Contexte général
Le droit de l’environnement, codifié en 2000 et constitutionnalisé en 2004, regroupe l’ensemble des règles visant à protéger l’environnement, défini comme l’interaction entre les êtres vivants et leur milieu. Cette discipline est considérée comme récente : son émergence remonte aux années 1950-1970, marquée par des initiatives européennes et internationales, ou des écrits précurseurs dans la doctrine américaine, japonaise ou européenne. Une première convention internationale, OILPOL (International Convention for the Prevention of Pollution of the Sea by Oil) du 12 mai 1954 s’empare du problème de la pollution par les hydrocarbures. Dès 1962, le Conseil de l’Europe crée un comité d’experts pour la sauvegarde de la nature. La même année Rachel Carson publie Silent Spring[1], dont le retentissement s’avère considérable aux États-Unis, et qui obtient le soutien du juge de la Cour suprême William O. Douglas. À partir du naufrage du Torrey Canyon en 1967, les pollutions marines causées par les hydrocarbures commencent à être désignées sous le terme de « marées noires » et contribuent à faire reconnaître, y compris aux armateurs, la nécessité de mesures de prévention. La conférence de Stockholm en 1972 affirme le droit fondamental à un environnement sain et le devoir de sa protection. La même année, la doctrine alternative des droits de la nature naît avec l’article fondateur du juriste californien Christopher Stone[2]. En France, la loi du 16 décembre 1964 marque une première étape juridique dans la lutte contre la pollution de l’eau. Par la suite, la loi du 10 juillet 1976 instaure la « charte de la nature », reconnaissant l’intérêt général de la préservation des espaces naturels et de la biodiversité. Le terme « environnement », plus pragmatique, s’impose progressivement dans le langage juridique, remplaçant le mot « nature ». Il désigne d’abord les éléments physiques entourant un organisme vivant avant d’être adopté dans une acception plus large. Pierre George s’interroge en 1971 sur sa signification : « une réalité scientifique, une peur, une spéculation ? » Il souligne l’importance des équilibres écologiques et du rôle du droit dans leur préservation. En 1975, Jacque Ellul s’écrie : « On sait ce qu’implique la pollution, et on continue imperturbablement à polluer l’air, les rivières, l’océan »[3].
Le droit de l’environnement dans la littérature juridique contemporaine
Les années 1970 voient une multiplication des recherches juridiques sur l’environnement. Jehan de Malafosse publie Le droit à la nature en 1973[4], tandis que Jean Untermaier soutient la première thèse en droit de l’environnement en 1972[5]. La création de la Société française pour le droit de l’environnement (SFDE) en 1974 et de la Revue juridique de l’environnement (RJE) en 1976 structurent ce champ émergent. L’environnement, d’abord perçu comme un objet de conservation, devient progressivement un sujet juridique à part entière. Le passage de la nature à l’environnement révèle une évolution anthropocentriste : le concept de nature, par trop ontologique, est remplacé par celui d’environnement qui renvoie simplement à l’ensemble des choses qui se trouvent aux environs de l’homme. M. Prieur relève à ce propos qu’« il y a quelque chose de métaphysique dans l’idée de nature qui préserve son caractère sacré et qui a fortement contribué au développement de l’environnement à travers la protection ou la conservation de la nature »[6], tant sur terre que sur mer. Néanmoins, dès 1974, J. de Malafosse constate que « si une politique de l’environnement est en cours d’élaboration, il n’en va pas de même de son régime juridique dont l’essentiel reste encore à imaginer. Cet état de choses s’explique, en partie, par la difficulté qu’il y a à adapter des concepts juridiques anciens ou à en dégager de nouveaux mais cela tient plus encore à une question de méthode et de mentalité »[7]. C’est progressivement que l’environnement devient un objet du droit, et que l’expression « droit de l’environnement » s’implante dans le paysage juridique. L’année 1980 voit la publication du premier manuel de Droit de l’environnement, dû à la plume de Michel Despax[8]. Suivent un Droit pénal de l’environnement par Jacques-Henri Robert et Martine Rémond-Gouilloud (1983) et la première édition du Droit de l’environnement de Michel Prieur (1984)[9].
Le rôle de l’histoire du droit
À la même époque, J. de Malafosse souligne que le droit de l’environnement « constitue ou devrait constituer pour l’historien du droit contemporain un terrain d’investigation de choix »[10]. Il estime que la « contribution de l’historien du droit est appréciable en raison de sa connaissance de ce qui s’est passé à l’amont de l’évolution en cours. Mais il lui faut être au courant des transformations qui s’opèrent à l’aval »[11]. L’auteur prévient toutefois : « Lorsque l’on examine les droits qui touchent de près ou de loin au sol ou au milieu naturel, on commet généralement une erreur fondamentale. On oublie que ces droits s’analysent davantage en termes de liberté qu’en termes de propriété. Cette erreur d’appréciation s’explique par la méconnaissance du processus historique qui leur sert de fondement »[12]. À son tour, M. Prieur souligne :
L’analyse du droit positif de l’environnement et la réflexion prospective ne peuvent se passer de l’apport de l’histoire du droit. Le droit de l’environnement, dans sa formulation actuelle, trouve ses sources dans un grand nombre de textes du XIXe siècle et de la première partie du XXe siècle inspirés exclusivement par des préoccupations d’hygiène et de promotion de l’agriculture et de l’industrie. […] L’histoire du droit peut aussi contribuer à moderniser des instruments juridiques d’ancien régime tels que les droits d’usage ou le statut de certains biens et permettre d’instituer de nouvelles servitudes prenant en considération, pour la protection de la nature, la complémentarité des fonds et l’interdépendance des formes d’utilisation des ressources naturelles[13].
À sa suite, Jérôme Fromageau considère que la démarche historique s’impose « non pour chercher d’impossibles continuités, mais pour mieux saisir la généalogie de l’ensemble des réglementations, révéler l’existence de tendances lourdes et établir la distinction entre des éléments stables ou relativement stables et d’autres dont l’évolution a été plus sensible »[14]. Dans un article programmatique intitulé « Pour une histoire du droit de l’environnement » (1986), Pierre Lunel, Pierre Braun, Pierre Flandin-Bléty et Pascal Texier concluent que « l’apport de l’histoire du droit de l’environnement est de nature à enrichir admirablement la vision synchronique du positiviste d’un éclairage diachronique qui en conforte la signification ; par ailleurs, il est possible de confronter utilement les données recueillies sur des systèmes juridiques du passé aux acquis de la recherche comparatiste suivant une méthode strictement synchronique »[15]. À cet article doit être joint celui de Jean-Louis Gazzaniga qui démontre « Ce que l’histoire du droit peut apporter au droit de l’environnement » en se référant aux sources législatives, aux coutumiers, à la jurisprudence, à la correspondance des intendants, aux actes de la pratiques, aux actes notariés, aux cartulaires, aux recueils d’actes – notamment ceux des abbayes –, à la comptabilité ainsi qu’aux sources littéraires[16]. L’auteur identifie quatre domaines d’études : le monde rural et les défrichements ; la forêt ; les questions de santé, d’hygiène, de salubrité ; l’urbanisation et l’industrialisation[17]. De tels domaines[18] – à l’exception toutefois du dernier – offrent d’envisager des recherches sur le long terme, depuis l’Antiquité, comme en témoignent Les airs, les eaux et les lieux d’Hippocrate[19], ou Les aqueducs de la ville de Rome de Frontin[20]. Le thème vital de l’eau abordé dans ces deux œuvres a été récemment analysé sous l’angle de la réglementation depuis la période romaine jusqu’à l’époque contemporaine[21]. L’approche se révèle particulièrement riche à la fois pour l’historien mais également pour les juristes. L’histoire du droit de l’environnement montre l’impact des réglementations antérieures sur le droit contemporain, notamment en matière de protection des forêts, des eaux ou de lutte contre les nuisances : « Le droit des installations classées de 1976 est directement issu du décret napoléonien du 15 octobre 1810 ; le droit minier et le droit forestier datent toujours pour bon nombre de leurs règles du XIXe siècle ; la protection des sites de la loi de 1930 n’est que l’aménagement d’une loi de 1906 »[22].
Problématique et propositions attendues
Pendant longtemps, la nature a été affectée au service des besoins humains : elle était protégée en raison de son utilité et non pour elle-même. À partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle et surtout du XIXe siècle s’opère un changement de perception des préoccupations environnementales. Le discours scientifique fait prendre conscience de la valeur intrinsèque de la nature et insiste sur sa protection et sa conservation, tant sur terre que sur mer. L’ensemble des mesures adoptées depuis le début du XIXe siècle préfigure et prépare la reconnaissance officielle et les évolutions considérables du dernier tiers du XXe siècle, allant jusqu’aux controverses récentes sur les droits reconnus aux entités non humaines. Les antécédents historiques permettent de saisir les continuités et les ruptures du droit environnemental. Qualifié de « notion caméléon » (M. Prieur), de « droit-maïeutique » (J. Morand-Deviller), de « droit foisonnant » (L. Fonbaustier) ou encore de « droit rhizomatique » (P. Legal), l’environnement transcende de plus en plus la summa divisio classique droit privé/droit public jusqu’à questionner les catégories juridiques de manière plus générale. Mais la matière se situe également à la jonction de plusieurs disciplines : analysé par les historiens[23], les philosophes[24] et les sociologues[25], l’environnement voit son champ d’étude redéfini par les sciences sociales. Les interrogations sur sa refondation amènent à le considérer résolument dans une dimension holistique englobant à la fois plusieurs approches : historique, comparée, anthropologique.
Dans cette perspective, il conviendrait d’envisager la façon dont le droit a traité ce qui compose le droit de l’environnement : les ressources – végétales, animales, minérales –, les milieux de vie au sens large et la question de leurs préservations contre les sources de pollution, de nuisance, etc. ; enfin, les espaces naturels et la genèse de leurs différents statuts. Il est également possible d’étudier les limites que certaines normes liées a priori au droit de l’environnement ont pu connaître. Par exemple, le droit de propriété a-t-il favorisé la protection de la nature ou bien, au contraire, doit-il être analysé historiquement comme une de ses principales limites ? Une telle interrogation amène à s’interroger sur la question des biens communs. La réflexion peut être élargie au domaine des idées politiques, comme en témoigne le mouvement des physiocrates qui, en dépit d’une logique productiviste, a posé les premiers jalons d’un développement harmonieux et durable[26]. L’histoire du droit colonial[27], l’histoire du droit des affaires, l’histoire de la fiscalité, etc., offrent aussi de nouveaux champs d’exploration favorisant l’étude des circulations normatives en matière environnementale. Plus largement, l’histoire environnementale, apparue aux États-Unis il y a une cinquantaine d’années, demeure, en France, encore peu développée.
Les Journées internationales de la Société d’Histoire du Droit souhaitent promouvoir un dialogue diachronique, intersectoriel et interdisciplinaire autour de la nature et de l’environnement.
Les propositions de communication (titre et « synopsis ») sont à envoyer avant le 10 avril 2025 à l’adresse suivante : shd.nantes@gmail.com.
[1]. Rachel CARSON, Silent Spring, Boston, Houghton Mifflin Company, 1962, Traduction par Jean-François GRAVRAND : Printemps silencieux, Paris, Plon, 1963 (rééd. 1968, 2009, 2012, 2014, 2022).
[2]. Christopher D. STONE, « Should Trees Have Standing ? Toward Legal Rights for Natural Objects », Southern California Law Rewiew, vol. 45, 1972, p. 450-501.
[3]. Jacques ELLUL, Trahison de l’Occident, Paris, Calmann-Lévy, 1975, p. 174.
[4]. Jehan de MALAFOSSE, Le droit à la nature. Le droit de l’environnement, aménagement et protection, Paris, Montchrestien, 1973.
[5]. Jean UNTERMAIER, La conservation de la nature et le droit public, thèse droit, Lyon, 1972.
[6]. Michel PRIEUR, Droit de l’environnement, Paris, Dalloz, 1984, n° 4.
[7]. Jehan de MALAFOSSE, « La genèse du régime juridique de l’environnement », Revista del Instituto de Ciencias sociales, 1974, p. 9-31, p. 9-10.
[8]. Michel DESPAX, Droit de l’environnement, Paris, Librairies techniques, 1980.
[9]. Jacques-Henri ROBERT et Martine RÉMOND-GOUILLOUD, Droit pénal de l’environnement, Paris, Masson, 1983 ; Michel PRIEUR, Droit de l’environnement, op. cit.
[10]. Jehan de MALAFOSSE, « Le droit des autres à la nature », dans Étienne DRAVASA, Claude ÉMERI, Pierre JAUBERT, Albert MABILEAU et Jean-Louis SEURIN (dir.), Religion, société et politique. Mélanges en hommage à Jacques Ellul, Paris, PUF, 1983, p. 511-522, p. 511.
[11]. Jehan de MALAFOSSE, « L’histoire du droit moderne », dans Hommage à Robert Besnier, Paris, Société d’histoire du droit, 1980, p. 147-154, p. 149.
[12]. Ibid., p. 152.
[13]. Michel PRIEUR, Droit de l’environnement, op. cit., n° 14.
[14]. Jérome FROMAGEAU, « Réflexions relatives à l’histoire du droit et de la protection de la nature », dans Anne CADORET (dir.), Protection de la nature. Histoire et idéologie, Paris, L’Harmattan, 1985, p. 208-220, p. 209-210. Voir aussi Jérôme FROMAGEAU et Philippe GUTTINGER, Protection des espaces naturels et histoire du droit, Paris, SFHE, 1987 ; id., Droit de l’environnement, Paris, Eyrolles, 1993.
[15]. Pierre LUNEL, Pierre BRAUN, Pierre FLANDIN-BLÉTY et Pascal TEXIER, « Pour une histoire du droit de l’environnement », RJE, 1986, p. 41-46, p. 46.
[16]. Jean-Louis GAZZANIGA, « Ce que l’histoire du droit peut apporter au droit de l’environnement », Droit et Ville, t. 47, Entreprise et environnement, 1999, p. 11-20, p. 17-18.
[17]. Ibid., p. 18-19.
[18]. Sur le troisième domaine d’étude, voir : Jean-Pierre BAUD, « Le voisin protecteur de l’environnement », RJE, 1978, p. 16-33, et « Les hygiénistes face aux nuisances industrielles dans la première partie du XIXe siècle », RJE, 1981, p. 205-220 ; Jean-Michel POUGHON, « La voirie de Montfaucon, illustration d’une politique d’hygiène publique », RJE, 1983, p. 189-205.
[19]. HIPPOCRATE, Les airs, les eaux et les lieux. Le serment, Traduction par Émile LITTRÉ, Paris, Arléa, 1995 ; Airs, eaux, lieux, Traduction par Pierre MARÉCHAUX, Paris, Payot & Rivages, 1995. Voir Jean-Pierre BAUD, « Quelque chose d’Hippocrate à l’origine du droit de l’environnement », dans Marie CORNU et Jérôme FROMAGEAU (éd.), Genèse du droit de l’environnement, Paris, L’Harmattan, 2001, 2 vol., t. I, p. 23-26.
[20]. FRONTIN, Les aqueducs de la ville de Rome, Traduction par Pierre GRIMAL, Paris, Les Belles Lettres, 1944.
[21]. Anthony MERGEY et Frantz MYNARD (éd.), La police de l’eau. Réglementer les usages des eaux : un défi permanent, Paris, Johanet, 2017.
[22]. Michel PRIEUR, Droit de l’environnement, op. cit., n° 14.
[23]. Voir notamment Robert DELORT et François WALTER, Histoire de l’environnement européen, Paris, PUF, 2001, et Rémi LUGLIA, Rémi BEAU et Aline TREILLARD (dir.), De la réserve intégrale à la nature ordinaire. Les figures changeantes de la protection de la nature, XIXe-XXIe siècle, Rennes, PUR, 2023.
[24]. Voir spécialement Michel SERRES, Le contrat naturel, Paris, Flammarion, 1990, rééd. 2020 ; id., Le Mal propre. Polluer pour s’approprier ?, Paris, Le Pommier, 2008 (rééd. 2012) ; id., « Le droit peut sauver la nature » [interview], Pouvoirs, n° 127, Droit et environnement, 2008, p. 5-12. Pour la philosophie du droit, voir François OST, La nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit, Paris, La Découverte, 1995 (rééd. 2003) ; id., « Le juste milieu. Pour une approche dialectique du rapport homme-nature », dans Philippe GÉRARD, François OST et Michel VAN DE KERCHOVE (dir.), Images et usages de la nature en droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1993, p. 1373.
[25]. Pierre LASCOUMES, L’éco-pouvoir. Environnement et politique, Paris, La Découverte, 1994.
[26]. Thérence CARVALHO, « Les physiocrates : précurseurs de l’écologie politique ? », Commentaire, n° 169, 2020, p. 115-120.
[27]. Éric de MARI et Dominique TAURISSON-MOURET (dir.), L’impact environnemental de la norme en milieu contraint. Exemples de droit colonial et analogies contemporaines, Paris, 4 vol., t. I à III, Victoires éditions : t. I, 2012 ; t. II, Ranger l’animal, 2014 ; t. III, L’empire de la propriété, 2016 ; t. IV, Fiscalité contre nature, EdiSens, 2020.