« Faites nous de bonne politique, et je vous ferai de bonnes finances ».
Cette célèbre expression est de Joseph-Dominique Louis, dit le Baron Louis, déjà conseiller au Parlement de Paris sous l'Ancien Régime, administrateur du Trésor public sous l'Empire, ministre des Finances sous la Restauration, qui lui doit son redressement financier.
Les ministres des souverains de la Maison de Savoie auraient pu inventer cette phrase avant lui, tant leurs maîtres se sont employés depuis le XVIe siècle à élaborer un système financier et fiscal capable de pourvoir aux besoins de leur monarchie en pleine croissance.
Or, les ambitions de ce petit Etat ne sont guère dissimulées, et inversement proportionnelles à sa taille modeste. Le roi Victor Amédée II les résumera ainsi : « grandir son Etat dans l'Europe, et son propre pouvoir dans l'Etat ». Pour ce faire, outre consolider les institutions et la législation, comme l'ont montré d'autres colloques du PRIDAES, c'est sur l'armée qu'il faut compter : « Les armes et les lois ont toujours été les deux pôles immuables sur lesquels est fondé le bon règlement des Empires et des Royaumes » rappelle la préface des Royales Constitutions de 1723.
Cependant, pour disposer d'une armée lui permettant de tenir son rang entre les grandes puissances qui l'entourent, il doit disposer de ressources considérables ; c'est pourquoi, cet Etat « tiré au cordeau », va développer une administration territoriale et fiscale, et faire preuve d'une véritable « rapacité fiscale », lui offrant les moyens de ses ambitions.
Depuis la restauration de la Chambre des Comptes en 1555, devenue Cour souveraine en 1560, les finances des Etats de Savoie bénéficient d'une attention toute particulière qui leur est portée par la Maison de Savoie.
L'administration centrale évolue. Après la Chambre des Comptes, dont une scission s'opère entre Turin et Chambéry, c'est le Trésorier et receveur général des finances qui est établi dès 1559, suivi du contrôleur général des finances en 1575, tandis que le Conseil des finances est réformé en 1717. Tous ont pour objectif, par leurs compétences respectives, de veiller à l'encaissement des ressources, à la régularité des dépenses ainsi que des procédures.
Cette optique d'efficacité ne se dément pas non plus au niveau local. Si les missions financières sont au début assurées par les officiers de finances, des agents spécifiquement institués sont bientôt chargés de veiller au bon fonctionnement de l'administration locale. De l'autre côté des Alpes, le référendaire, dont la charge est codifiée en 1624, et dont les compétences déjà nombreuses s'élargissent en 1628, est la fondation d'un édifice qui aboutit à l'établissement d'une bureaucratie financière moderne. Bientôt assisté par le direttore, il prépare l'arrivée prochaine de l'intendant au début du XVIIIe siècle, qui devient comme en France le représentant par excellence du pouvoir financier du souverain, et le modèle de la centralisation qui s'affirme. De ce côté-ci des Monts, une administration financière se développe sous l'autorité du trésorier général de Savoie, aboutissant à la stabilisation, au début du XVIIe siècle, de trésoreries provinciales et de quelques recette spécialisées (étapes, guerre…).
Au-delà de l'administration, la fiscalité n'échappe pas aux bons soins des ducs de Savoie, ensuite rois de Sardaigne. Initialement conseillés par l'assemblée des trois états, les souverains s'affranchissent de leur encombrante présence dès le XVIe siècle quant à la création ou la direction des impôts.
Ceux-ci entament, en parallèle des institutions qui les encadrent, une évolution qui met plusieurs siècles à se stabiliser. Le tasso en Piémont et à Nice et la taille en Savoie, établis sur le modèle de la taille française mais fondé plutôt sur la propriété foncière, devient, avec la gabelle du sel et les taxes à la consommation (cottis, gabelle…), l'impôt de base de la fiscalité savoisienne. Les difficultés d'application de l'impôt direct amènent la multiplication des impôts indirects, et c'est ainsi que la Maison de Savoie se distingue fiscalement par la diversité de ses impositions et la pluralité de ses régimes d'exception.
Mais d'ores et déjà, dans une vision qui préfigure les idéaux des Lumières, et même si l'objectif d'égalité de tous les sujets devant l'impôt n'est pas celui de la Maison de Savoie, la lutte contre l'inégalité fiscale devient un des chevaux de bataille du pouvoir, orchestrée par de nombreux ministres conseillers du prince. L'idée est d'aboutir, plutôt qu'à une stricte égalité, à une péréquation des impôts, par le biais de deux séries de réformes : équilibrer la distribution des charges publiques entre les provinces, et diminuer les disparités de contribution entre les ordres. Dans ce but, la cadastration de toutes les propriétés, même non privilégiées, dès la fin du XVIIe siècle, les négociations avec le saint Siège dans le premier tiers du XVIIIe siècle, l'inventaire de toutes les terres féodales pendant la même période, permettent d'aboutir à un système général de péréquation, fixé dès avant le milieu du siècle. Désormais, tous les biens à quelques rares exceptions près concourent aux besoins de l'Etat.
Cette politique constante et persévérante d'amélioration des finances, conduite sur un temps long, consacre la volonté d'accroître l'efficacité d'une administration des finances nécessaire à l'affirmation du pouvoir, sans sacrifier l'irréductible diversité des Etats de Savoie.
La Révolution française et ses conséquences dans les Etats de Savoie bouleversent les efforts et l'organisation des finances du royaume, a fortiori dans les parties de ces Etats annexées à la France. Il est difficile de réduire cette période à une parenthèse, même si la monarchie restaurée à partir de 1814 a tenté de le faire croire en prétendant rétablir purement et simplement l'administration d'avant la Révolution. Comme dans le domaine de la justice, l'expérience française a pu inspirer des réformes, au début des années 1820 – on peut penser dans le domaine fiscal à l'établissement d'un régime de taxation des successions – ou au début des années 1830 ou à la fin des années 1840, étapes bien connues de réformes administratives de la monarchie sarde. Globalement, les archives regorgent de documents fiscaux qui semblent, en l'état des connaissances, sous-exploités. Si ce processus de « modernisation » est mieux connu, tant dans ses objectifs que dans ses modalités, à l'heure de « l'ère Cavour », celle-ci ne saurait totalement être exclue de la présente enquête dans la mesure où elle permet d'interroger la profondeur de la rupture ou des continuités avec la politique des décennies précédentes.
Les colloques du PRIDAES ont déjà abordé de nombreux aspects de la souveraineté politique, judiciaire et administrative des Etats de Savoie, mais aucun n'avait encore mis en lumière le terrain des finances publiques et de la fiscalité, pourtant si essentiel au développement et à la vie d'un Etat.
L'objectif de ce colloque est de parvenir à mieux cerner l'organisation des institutions financières et fiscales au sein des Etats de Savoie, évaluer leur progressive transformation, les liens qu'elles entretiennent entre elles, les privilèges auxquelles elles ont pu se heurter, comprendre comment elles ont été utilisées au service de leur politique de croissance, mais aussi mieux appréhender la perception intellectuelle et sociale qui en a été faite au fil de leur évolution.
Les thèmes abordés par ce colloque pourront être les suivants :
- Rôle des finances dans la construction de l'Etat (assise de la puissance ducale puis royale – législation, guerre, réduction de la féodalité, relations entre l'autorité publique et les financiers – endettement, groupes d'influence – financiers, munitionnaires, banquiers, orientation des politiques publiques, traduction constitutionnelle des principes fiscaux.
- Institutions financières centrales (Juridictions spécialisées – organisation, recrutement, personnel, fonctionnement, attributions, jurisprudence, administration centrale - officiers, commissaires, recrutement, attributions)
- Comptabilité publique / Pratiques budgétaires (Principes généraux, budget, compte exactorial – ressources et dépenses -, états financiers - par exemple, bilans de Savoie évoqués par Claude Paris, ordonnancement, systèmes comptables, déviances, contrôle, sanctions)
- Institutions financières locales (Agents ducaux puis royaux, tutelle, pratiques locales, mécanismes de péréquation)
- Fiscalité (Fiscalité directe, fiscalité indirecte, fiscalité locale, modes de répartition, modes de recouvrement)
- Droit fiscal (Particularisme du droit fiscal, exorbitance, équilibre pouvoir de l'Etat / droits des administrés)
La dimension économique et sociale de l'imposition pourra aussi être abordée (redistribution, relations entre l'autorité publique et les contribuables), de même que la dimension philosophique et idéologique (pensée fiscale, des auteurs italiens notamment, par exemple Gabriele Verri, magistrat et futur sénateur défenseur des privilèges milanais face à la montée des réformes).
Une approche comparatiste des finances publiques et de la fiscalité des Etats de Savoie : place financière des Etats de Savoie dans l'Europe - origine de certaines pratiques, copiées sur d'autres pays – impact éventuel de la Révolution française - Relations avec les places financières des autres pays - endettement auprès de banquiers étrangers.
Modalités de soumission des propositions :
Les propositions de communications sont à soumettre à : marc.ortolani@univ-cotedazur.fr
Elles ne devront pas excéder 3000 signes (tout compris) et devront comporter une brève présentation de l'auteur et un bref descriptif des sources envisagées. L'envoi des propositions s'effectuera jusqu'au 31 mars 2024. Les candidats seront informés de la décision du comité organisateur au plus tard le 1er juillet 2024.
Le colloque se tenant à Chambéry, les organisateurs prendront en charge l'hébergement et la restauration mais ne seront pas en mesure financer les déplacements qui resteront à la charge de chaque communiquant ou de son institution. Pour ceux qui ne pourraient pas se déplacer, le colloque est prévu sous forme hybride (en présentiel ou à distance). Merci d'indiquer dans la proposition de communication si celle-ci se fera en présentiel ou à distance.
Les communications au colloque seront d'une durée de vingt minutes en langue française, italienne ou anglaise. Les actes du colloque seront publiés.
Appel à Communications pour le XVIIIe colloque du P.R.I.D.A.E.S. (Programme de Recherche sur les Institutions et le Droit des Anciens Etats de Savoie), organisé et coordonné scientifiquement par Karine Deharbe, Marc Ortolani, Bruno Berthier et Sylvain Milbach.