Présentation éditeur
À la fois technologie politique et pratique sociale, le vote nous apparaît paradoxalement comme un tissu d’évidences peu susceptible de retenir notre curiosité, mais aussi comme un ensemble d’énigmes dont certaines restent irrésolues. Par la vertu des sondages d’opinion, on sait – approximativement – pour qui les électeurs votent, mais beaucoup moins pourquoi ils le font. Quels genres d’échanges se (dé)nouent lors d’une campagne électorale ? Quels types de préférences s’y dessinent ? Quelle part de leur existence sociale et de leur trajectoire biographique les électeurs engagent-ils dans l’acte de voter (ou de ne pas le faire) ? Cet ouvrage tente de reprendre ces questions en interrogeant le(s) vote(s) sous trois rapports : l’élection comme institution censée assurer l’expression de convictions politiques en même temps que la désignation de « représentants » ; les modèles d’interprétation des votes et la succession des «écoles » analysant « ce que voter veut dire » ; les controverses autour de la stabilité (versus volatilité) des électeurs, leur degré de compétence et la portée du processus d’individualisation de leurs votes.
Patrick Lehingue est professeur de science politique à l’université de Picardie et chercheur au CURAPP. Il est l’auteur de Mobilisations électorales (en coll., PUF, 2005) et de Subunda. Coups de sonde dans l’océan des sondages (Le Croquant, 2007).
Sommaire
Introduction
- Grandeur et décadence d’un objet
- « C’est le point de vue qui crée l’objet »
A - Le vote, technologie sociale et politique
I / Le vote comme évidence et comme énigme
- Les mécanismes de naturalisation du vote : une pratique ancestrale, récurrente, banale mais…« démocratique »
- Le vote, pratique pluriséculaire - Le vote, pratique aujourd’hui récurrente - Le vote : un rite pauvre - L’élection, quintessence de la démocratie ?
- Le vote comme construction historique et sociale
- Le « vote » à Athènes : une institution périphérique à contenir - Le « vote » à Rome : un dispositif communautaire et censitaire - « Voter » dans les monastères ou lors des conclaves : « choisir unanimement » - « Voter » sous la Révolution française : élargissement et cantonnement du vote - « Voter » en France (1880-1913) : la laborieuse gestation du vote secret
- Le vote, tissu d’énigmes imparfaitement résolues
II / Le vote comme expression de convictions politiques
- À quoi sert le vote ? La perspective fonctionnaliste comme entrée provisoire
- Le vote, expression manifeste de convictions politiques : un présupposé nécessaire ?
- Le vote, expression manifeste et universelle de convictions politiques : un présupposé douteux
- La structuration de l’offre - La diversité sociale des investissements dans l’acte de vote - La pauvreté expressive de l’instrument
III / Le vote comme sélection de représentants
- La dynamique élitaire de l’élection
- Détour étymologique - Les qualités des éligibles - Les lois d’airain de l’oligarchie
- Six déclinaisons des biais de représentation sociale
- Sociographie, origine sociale et ratés de l’homologie
- Conclusion provisoire : que manifestent les fonctions manifestes du vote ?
IV / Les fonctions latentes du vote
- L’affirmation d’un sentiment d’identité communautaire
- Un triple transfert de légitimité
- Désarmer la violence physique, endiguer les désordres sociaux
- Conclusion : équivalents fonctionnels et dysfonctions ou les limites de l’approche fonctionnaliste
B - Les modèles explicatifs des votes
V / Interpréter les votes : une exégèse sociale
- La « science électorale » comme savoir pratique
- Un siècle plus tard, une controverse exemplaire : qui a gagné en en 1981 ?
- Sociologie électorale ou production de verdicts ?
- Comment classer les analyses du vote ?
- Les « modèles »électoraux : sur trois acceptions
- Le modèle réduit- Matériaux, traitements et « bricolage » d’un dispositif empirique - Idéaux normatifs et électeur modèle
VI / Siegfried et la démarche contextuelle : les ambiguïtés d’un « précurseur »
- Trajectoire biographique, trajectoire politique et projet créateur
- Démarche et méthode : les cuisines d’une recherche
- Les trois lectures possibles d’une œuvre ouverte
- L’obsession géologique et la psychologie des peuples - L’analyse multifactorielle - La dépendance sociale comme principe structurant
- Déclin des approches écologiques et questions de méthodes
- Fallace écologique ou biais individualiste ?
- (Re)découverte des contextes « résidentiels »
VII / Lazarsfeld et la formation communautaire des préférences électorales
- À émission ambiguë, réceptions ambivalentes…
- Genèse d’un projet et énigmes de la réception
- Démarche et méthode : les cuisines d’une recherche
- Un dispositif innovant -
- Une image désenchantée des électeurs
- Un constat dérangeant : la pré-orientation sociale des votes
- L’indice de prédisposition politique - Positions objectives et subjectives
- « Comment les électeurs se forgent-ils une opinion ? » ou la faiblesse des effets de conversion
- Le vote comme expérience du groupe
- Postérité des enseignements
- Le pouvoir prédictif des variables lourdes - Les effets limités - Sur le degré de consistance des « groupes primaires »
VIII / Le paradigme de Michigan et la question de la stabilité des votes
- Michigan vs Columbia : deux inflexions notables
- Le sondage atomistique, principal outil d’investigation - L’identification partisane comme variable centrale
- Un raisonnement tautologique ?
- Stabilité électorale et faible compétence politique des électeurs
- La portée d’une (r)évolution : «is the American voter changing ?»
- La dialectique offre/attentes
- Les termes d’un débat : les électeurs sont-ils de plus en plus instables ?
- Onze questions préjudicielles sur la volatilitéélectorale
IX / Les analyses économiques du vote et la théorie du choix rationnel
- Une alternative aux modèles politico-sociologiques
- Le paradoxe de l’électeur
- Déterminants économiques et « vote du porte-monnaie »
- L’attraction formaliste - La nature des controverses au principe de la démultiplication des analyses économétriques
- Retour sur la rationalité : l’électeur a ses raisons que la pure rationalité logique ignore
C - Sur deux controverses X / Ce que les électeurs maîtrisent : la question de la compétence politique
- Formulation du problème
- Les typologies de Converse et de l’école de Michigan - Le débat en France : analogies et différences
- Sur cinq objections
- La dénégation du problème - La rationalisation idéologique du constat ou la dangerosité d’un trop grand savoir politique du peuple - « Du passé dépassé» : un débat inactuel - La compétence politique comme artefact intellectualiste ? - L’inversion des problématiques
- «What American know about politics and why it matters » : la démonstration de Delli Carpini et Keeter
- Le lien entre savoir et action - Savoir discerner ses intérêts « bien compris »
- Une piste entrouverte : « faire avec ce qu’on a » (les « raccourcis cognitifs »)
- Inventivité lexicale et apories des définitions - Des redécouvertes qui s’ignorent comme telles ? - « Anything goes ? »
XI / Vers une individualisation des votes ? Le déclin du « vote de classe »
- Le déclin du « vote de classe » : une thématique politiquement sensible mais scientifiquement fragile
- Le « vote de classe », concept scientifique ou mot d’ordre politique ? - La fortune de l’indice d’Alford - Les thèses du désalignement de classe - Ce que « classer » veut dire : les apories sociologiques de l’indice d’Alford - Déclin du vote de classe ou trendless fluctuation ?
- Vote et classe : le cas des ouvriers
- Le FN, premier parti des ouvriers ? - L’exit électoral, nouveau « vote » de classe ? - L’unité d’un groupe social : GSP « ouvriers » et « milieux populaires » - Vote et conscience de classe
- Au-delà« du » vote de classe, des clivages sociaux multidimensionnels
- Classes et classements - Techniques d’analyse - Espace social, espace des votes - Les expressions contemporaines des votes de classes
- La contribution de l’offre partisane à la (dé)construction des groupes sociaux
Conclusion