Toute interaction verbale est construite collectivement par ses participants selon des modalités qui évoluent à mesure que l'échange se déroule. Cette coconstruction concerne non seulement le contenu de la conversation (sujet, arguments avancés, etc.), mais aussi les relations interpersonnelles entre participants, qui peuvent être altérées ou au contraire maintenues par les comportements et prises de position des locuteurs. Nous appelons dynamiques conversationnelles cet ensemble de phénomènes permettant aux locuteurs de coconstruire continuellement l'échange. Dans cette thèse, nous proposons d'apporter notre contribution à la caractérisation linguistique des oral arguments de la Cour suprême des États-Unis. Ces audiences sont un genre discursif s'apparentant à une conversation et ont été très peu étudiées par les linguistes. Plus précisément, notre objectif est de décrire et d'analyser les mécanismes linguistiques par lesquels les neuf juges de la Cour et les avocats, pendant leur argumentation, coconstruisent le contenu des échanges et leurs relations interpersonnelles. Les locuteurs ayant un statut et des objectifs différents, leurs relations sont, en théorie, asymétriques et hiérarchisées : ce sont les juges qui détiennent le pouvoir pendant l'audience. De fait, nous partons du postulat que chaque type de participants suit une règle discursive tacite qui influence leur façon de s'exprimer et d'interagir ; les juges auraient donc un discours dominant, alors que les avocats adopteraient un discours faible. Pour les locuteurs, l'enjeu est alors de mettre en place des stratégies pour remplir leurs objectifs discursifs et parfois divergents (convaincre, obtenir des réponses, etc.), tout en réduisant la confrontation afin que la conversation puisse se poursuivre sans heurts. Pour étudier ces dynamiques, nous avons constitué un corpus de 1 270 542 tokens comprenant 112 sessions d'oral arguments entendus à la Cour entre 2018 et 2020. Afin de pouvoir mener une étude comparative des discours des juges et des avocats, ce corpus initial a été partitionné en deux sous-corpus : l'un avec les tours de parole des juges, l'autre avec ceux des avocats. Cette comparaison s'effectue en utilisant conjointement une approche linguistique (cadre des Corpus-Assisted Discourse Studies) et extra-linguistique (recherches sur la culture juridique américaine et entretiens avec des avocats plaidant à la Cour). L'exploitation des deux corpus a été menée en combinant des analyses quantitatives avec des analyses qualitatives, notamment grâce à des outils d'exploitation de corpus permettant d'identifier les mots grammaticaux et lexicaux les plus fréquents, suremployés ou sous-employés dans un corpus par rapport à l'autre. Certains de ces éléments ont ensuite fait l'objet d'analyses qualitatives. Nous avons ainsi pu identifier et étudier certains des mécanismes linguistiques les plus fréquemment utilisés par les juges et les avocats pour négocier les relations interpersonnelles pendant les oral arguments : les autoréférences I et we, le pronom you, les subordonnées de condition en if et les verbes cognitifs think, mean et know. L'emploi conjoint d'analyses quantitatives et qualitatives a permis de nuancer notre postulat de départ, révélant la complexité des dynamiques conversationnelles à la Cour suprême. S'il existe des différences entre les deux discours (en termes de fréquence, de suremploi d'une séquence et de ses fonctions en contexte), juges comme avocats ont en réalité des discours parfois très similaires, ayant notamment recours à des stratégies de politesse et insistant sur leur appartenance à une même communauté discursive. Notre thèse révèle que les oral arguments, loin de présenter deux discours distincts, l'un dominant et l'autre faible, se caractérisent par des négociations discursives complexes et incessantes. Nous montrons enfin comment certaines caractéristiques discursives s'expliquent à la lumière de la culture juridique américaine.