Si la notion d'ordre public est connue de tous, sa mise en oeuvre reste particulièrement délicate à appréhender ; loin de faire exception à la règle, son versant sociétaire constitue une notion méconnue en doctrine. Pourtant, l'identification des limites de la liberté est un enjeu majeur, en particulier en droit des sociétés, tant la vitalité du phénomène contractuel y est incontestable. D'emblée, une étude approfondie de l'ordre public sociétaire apparaît donc pleinement opportune. Au terme de cette étude, si quelques certitudes ont pu être acquises, la plus importante d'entre elles impose une dissociation entre l'ordre public et l'impérativité sociétaires. En effet, l'assimilation des deux notions, retenue dès le début de la présente étude afin d'être éprouvée, produit des résultats insatisfaisants. Plus précisément, la notion d'impérativité sociétaire, définie comme un standard juridique regroupant les règles contraignantes du droit des sociétés, se révèle trop fuyante, trop relative, trop évolutive - en somme insaisissable - pour faire l'objet d'une appréhension doctrinale satisfaisante. L'existence de ce carcan normatif inintelligible oblige donc à proposer une définition restrictive de l'ordre public sociétaire afin de parvenir à identifier les règles de droit que ce dernier comprend. Ainsi, l'ordre public sociétaire peut être défini comme un contenant notionnel ayant pour fonction de protéger, par des règles absolument contraignantes, les intérêts essentiels du droit des sociétés ; telle est la mission singulière qu'il convient de lui attribuer afin de permettre l'identification des règles de droit, insusceptibles de dérogation conventionnelle puisqu'essentielles, qu'il contient. Pour y parvenir, une définition méthodique des intérêts essentiels est proposée. À l'analyse, l'ordre public sociétaire exige qu'aucun associé ne soit totalement privé de sa vocation aux résultats et, en contrepartie, que tout associé soit assujetti au risque social, lequel ne peut être transféré au détriment de l'intérêt social. En outre, l'intangibilité des éléments essentiels qui structure le droit des sociétés en catégories - telles que le principe de responsabilité limitée au montant de l'apport dans les sociétés à risque limité et l'obligation aux dettes sociales pesant uniquement sur les associés d'une société à risque illimité - est assurée par l'ordre public sociétaire. Enfin, l'ordre public sociétaire comprend les règles contraignantes, non contingentes et communes aux sociétés personnifiées, dont la ratio legis peut être rattachée soit à la préservation de l'intérêt général, soit à la sauvegarde de l'intérêt social, soit à la protection de l'associé. En pratique, puisque la définition restrictive proposée permet l'identification du substrat normatif irréductible de l'ordre public sociétaire, elle offre à l'interprète une meilleure compréhension des mécanismes d'intervention de ce dernier et invite à formuler diverses propositions lorsque l'état du droit positif ne paraît pas satisfaisant. Par exemple, l'application immédiate des règles de l'ordre public sociétaire aux sociétés constituées avant leur entrée en vigueur apparaît justifiée. En conclusion, la notion d'impérativité sociétaire est incontestablement un standard juridique dont le contenu normatif est, par nature, indéterminé. Si l'ordre public sociétaire semble également insaisissable, ce dernier constitue en réalité un concept intelligible, si tant est que l'interprète qui s'y confronte soit prêt à circonscrire sa recherche à l'essentiel.