Date limite le mardi 30 sept. 2025
Dans le cadre du numéro 29 de la Revue des droits de l’Homme qui paraîtra au début de l’année 2026, le Comité de rédaction a retenu une étude sur les petites sources du droit dans leurs rapports aux droits et libertés. La publication de ce numéro sera précédée d’une journée de réflexion prévue durant la semaine du 10 novembre 2025 (la date exacte sera fixée en fonction des disponibilités des auteurs des contributions retenues).
Face à la diversification des formes normatives à l’intérieur comme à l’extérieur des États, l’étude de ce qu’on nommera provisoirement les « petites sources » du droit offre un point d’entrée analytique pour étudier les recompositions contemporaines de la protection des droits et libertés. Ces instruments, situés à la marge des sources formelles [Gerry-Vernières, 2012], prennent des formes variées : avis, recommandations, notes de travail, rapports ou synthèses informelles produits par des instances consultatives, des administrations ou des juridictions. Bien qu’ils ne disposent pas de force contraignante, ils contribuent à structurer les pratiques des acteurs et à encadrer les processus décisionnels, par exemple au sein du Conseil constitutionnel [Koskas, 2022].
Souvent marginalisées, ces sources révèlent le pouvoir d’une action dont la portée s’affirme dans un contexte de recomposition des cadres juridiques traditionnels [Chérot J.-Y., Frydman B., 2012]. Elles interviennent dans des contextes multiples : au sein des juridictions, où elles accompagnent les délibérations et cadrent les choix normatifs ; dans les administrations, où elles orientent la prise de décision ; ou encore à l’échelle internationale, où elles contribuent à la diffusion de standards en matière de droits humains [Champeil-Desplats, Thévenot, Porta, 2020].
Deux axes de réflexion sont proposés, susceptibles d’être abordés de manière transversale ou redéfinis à l’occasion du séminaire préparatoire.
Le premier axe vise à clarifier le cadre théorique des petites sources du droit et à élaborer une typologie permettant de saisir leur diversité, leurs fonctions et leurs effets normatifs. Il s’agira notamment d’interroger leur statut juridique, leur degré de formalisation, leur mode de production, ainsi que les profils variés des acteurs qui les génèrent, qu’ils soient institutionnels ou extrajuridictionnels, publics ou privés, étatiques ou transnationaux. L’étude des petites sources ne se limite pas à un élargissement du catalogue des sources juridiques ; elle engage une réflexion sur les critères mêmes de la juridicité, en rendant visibles des instruments souvent relégués aux marges du droit ou considérés comme accessoires, faute de contrainte formelle [Hachez et al., 2012].
Les petites sources du droit invitent ainsi à repenser les « confins » classiques du droit (ius, règles coutumières, religieuses ou morales) en s’éloignant des seuls énoncés déontiques d’obligation, d’interdiction ou de permission [Rouland, 1991]. Avis, recommandations, objectifs, indicateurs, procédures de dialogue, critères d’évaluation, codes de conduite, etc. : ces formes multiples participent d’un droit dit « promotionnel » [Bobbio 1998], qui repose sur la fixation de standards et l’encadrement des comportements, dans une logique de gouvernance par objectifs ou indicateurs [Champeil-Desplats, 2023].
Proches du droit souple tel qu’il est pratiqué notamment dans les organisations internationales, ces instruments s’en distinguent néanmoins sur un point central : contrairement aux normes de soft law conçues pour anticiper ou accompagner la production d’un droit contraignant, certaines petites sources agissent en aval ou en parallèle du processus normatif, au cœur même de la fabrication du droit, en préparant les conditions de son élaboration ou de son application. Elles ne visent pas à se transformer en normes obligatoires, mais à orienter les comportements ou les décisions [Hachez, 2010].
Cette normativité souple peut émaner d’institutions classiques, mais aussi d’acteurs de plus en plus hétérogènes : comités d’éthique, agences indépendantes, ONG, entreprises transnationales, voire organismes privés non habilités. Certains s’inscrivent dans la chaîne normative traditionnelle, d’autres s’en écartent ou cherchent à s’y substituer. Cette diversification des producteurs, des énoncés et des supports (rapports, chartes, lignes directrices…) met à l’épreuve les catégories usuelles d’identification du droit [Champeil-Desplats, Thévenot, Porta, 2020].
En complément, une attention particulière pourra être portée aux enjeux méthodologiques. Les contributions pourront s’appuyer sur des enquêtes qualitatives, l’analyse documentaire ou la construction de modélisations fictives. La question de la confidentialité des matériaux, comme celle de l’objectivation de pratiques souvent dissimulées dans les marges des processus décisionnels, pourra constituer un enjeu à part entière.
Le second axe se concentre sur l’étude empirique des petites sources en tant que vecteurs de régulation des droits et libertés. Les contributions attendues pourront porter sur des champs divers du droit, qu’il soit public ou privé, interne ou international, et proposer des enquêtes de terrain, des analyses de documents ou des études de cas approfondies. Il s’agira d’explorer comment des instruments dépourvus de force contraignante (tels que des avis, rapports, notes de travail, recommandations ou codes de conduite) interviennent dans des contextes contentieux, accompagnent des processus délibératifs ou encadrent des actions consultatives.
Malgré leur faible visibilité institutionnelle, ces petites sources structurent les pratiques décisionnelles, préparent ou orientent l’émergence de standards non formalisés, et participent ainsi à la configuration des droits et libertés, tant dans leur définition que dans leurs modalités d’exercice. Le projet invite à documenter et analyser ces usages concrets à partir de monographies de cas, dans une perspective juridico-empirique.
Les contributions pourront, par exemple, porter sur le rôle des rapports d’experts et recommandations des comités de l’OIT dans l’évolution du droit du travail, sur les avis des comités d’éthique dans les politiques sportives, de santé ou de bioéthique, sur les documents préparatoires et notes internes dans les juridictions constitutionnelles, ou encore sur les rapports d’ONG, lignes directrices d’autorités administratives indépendantes ou dispositifs d’autorégulation sectorielle (comme les agences de notation, les comités de conformité dans les entreprises ou les chartes professionnelles).
L’objectif est d’identifier, à partir de ces études, les modes d’action infra-normative mobilisés dans des contextes concrets, et d’en restituer les effets (para)juridiques : orientation de la jurisprudence, cadrage des politiques publiques, transformation des référentiels professionnels, etc. Ces enquêtes permettront également de comparer les formes de circulation de ces petites sources, leur réception par les acteurs (magistrats, agents publics, professionnels, usagers), ainsi que les conditions sociales, politiques et institutionnelles de leur reconnaissance comme porteurs de normativité.
Ce second axe s’adresse donc aussi bien aux chercheurs en droit qu’à ceux et celles mobilisant des outils issus de la sociologie du droit, de la science politique ou de l’anthropologie juridique, dans le but de documenter les pratiques à travers lesquelles se fabriquent, s’ajustent ou se disputent les régimes de droits et de libertés à partir de normes juridiquement non obligatoires mais pourtant opératoires.
Les propositions de contribution (6000 signes maximum, en français ou en anglais) sont à envoyer avant le 30 septembre 2025 à l’adresse petitessourcesdudroit@gmail.com. Elles feront l’objet d’une sélection minimale et d’une invitation à participer au séminaire de préparation de la publication prévu la semaine du 10 novembre 2025.
Michael Koskas
Bibliographie
AJDA Dossier, « Les petites sources du droit administratif », 2019, n° 16, p. 916-940.
Bobbio, N., Essais de théorie du droit, LGDJ, 1998.
Champeil-Desplats V., Être ou ne pas être du droit. Les défis de la diversification contemporaine des formes de normativité pour les théorisations du droit, in E. Putman ; F. Rouvière ; V. Michel ; V. Réveillère (dir.), Liber Amicorum Jean-Yves Chérot, Bruylant, p. 139-155.
Champeil-Desplats V., Thevenot L., Porta J. (Dir.), Modes de normativité et transformations normatives. De quelques cas relatifs aux droits et libertés, Institut Francophone pour la Justice et Démocratie, coll. « Transition & justice », 2020, 484 p.
Chérot J.-Y., Frydman B., La science du droit dans la globalisation, Bruylant, 2012.
Conseil d’État, Le droit souple. Étude annuelle, 2013.
De Bechillon D., Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, Odile Jacob, 1997.
Deumier P., Le droit spontané : contribution à l’étude des sources du droit, Economica, 2002.
Gerry-Vernieres S., Les « petites » sources du droit : à propos des sources étatiques non contraignantes, Economica, coll. « Recherches Juridiques », 2012, 536 p.
Hachez I. et al. (dir.), Les sources du droit revisitées, vol 1-4, Presses de l’Université Saint-Louis, 2012.
Hachez I., « Balises conceptuelles des notions de “petites sources du droit”, “force normative” et “soft law” », RIEJ, 2010, p. 65.
Koskas M., Le Conseil constitutionnel par lui-même. Contribution à une analyse de la production du droit, Thèse dactylographiée, Université Paris Nanterre, 2022.
Lochak D., Étrangers : de quel droit ?, PUF, 1985.
Ost F. et Van de Kerchove M., De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Presses universitaires Saint-Louis Bruxelles, 2019.
Porta J., « les transformations des droits sociaux dans la globalisation », La Revue des droits de l’Homme, n° 16, 2019.
Ripert G., Les forces créatrices du droit, LGDJ, 1955.
Rouland N., Aux confins du droit, Odile Jacob, 1991.
Thibierge C. (et al.), La force normative. Naissance d’un concept, Bruylant, LGDJ, 2009.