Peinture, romanité et droit dans la grande Renaissance européenne

Appel à communication

Peinture, romanité et droit dans la grande Renaissance européenne

Colloque de Rome, 12-14 octobre 2023

Date limite le mercredi 01 mars 2023

 

La grande Renaissance européenne

Depuis les travaux de Jules Michelet, les historiens ont tendance à attribuer à la Renaissance des formes et un sens précis : située au cœur des XVe et XVIe siècles, elle donnerait un élan au monde moderne en s'appuyant sur une résurgence des formes de l'Antiquité. On lui prête volontiers d'être une période de rupture avec un obscur Moyen Age, et d'apporter ainsi aux hommes un peu des lumières du passé là où n'existaient plus que les ténèbres.

Une des ambitions du Colloque « Peinture, romanité et droit dans la grande Renaissance européenne » – organisé en collaboration entre les universités de Paris- Saclay, de La Rochelle et l'Istituto Nazionale di Studi Romani – est précisément de défaire le mythe d'une Renaissance qui serait homogène dans ses buts, dans ses manifestations institutionnelles, juridiques et culturelles, ainsi que dans ses limites temporelles et spatiales. L'ambition est de repenser la place de la Renaissance dans l'histoire, en prenant en considération la Romanité juridique commune aux différents régimes européens de la période.

C'est la raison pour laquelle nos réflexions seront ouvertes à une « grande Renaissance européenne » dont la naissance peut être envisagée dès le XIVe siècle dans les Flandres, en France ou en Italie sous l'impulsion des études sur le droit romain renouvelées par les postglossateurs, et pourrait prendre fin dans le XVIe siècle après les conclusions du concile de Trente (1563) ou bien à l'issue des guerres de religion consacrée par l'édit de Nantes (1598).

Le fait de considérer la période élargie aux XIVe-XVIe siècles et à l'ensemble des pays européens nous permettra d'enrichir nos échanges et de développer un regard d'histoire comparée sur le droit et les institutions dans ce que nous avons nommé la grande Renaissance européenne.

 

Peinture, romanité et droit

Penser une convergence entre la peinture et le droit romain redécouvert n'est-il pas justement le meilleur moyen de saisir la Renaissance dans son ensemble ? Dès le XIVe siècle, les peintres sont associés aux pouvoirs titulaires de la jurisdictio et diffusent à travers l'art une certaine conception du pouvoir héritée des leges, et accompagnée d'un régime normatif – Quentin Skinner considère que les peintres sont devenus des philosophes politiques. Ne peut-on pas leur ajouter le qualificatif de jurisprudents au sens romain du terme, de penseurs éclairés du droit et des institutions de leur temps ?

En tout état de cause, celui que Jacob Burckhardt place au cœur de sa Civilisation de la Renaissance en Italie – le juriste florentin Leon Battista Alberti – incarne tout à fait une convergence entre peinture et droit. Son traité De Pictura (1435) est le fruit d'une vraie volonté de « transformer » la scientia juris médiévale en l'ouvrant à d'autres disciplines culturelles, et notamment à la peinture, devenue ars major, indissociable de la Renaissance. Les écrits d'Alberti sur la perspective linéaire ont pu faire dire à la doctrine qu'elle est une « forme symbolique » (au sens d'Ernst Cassirer) des institutions républicaines, ainsi qu'une mise en beauté de la place centrale accordée à la volonté individuelle dans la création du jus proprium florentin.

Alberti définit le cadre de la représentation du pouvoir politique. Il se fait héritier de l'humanisme civique florentin en proposant de placer le pouvoir de l'image au service de l'image du pouvoir. Mais ne peut-on pas identifier des antécédents de la révolution albertienne (puis des continuateurs ou même des opposants) dans la grande Renaissance européenne ?

Ce colloque fera la part belle à toutes les interventions qui permettront d'enrichir cette problématique.

Plusieurs exemples viennent déjà à l'esprit. Quelle vision du pouvoir royal en France offre le Gothique international des XIVe et XVe siècles ? Il s'agit bel et bien d'une manière délibérée de représenter une institution de pouvoir, et non d'une mode française, puis européenne, dans la mesure où même à Florence, en 1459, indépendamment de toute logique, alors que les Médicis parviennent à détourner les institutions de la République florentine, Cosme l'Ancien choisit de confier la réalisation de la Chapelle des Mages, magnifiant le pouvoir des siens, au représentant du Gothique international italien, Benozzo Gozzoli, faisant fi des grands principes de la représentation florentine posés par Alberti vingt-cinq années auparavant.

Est-ce que les statuts des communes républicaines, en conformité avec la volonté des citoyens, et non plus seulement avec celle de Dieu, trouvent leur pendant dans le réalisme des représentations peintes dès le XIVe siècle par les Primitifs flamands et italiens ? Est-ce un hasard si ce sont ces communes républicaines nées dans les Flandres, puis dans la péninsule italienne qui, après avoir placé l'individu au cœur du pouvoir et des institutions, ont su développer la pratique du portrait individuel et poussé aussi loin la représentation mimétique ?

Qu'en est-il des tableaux de peinture nés dans les villes du Saint-Empire, en Espagne, en Angleterre ? Quelle pensée juridique transparaît dès le début du XVIe siècle du Maniérisme princier d'un Jules Romain ou d'un Primatice, ou encore du Baroque lié à la Contre-Réforme ?

Enfin les tableaux de peinture et les pensées juridiques traditionnellement inclus dans le même mouvement présentent-ils des nuances selon les zones géographiques et en fonction des hommes de pouvoir qui en sont les commanditaires ? Piero della Francesca peint-il de la même manière pour le duc d'Urbin que pour Sigismond Malatesta à la cour de Rimini ? Les élèves de Jules Romain diffusent-ils le même Maniérisme dans le Fontainebleau de François Ier que dans l'Alhambra de Charles Quint ?

Les interventions pourront se tenir en français, en italien ou en anglais. Nous vous remercions de bien vouloir préciser dans quel(s) axe(s) de recherche pourront s'insérer vos réflexions. De mentionner également le tableau de peinture étudié et l'intitulé de votre communication.

 

 

Axes de recherche proposés

 

1. Mathématisation du monde, de la pensée juridique et des institutions exprimée par la peinture.

L'une des caractéristiques majeures de la Renaissance est la création de modèles géométriques établissant la synthèse des connaissances dans chacune des disciplines scientifiques. Benoît Frydman a récemment montré dans Le sens des lois combien le « modèle géométrique d'interprétation des lois » est caractéristique de la « science des Modernes ». Un modèle qui prendrait ses racines dans l'Antiquité, traverserait la grande Renaissance européenne, et atteindrait son apogée au cours du XVIIe siècle de Leibniz.

Une convergence entre Peinture et Droit dans l'analyse peut enrichir notre compréhension du phénomène de géométrisation, ou mathématisation, du monde à la Renaissance.

Leon Battista Alberti – qui débute le Livre Premier de son De Pictura en concédant « emprunter aux mathématiciens ce qui concerne [son] sujet » – ne construit-il pas toute la théorie de la perspective linéaire sur les bases d'une notion à la fois géométrique, artistique et juridique : le templum ? L'espace pictural serait un templum : un espace esthétiquement et juridiquement délimité « à partir duquel l'histoire représentée pourra être considérée ».

La géométrie se trouve donc bien au fondement de l'œuvre d'art. Sans templum, sans lieu de l'historia – pour reprendre la terminologie albertienne – il n'existerait ni fiction ni figure.

Discuterons-nous d'une des questions les plus débattues par les spécialistes depuis le milieu du XXe siècle, en proposant de déterminer la nature précise et le sens renaissant de ce templum ? Permet-il la rencontre des mondes religieux et juridique – comme le pense Michel Serres –, ou bien offre-t-il – comme l'affirme Erwin Panofsky – une vision déthéologisée du monde ?

Depuis la fin des XIVe siècles siennois et flamand, l'espace pictural tend à la géométrisation. La perspective linéaire florentine et ses lignes d'architecture incarnent l'aboutissement, sur le plan formel, de cette mathématisation du monde et de sa représentation. Par sa volonté d'enchâsser les figures inscrites dans la cité réelle, la perspective œuvre pour un respect strict des proportions géométriques. En son sein, les figures prennent la mesure de l'évènement : le jardin renaissant, par exemple, figure géométrique par excellence, est omniprésent dans la peinture de la grande Renaissance. Jardin et perspective entretiennent d'ailleurs une relation singulière : il suffit pour s'en convaincre d'observer les jardins peints par Domenico Veneziano dans son Annonciation. Hortus conclusus ou jardins humains ? Espaces religieux ou bien déthéologisés ? Qu'expriment-ils du rapport entre l'homme et la nature ? Qu'ont-ils de juridique, ces jardins peints qui deviendront « à la française » après que Charles VIII a eu le bon goût d'accueillir à Amboise et à Blois, dès 1495, le jardinier du roi de Naples, Pacello da Mercogliano ?

 

2. Utilisation d'un langage mythique antiquisant dans le but de légitimer une institution de pouvoir.

A partir du XIVe siècle, deux types de gouvernements de dérivation romaniste s'installent durablement dans la grande Renaissance européenne : les gouvernements républicain et princier. Chacun d'eux utilise la peinture afin de légitimer son modèle, et l'on peut affirmer qu'au moins à partir des fresques d'Ambrogio Lorenzetti dans le palais public de Sienne (1338), « art de gouverner » et « art de représenter » ont tendance à se confondre, à s'influencer l'un et l'autre, et à converger au bénéfice des titulaires du pouvoir.

Les historiens du droit peuvent par conséquent déceler des liens structurels entre art et institutions à la Renaissance. D'autant plus facilement que les artistes renouvellent tout un catalogue de formes et de figures politiques capables de « mettre en récit » l'organisation institutionnelle de leur entité politique – qu'il s'agisse d'un royaume, d'une cité libre ou d'un fief impérial.

Notre hypothèse est la suivante : les gouvernements républicains confient le pouvoir aux citoyens et se représentent par le biais d'une narration historicisée au cœur de l'entité politique. Une telle représentation ambitionne de se rapprocher du réel, elle s'humanise et obéit à une logique géométrique telle que nous l'avons présentée dans le premier axe. Les gouvernements princiers reconnaissent en revanche la supériorité politique du prince, dûment désigné parmi les membres les plus éminents de l'aristocratie locale. Leur représentation politique obéit à un langage mythique mettant en scène une figure politique humaine largement idéalisée – le prince – entourée de personnages issus de la mythologie gréco-romaine.

Quel regard devons-nous poser sur la résurgence d'un langage mythique dans les représentations de la grande Renaissance européenne ?

Ernst Cassirer nous a avertis dans son Essai sur l'Homme : « La mythologie n'est pas seulement une masse informe de superstitions ou d'erreurs grossières ; […] mais elle possède une forme systématique ou conceptuelle » dont il faut saisir la structure originelle et le dynamisme qui en exprime l'intentionnalité. Pour quelles raisons le mythe fait-il son apparition au déclin de la République florentine – comme en témoignent les œuvres d'un Botticelli ? Pourquoi s'enracine-t-il dans les représentations dites maniéristes du pouvoir pontifical commanditées par le pape Jules II, et s'épanouit-il jusqu'à outrance dans les cités princières (Mantoue, Gênes) – ou les royaumes princiers (France, Espagne) – du début du XVIe siècle ?

Quelles sont les logiques politiques des langages mythique et géométrique ? Sont-ils ontologiquement opposés ?

Un élément de réponse se trouve peut-être dans le fondement originel des pouvoirs républicain et princier. On reconnaît aux citoyens républicains une auctoritas tandis que les princes possèdent une dignitas. Les premiers gagnent une auctoritas qui doit être continûment renouvelée par une action politique citoyenne d'utilité publique, tandis que les seconds jouissent d'une pleine légitimité dès la naissance. Par conséquent, le citoyen auctor sera celui dont la figure politique investit le nouveau templum, celui dont ses contemporains pourront contempler l'action politique effectuée dans l'instant de l'historia, tandis que la dignitas du prince n'a nul besoin d'être renouvelée ou même consolidée, elle est exprimée dans un monde irréel, hors du temps, mythique, d'où elle procède.

La représentation du pouvoir princier serait un simple decorum, elle se suffirait à elle- même, pure expression de la dignitas du prince (du latin decere : « convenir », duquel dérivent à la fois decens : « ce qui convient », dignitas : « le titre qui convient », et decorum : « la représentation qui convient »).

 

3. Etude juridique et/ou institutionnelle d'un élément figuratif du champ de la représentation.

La représentation est elle-même la fonction première de la peinture figurative. Un regard juridique posé sur un élément du champ de la représentation (une seule figure, un détail, ou la configuration générale d'une œuvre) est le bienvenu, car il peut enrichir nos discussions et augmenter notre compréhension des liens de convergence entre Peinture et Droit.

Certaines figures peintes peuvent être explicitement juridiques, à l'image de la double représentation de Raphaël dans la Chambre de la Signature : La remise des Pandectes à l'empereur Justinien / La remise des Décrétales à Grégoire IX, utilisée en première page de ce document afin d'illustrer notre colloque. D'autres figures peuvent posséder une dimension juridique de manière plus implicite. Soit parce qu'elles mettent en scène un évènement fondateur d'une évolution juridique – nous pensons ici au thème de la Cité idéale, et au Napoléon dans son cabinet de travail (Jacques Louis David), bien que ce chef-d'œuvre dépasse le cadre temporel que nous nous sommes fixés. Soit parce que l'élément représenté intéresse directement les historiens du droit. Une représentation de la Justice La Justice des villes du Saint-Empire aveuglée par des fous (Sebastian Brandt) ; des juges Les juges intègres (Jan Van Eyck) ; du Pouvoir Zeus foudroyant les Géants (Jules Romain dans le palais du Té) ; du Gouvernement L'allégorie du Bon et du Mauvais Gouvernement de Sienne (Ambrogio Lorenzetti) ; du Contrat Femme échangeant une hostie contre un manteau (Paolo Uccello) ; de l'Autorité L'unité de l'Etat (Rosso, dans la Galerie François Ier du château de Fontainebleau). La liste peut être prolongée.

 

Comité scientifique

  • Paolo Alvazzi Del Frate, Professore ordinario di Storia del diritto medievale e moderno, Università degli Studi di Roma Tre
  • Boris Bernabé, Professeur agrégé d'histoire du droit, doyen de la faculté Jean Monnet, Université Paris-Saclay
  • Anthony Crestini, Docteur en Histoire du droit, Universités de La Rochelle et de Roma Tre
  • Maria Rosa Di Simone, Professore ordinario di Storia del diritto pubblico medievale e moderno, Università degli Studi di Roma Tor Vergata ˗ Istituto Nazionale di Studi Romani

 

Nous vous invitons à proposer une intervention au Colloque de Rome en adressant l'intitulé de votre sujet, le tableau de peinture étudié, l'axe de recherche dans lequel s'insèrent vos réflexions, ainsi qu'un résumé (500 mots maximum) avant le 1er mars 2023 à l'attention conjointe du Professeur Boris Bernabé (boris.bernabe@universite-paris-saclay.fr) et de Monsieur Anthony Crestini (anthony.crestini@univ-lr.fr). Les congressistes seront informés des conditions d'accueil à Rome ainsi que de la programmation scientifique définitive dans le courant du mois de mars.