Le droit contre l’environnement (?)

Appel à communication

Le droit contre l’environnement (?)

Journée des doctorants et des jeunes docteurs de l’EMRJ

Date limite le lundi 21 juil. 2025

La relation du droit et de l’environnement n’est pas exempte de paradoxes. Souvent abordée comme un droit à un environnement (propre, sain et durable notamment[1]), parfois comme un droit avec l’environnement[2], elle s’énonce plus généralement comme un droit de l’environnement qui désigne l’ensemble des normes qui régissent la protection de l’environnement. Il est en revanche plus rare d’opposer le droit et l’environnement. L’emploi du terme contre n’a pas ici pour vocation de susciter un simple recensement des pratiques ou décisions politiques qui vont à l’encontre de la protection de l’environnement mais cherche à mettre en lumière le paradoxe évoqué. Si l’environnement est maintenant saisi par le droit, l’étude des normes applicables et des contentieux en la matière fait apparaître une conflictualisation des rapports entre des défenseurs d’intérêts divergents entraînant une juridictionnalisation de la protection de l’environnement. Face à ce constat, la tendance est à promouvoir le terme d’écologie. Si celui-ci désigne d’abord au regard de son étymologie, tantôt une science, tantôt un courant de pensée, son emploi apparaît comme marqué du sceau de la volonté de protéger les milieux et les espèces, en replaçant l’être humain sur un pied d’égalité avec ces dernières[3]

La protection de l’environnement intéresse ainsi la société dans son ensemble et, parallèlement aux questionnements juridiques, elle convoque d’autres disciplines comme la science politique, la sociologie, la philosophie et bien sûr l’écologie. Enjeu central du jeu démocratique, car les individus y sont de plus en plus sensibles, l’environnement est pourtant souvent la victime collatérale d’arbitrages politiques. Il en découle que la réflexion doit porter non seulement sur la fabrication, l’évolution et l’application du droit de l’environnement mais aussi plus largement sur la capacité du droit en général à protéger l’environnement. En ce sens, c’est ici le droit en tant qu’outil, mis au service d’intérêts contradictoires ou divergents, qui est au centre des interrogations. Certaines branches du droit entrent parfois en contradiction[4] et peuvent être utilisées stratégiquement contre la protection de l’environnement, ce qui installe la problématique d’une relation conflictuelle entre droit et environnement.

 

Axe 1 : L’(in)adaptation du droit à la protection de l’environnement ?

Sur le volet normatif, on peut se demander si le droit est toujours l’instrument pertinent pour mettre en œuvre les moyens de concourir à la protection de l’environnement. Le droit de l’environnement est aujourd’hui innervé par toutes les branches du droit. Certains concepts juridiques peuvent aller à l’encontre de la protection de l’environnement, comme le droit de propriété dont la puissance est telle en droit français qu’il a pu servir parfois d’argument permettant la destruction de milieux ou d’espèces. Les frontières du droit de propriété sont-elles compatibles avec « les frontières naturelles comme celles des écosystèmes »[5] ? Le droit répressif s’est saisi de la protection écologique et pourtant, la responsabilité sociale des entreprises et la compliance se développent comme un mécanisme de responsabilité ex ante [6] qui viendrait concurrencer le droit pénal. Sur le volet procédural, la question des référés peut être évoquée. S’il existe déjà des référés en matière environnementale[7], la création d’un référé-environnement dédié a pu être proposée en doctrine[8]. Par ailleurs, le droit en tant qu’outil, peine à se saisir de l’inclination naturelle au mouvement de protection des écosystèmes, soit parce qu’il intervient trop tard, soit par ce qu’il n’apporte aucune solution satisfaisante.

 

Axe 2 : L’instrumentalisation des rapports entre droit(s) et environnement 

Le droit en tant qu’outil est un instrument qui peut servir l’intérêt général ou des intérêts particuliers. Il peut être utilisé contre les intérêts de la protection de l’environnement. C’est le cas des recours-baillons intentés contre des journalistes, des universitaires[9] ou des associations à l’occasion desquels le droit est utilisé contre ceux qui s’engagent pour l’environnement. Les rapports entre démocratie au sens large (en tant que processus de production de la norme) et protection de l’environnement sont aussi une illustration de la confiscation du droit au service d’intérêts politiques antagonistes. À rebours de cela, la cause écologique peut se trouver elle-même victime d’une instrumentalisation contre la protection de l’environnement sur les plans procédural et normatif. L’institution d’un tribunal ad hoc pour juger des conséquences de l’utilisation du round-up[10] assume une dimension prospective à l’occasion d’un procès fictif, analysant des conséquences pourtant réelles. Sur le plan normatif, la protection de l’environnement est souvent l’objet de mesures qui constituent ce que l’on nomme l’écoblanchiment, ou greenwashing. De la part des entreprises ou des États, ces mesures, sous couvert de concourir à la lutte pour la protection de l’environnement, sont en fait un frein au développement de comportements plus éthiques.

 

Axe 3 : La conflictualisation des rapports entre droit(s) et environnement

Les rapports entre le droit et l’environnement sont de plus en plus réglés par les juges, lorsqu’ils n’apparaissent pas comme irréconciliables. Les droits internationaux de l’investissement et du commerce appréhendent la protection de l’environnement de façon marginale. Cela peut conduire à un gel normatif des États par crainte de potentielles représailles par des entreprises multinationales contre leurs mesures écologiques, ou à permettre à un État de ne pas mettre à exécution une décision de justice pourtant rendue par ses propres juridictions. En droit interne, les droits de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire sont une illustration de ces conflits. En contentieux administratif, la notion – inédite – de raisons impératives « d’intérêt public majeur », motif de dérogation à la protection des espèces, fournit une jurisprudence abondante par laquelle le juge administratif a eu l’occasion de préciser ce qui peut justifier une telle dérogation à la protection de l’environnement. La protection de l’environnement est devenue largement juridictionnalisée, qu’il s’agisse de projets d’envergure nationale ou de projets locaux, les juges sont des acteurs essentiels du contentieux en matière environnementale. Dans les litiges, les juges mettent en balance les intérêts économiques, sociaux, environnementaux et une conciliation est opérée, souvent en défaveur de la protection des écosystèmes. Cela entraîne une conflictualisation des rapports entre le droit et l’écologie et entre les différentes branches du droit et l’environnement. La montée en puissance du droit pénal de l’environnement notamment est une conséquence de cette conflictualisation. 

 

MODALITES DE REPONSE A L’APPEL  

Les propositions de communication sont à adresser au plus tard le lundi 21 juillet par courrier électronique sur colldroitcorse@gmail.com.

Il convient de préciser que si ce colloque est une journée destinée principalement aux doctorants et jeunes docteurs en droit, elle assume également une ouverture vers d’autres disciplines, la philosophie notamment. Le thème de l’environnement a pu faire l’objet d’écrits dans certaines matières qui sont indéniablement des références pour les juristes environnementalistes. 

Les propositions seront examinées par le comité scientifique de façon anonyme. Les contributions doivent comprendre le titre ainsi qu’un résumé de votre intervention en 5000 caractères maximum (espaces compris). Merci également d’indiquer :

  • Nom et prénom
  • Statut actuel et année d’avancement
  • Discipline de la thèse et directeur de thèse
  • Institution d’appartenance ou de rattachement

 

Projet porté par Anne-Laure Marietti, Gavinu Andreani et Elliot Doucy.

 

[1] Voir en ce sens : Perruso C., « Le droit à un environnement sain, propre et durable saisi par le droit international », Titre VII, 2024, Volume 13, disponible en ligne ici : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/le-droit-a-unenvironnement-sain-propre-et-durable-saisi-par-le-droit-international.

[2] Naim-Gesbert, É., « Un droit avec l’environnement », Revue Juridique de lEnvironnement, 2014, Volume 39(2), pp. 213-214.

[3] Voir « Écologie », Bourg D., Papaux A., Dictionnaire de la pensée écologique, Presses Universitaires de France, 2015.  

[4] Voir par exemple, sur la question des risques hypothétiquement liberticides de la lutte contre le changement climatique :

Dupré de Boulois X., « Les droits et libertés fondamentaux au défi de la lutte contre le réchauffement climatique », La Semaine juridique, Volume n° 25, 2023.

[5] Neyret L., « Chapitre 6. Construire la responsabilité écologique », Prendre la responsabilité au sérieux, Presses Universitaires de France, 2015, pp.117-136.

[6] Jombart (J.), « Responsabilisation des entreprises, compliance et droit pénal », Revue Juridique de l’Environnement, Vol. 48, 2023, pp. 527-536.

[7] Ballandras-Rozet C., « Quelle effectivité pour les référés-environnement ? » Revue Juridique de l’Environnement, Vol. 41, 2016, pp. 253-268.

[8] Voir notamment Kohlhauer E., « Le droit du contentieux administratif au service de l’urgence environnementale : pour un référé-environnement », Revue du Droit Public, 2023/4, pp. 1023-1044.

[9] Martin Gilles Martin, « Droit pénal : La doctrine a le droit d’écrire… C’est même sa fonction ! », note sous Tribunal correctionnel de Paris, 17ème chambre correctionnelle, 13 janvier 2017, Revue Juridique de l'Environnement, n°2, 2017, pp. 323-342.

[10] Noiville (C.), « De l’instrumentalisation au dévoiement du procès Quelques leçons du « tribunal Monsanto » », Grief, n° 5(1), pp. 17-24.