Comme tous les autres grands services de l'Etat de l'époque moderne, la justice est soumise à un effort de centralisation et d'uniformisation qui se poursuit jusqu'à l'époque contemporaine. Alexis de Tocqueville l'a montré en son temps pour le Royaume de France dans l'Ancien Régime et la Révolution ; il reste à en faire la démonstration pour les Etats de Savoie, qui pourtant ne sont pas en retard au regard de la centralisation administrative et de la structuration du service public de la justice.
En effet, si Victor Amédée II proclame dans sa préface des Royales Constitutions de 1723 que « les armes et les lois ont toujours été les deux pôles immuables sur lesquels est fondé le bon règlement des Empires et des Royaumes », il a conscience, comme déjà ses prédécesseurs, que faire la loi est une expression majeure de la souveraineté. Cependant, en souverains avisés, les ducs de Savoie, puis les rois de Sardaigne, savent aussi que la loi n'a de valeur que si elle est effective, c'està- dire scrupuleusement respectée et appliquée, au besoin en ayant recours à la contrainte judiciaire. Autrement dit, la justice est une expression de la souveraineté au moins aussi importante que le pouvoir normatif ; elle en est le corollaire et, comme lui, une source de prestige. Elle est surtout un moyen pour les souverains d'imposer leur ordre dans leurs Etats. Mais pour cela, encore faut-il qu'elle soit parfaitement réglée, à commencer par l'organisation de l'appareil judiciaire. Or, dans un Etat aussi composite, construit par l'adjonction successive de territoires disparates, la reconquête, la construction et la progressive centralisation du système juridictionnel constituent une oeuvre séculaire. Entamé sous les ducs de Savoie (avec les Decreta seu statuta d'Amédée VIII en 1430) et Emmanuel- Philibert, ce mouvement s'amplifie avec le Royaume de Sardaigne et, bien que bousculé durant l'epoca francese (soit par la création d'un autre type de justice centralisée, soit en raison du rapport entre l'organisation judiciaire des territoires conquis et le Tribunal de Cassation de Paris), il reprend et se poursuit à la Restauration, non sans influence sur l'organisation judiciaire de l'Italie unifiée. De nombreux travaux de recherche ont déjà été entrepris dans ce domaine : on pense aux nombreuses initiatives, individuelles et collectives, consacrées aux Sénats des Etats de Savoie, dont certaines ont trouvé une place dans les volumes du PRIDAES. Il s'agira de s'en inspirer sans pour autant revenir sur les progrès accomplis par cette riche historiographie ; il en va de même pour les multiples études consacrées par le PRIDAES, dans d'autres domaines que la justice, aux rapports entre le centre et la périphérie.
Dans l'espace laissé libre par les recherches déjà entreprises, ce colloque aura pour objectif d'éclairer le processus de centralisation judiciaire des Etats de Savoie dans toute son ampleur et sur un large arc temporel s'étendant du XVe siècle au milieu du XIXe. Or la notion de centralisation est complexe : centraliser signifie hiérarchiser, fusionner, subordonner, soumettre, contrôler, uniformiser, répartir (et réduire) les compétences, se substituer, sanctionner au besoin… mais aussi moderniser, rationaliser et rendre plus opérationnel et efficace l'appareil judiciaire. Cette recherche d'efficacité suppose aussi l'existence de diverses juridictions spéciales qui sont autant de moyens d'une justice plus centralisée et opérationnelle cette recherche d'efficacité suppose aussi une nécessaire adaptation de la norme royale aux particularismes locaux (géographiques, par exemple dans le cadre des assises diligentées par les sénats). Parallèlement, la monarchie a certainement dû faire face à de multiples résistances, différences, particularismes, qui traduisent aussi la spécificité politique et institutionnelle des Etats de Savoie, et témoignent de « l'identité plurielle d'une monarchie composite » (Bianchi, Merlotti). Tout cela va dans le sens d'une justice plus centralisée et mieux contrôlée, mais en même temps « dans la diversité et le respect des particularismes » (Decourt-Hollender).
Pour illustrer les principales orientations de cette centralisation judiciaire, les thèmes abordés par ce colloque pourront être les suivants : Les moyens législatifs de la centralisation judiciaire (textes, lois, codes…) ; La centralisation judiciaire chez les juristes (doctrine…) ; La hiérarchie judiciaire : création de juridictions souveraines (Sénats, Chambre des comptes, consulats de mer) et inférieures (châtellenies, baillages, préfectures, conseils de justice, juges mages, mandements…) ; L'implantation de nouvelles juridictions suite à une acquisition territoriale ou un changement de souveraineté (comme durant les deux périodes d'occupation française); Le système d'appel et sa procédure ; Le droit d'évocation ; La cassation ; Les assises ; L'organisation ministérielle (ministère de la justice et des grâces) ; La hiérarchie, la discipline et le contrôle du personnel judiciaire (nomination, révocation, réduction de la vénalité des charges) ; La création et le fonctionnement de juridictions subalternes ; Le respect des particularismes (Aoste, Sardaigne, Ligurie…) ; La fonction de centralisation et d'unification du Ministère public qui a « la haute direction du service de la justice », une action préventive et répressive le cas échéant sous la forme de contrôles réguliers des justices subalternes notamment dans les procès criminels (abus, négligence, incompétences) ; L'extension des compétences (en première instance) des cours souveraines ; L'uniformisation de la procédure ; L'uniformisation de la jurisprudence (decisiones) ; A l'inverse tout ce qui échappe à la centralisation étatique (justices particulières, féodales, urbaines, ecclésiastiques, styles judiciaires…et leurs rapports avec le pouvoir central).
Modalités de soumission des propositions :
Les propositions de communications sont à soumettre à : marc.ortolani@univ-cotedazur.fr. Elles ne devront pas excéder 3000 signes (tout compris) et devront comporter une brève présentation de l'auteur et un bref descriptif des sources envisagées. L'envoi des propositions s'effectuera jusqu'au 31 mars 2025. Les candidats seront informés de la décision du comité organisateur au plus tard le 1er juillet 2024.
Le colloque se tenant à Gênes, les organisateurs prendront en charge l'hébergement et la restauration mais ne seront pas en mesure financer les déplacements qui resteront à la charge de chaque communiquant ou de son institution. Pour ceux qui ne pourraient pas se déplacer, le colloque est prévu sous forme hybride (en présentiel ou à distance). Merci d'indiquer dans la proposition de communication si celle-ci se fera en présentiel ou à distance.
Les communications au colloque seront d'une durée de vingt minutes en langue française, italienne ou anglaise. Les actes du colloque seront publiés.
XIXe colloque du P.R.I.D.A.E.S. (Programme de Recherche sur les Institutions et le Droit des Anciens Etats de Savoie). Organisation et coordination scientifique par Riccardo Ferrante, Lorenzo Sinisi, Marc Ortolani, Bénédicte Decourt-Hollender.