afin d’apporter une pierre à l’édifice, une définition claire et concise ainsi que plusieurs recommandations ont été proposées, afin de rationaliser le système incitatif en lui imposant des règles de contrôle et de suivi strictes et impératives afin que la dépense publique ne soit plus synonyme de gaspillage de deniers publics.