vendredi9juin2023
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L’intérêt

Colloque

L’intérêt

Colloque des doctorants, CERDP, Université Côte d’Azur, 9 juin 2023


Présentation

 

L'intérêt, relevait le doyen Cornu, est une notion fondamentale, pourtant largement négligée. A défaut de pouvoir s'appuyer sur une définition juridique tout à fait précise, il est en tout cas possible d'avancer que l'intérêt, d'une façon générale, représente ce qui « préoccupe », « ce qui importe », ce qui « attire ». La notion est donc a priori pourvue d'une dimension éthique importante en termes de projection morale individuelle et sociétale. Hannah Arendt la décomposait encore comme ce qui « est-entre » (inter-est), entre les choses, entre les Hommes. L'intérêt constitue, dans cette optique, ce qui lie mais aussi se qui sépare, ce qui associe et ce qui s'interpose. Il se trouve alors au cœur du lien social qu'il est voué tantôt à construire, tantôt à déconstruire. On ne s'étonnera guère à ce titre que soient innombrables les travaux consacrés à la notion d'intérêt en sciences humaines et sociales. Toutefois, lorsque la notion est mobilisée spécifiquement dans le champ du droit, est-elle vraiment autonome ? Le juriste peut-il faire l'économie de questionnements, tant méthodologiques que conceptuels, sur ce que renferme l'intérêt par-delà le droit ? Certes, celui-ci est bien souvent qualifié (général, public, légitime, pour agir), voire classé (moral, patrimonial). Si des essais ont déjà entrepris de théoriser la notion d'intérêt en droit, la richesse des acceptions va au-delà du champ juridique, qui en connaît néanmoins de nombreuses occurrences (l'intérêt de l'enfant, le conflit d'intérêts, l'intérêt à agir, l'intérêt social, etc.). En effet, du critère utilitariste permettant d'évaluer les intérêts à l'argument de l'intérêt dit supérieur, l'intérêt apparaît tant dans les discours de morale que d'économie, de sociopolitique ou encore de philosophie. 

L'amplitude des champs disciplinaires préoccupés par cette notion, en sciences humaines et sociales, laisse douter a fortiori de la possibilité d'en offrir une vision harmonieuse. Une rapide revue bibliographique témoigne à ce titre de ce que chacun - juriste, anthropologue, philosophe, économiste, historien, etc. - charge la notion de contenus et de problématiques propres à sa discipline ; autant d'approches cloisonnées que la démarche ici entreprise se propose de renouveler dans un esprit d'ouverture, dans le but de croiser les regards et d'envisager ensemble plusieurs perspectives possibles sur un objet commun.

Ce dernier peut assurément susciter des interrogations interdisciplinaires dont les enjeux tant théoriques et pratiques pourraient s'organiser en deux séries de questions.

D'une part, une première série de questions encourage à se demander : qu'est-ce qui est déclaré digne d'« intérêt » ?

Pourquoi élever un intérêt au-dessus d'un autre et selon quels critères ? Qui a légitimité à établir cette primauté ? Comment expliquer que « l'intérêt » conditionne l'action en justice ? Quelles sont les formes de reconnaissance des intérêts ?

Pour exemple, l'intérêt, traditionnellement associé au droit subjectif l'est-il toujours au regard des nouvelles approches de la responsabilité civile, comme en témoigne le préjudice écologique pur (un intérêt sans droit subjectif) ? L'intérêt, enfin, peut-il jouer comme instrument de légitimation intrinsèque et/ou extrinsèque au droit ?

D'autre part, lorsque l'intérêt devient pluriel - les intérêts - ou lorsque plusieurs intérêts sont mis en présence, c'est la question de leur coexistence qui vient à se poser. Le passage au pluriel marque ainsi l'irruption des conflits d'intérêts. Cette manifestation offrira donc la possibilité d'observer les intérêts étudiés dans leur dynamique, c'est-à-dire leur fonctionnement dans leur existence simultanée au sein de la société et du droit. Comment, d'ailleurs, celui-ci gère-t-il divergences et antinomies : sanction, neutralisation, harmonisation ? A cet égard, le détachement des droits subjectifs (issus majoritairement de la loi) au profit des intérêts (accroissant le rôle du juge) ne témoigne-t-il pas d'une inspiration croissante du droit continental par le système de la Common law qui présente le juge comme l'acteur prépondérant dans la balance des intérêts, des libertés et des obligations ? Aussi le sujet renouvelle-t-il la question de l'office du juge.

Traditionnellement, « l'intérêt » traduit plutôt son office procédural : l'intérêt à agir, qui est une condition de recevabilité de l'action. Néanmoins, le juge du XXIème siècle, comme en atteste le rapport de la commission « Cour de cassation 2030 », devient aussi le juge substantiel des intérêts : si la notion de pondération ou de balance des intérêts n'est pas inédite, le contentieux très actuel du Barème Macron en droit du travail ravive la question du rôle normatif du juge dans le cadre du contrôle de proportionnalité (ou conventionnalité) in concreto.

Ces questionnements n'épuisent pas le sujet. Ils en appellent d'autres et le présent colloque pourra encore, notamment, accueillir une réflexion concernant l'émergence du droit souple dans la régulation des intérêts : plutôt qu'une adjudication verticale des droits subjectifs, l'apparition et la concrétisation de nouvelles formes et de nouvelles logiques de régulation ne poussent-elles pas à envisager une négociabilité horizontale des intérêts en présence ?

C'est dire, en définitive, que les discussions autour de l'intérêt et des intérêts questionneront leur reconnaissance - leur hiérarchisation, leur formalisation, et leur coexistence - régulation imposée, négociée, pondérée - et auront vocation à faire dialoguer des réflexions issues de toutes sciences humaines et sociales. 

La journée qui sera consacrée au sujet s'articulera donc autour de deux axes de réflexion 

Premier axe de réflexion : « De l'intérêt au(x) droit(s) : la reconnaissance des intérêts ».

  • La notion d'intérêt légitime
  • Les nouveaux intérêts juridiquement protégés
  • Le passage de l'intérêt au droit : la naissance des droits subjectifs
  • Les formes de reconnaissance de l'intérêt
  • La notion d'intérêt à agir
  • La notion de libertés civiles
  • Les controverses du passage de l'intérêt au droit : les droits « à » (la fonction rhétorique et politique de l'expression des droits « à »).
  • L'appréhension des intérêts illicites (qui est le juge de l'illicéité des intérêts ?) 

Second axe de réflexion : « Des conflits au droit : la coexistence des intérêts »

  • La coexistence des intérêts privés et publics (général et particulier)
  • La coexistence d'intérêts structurellement antagonistes (consommation, droit du travail, procédure pénale, droit pénal substantiel)
  • La hiérarchie des intérêts (existe-t-il une hiérarchie des intérêts ?)
  • Les méthodes traditionnelles de régulation des conflits entre les intérêts fondées notamment sur la responsabilité).
  • Les conditions procédurales de la coexistence : les problématiques liées à l'intérêt à agir (intérêt à agir des associations environnementales etc.)
  • Les méthodes renouvelées : pondération, mise en balance des intérêts
  • Le contrôle de proportionnalité in concreto (qui participe de la fondamentalisation du droit).
  • Les modes de résolution négociés des conflits entre les intérêts.

Les sous-points précités sont autant de pistes à explorer et n'ont nullement vocation à limiter le champ d'investigation offert par le sujet. La liste est ouverte. 

Modalités de contribution

Le laboratoire du CERDP tend à favoriser l'interdisciplinarité, c'est pourquoi ce colloque est ouvert aux doctorants en sciences humaines et sociales (droit, sociologie, anthropologie, histoire, économie, éthique, philosophie……).

Les contributions sont attendues en langue française.

Le titre et le résumé de la contribution (300-400 mots), ainsi qu'un CV, devront parvenir aux deux adresses e-mail suivantes : marie garnier-zaffagnini@univ-cotedazur.fr et mario.pirrotta@univ-cotedazur.fr avant le 15 mars 2023.

Le colloque se tiendra à l'Université de Nice, en présentiel et en distanciel, le vendredi 9 juin 2023. Les actes du colloque seront publiés dans la Revue Ler Société courant septembre 2023

 

Programme

 

8h30 : Accueil des participants

9h00 : Allocution d'ouverture

9h15 : Propos préliminaires :  perspectives philosophiques

Est-ce que l'homme agit par intérêt ? Reconnaissance et conflits de droits chez Sartre
Elisa Reato, Docteure en philosophie, Université Paris Nanterre

 

Panel 1 - Reconnaître des intérêts

9h45 : La reconnaissance des intérêts juridiques en droit pénal : l'intérêt juridique est-il une composante de l'infraction ?
Alice Roques, Docteure en droit privé et sciences criminelles, Université de Montpellier

La reconnaissance de l'intérêt pluri-individuel par la responsabilité délictuelle
Arthur Poletti, Doctorant en droit privé, Université Côte d'Azur

Discussions et collation

 

Panel 2 – Apprécier des intérêts

11h15 : Les intérêts de la justice : un critère juridique paradoxal de poursuite des crimes internationaux devant la Cour pénale internationale
Ayméric-Olivier Adjaklo, Doctorant en droit public, ATER, Université de Tours

Que reste-t-il de l'intérêt légitime à changer de nom ? Etude à l'aune de la loi du 2 mars 2022 relative au changement de nom
Estelle Aldegheri, Doctorante en droit privé, Université de Montpellier

12h30 : Discussions

 

Déjeuner libre

 

14h30 : Reprise

 

Panel 3 - Faire valoir des intérêts

14h45 L'intérêt à agir des tiers payeurs intervenant au procès pénal
Camille Salaun, Doctorante en droit privé, Université Côte d'Azur

L'intérêt public : talon d'Achille de la protection des édifices immobiliers
Alice Menaud, Doctorante en droit public, Université Côte d'Azur

Discussions et collation

L'éthique de responsabilité au service de l'intérêt environnemental
Ludivine Vandevoorde, Doctorante en droit privé et sciences criminelles, Université Paris Panthéon-Assas, Avocate à la Cour

16h30 : Allocution de fermeture

 

 

Inscription obligatoire sur : https://www.eventbrite.fr/e/billets-colloque-des-doctorants-du-cerdp-linteret-607698351127

Colloque hybride en présentiel et en distanciel

Lien Zoom sur demande à : marie.garnier-zaffagnini@univ-cotedazur.fr

 

 

 

 


Organisé par le CERDP sous la direction scientifique de Marie Garnier Zaffagnini et Mario Pirrotta



Faculté de droit et science politique
Amphi 202
Avenue du Doyen Trotabas
06000 Nice

Centre d'Études et de Recherche en Droit des Procédures