Le lien entre mesure et droit semble bien établi et se retrouve dans la littérature. Ainsi Balzac écrivait : « Nous ne devons avoir qu'un poids et une mesure et faire des procès partout ». A l'inverse, chez Voltaire, le plaideur s'interroge : « Puisque les tailleurs et les cordonniers s'accordent d'un bout du royaume à l'autre, pourquoi les juges n'en font-ils pas autant ? », ce à quoi l'avocat lui répond : « Ce que vous demandez est aussi impossible que de n'avoir qu'un poids et qu'une mesure ? Comment voulez-vous que la loi soit partout la même, quand la pinte ne l'est pas ? . L'unité de mesure apparaît ainsi consubstantielle à l'idée de justice. La formule « Un roi, une loi, un poids et une mesure » constitue d'ailleurs aussi l'une des revendications largement partagée par les trois ordres dans les cahiers de doléances de 1789.Peut-on alors toujours avoir un poids et une mesure en droit ? Pour le juge, cela est gage de son impartialité. Toutefois, le terme de mesure ne saurait se réduire au sens pris au sein de cette expression. En effet, ce mot est polysémique et cette polysémie rejaillit sur sa prise en compte par la matière juridique. Il faut néanmoins souligner que l'objet de cette manifestation scientifique sera de se concentrer sur la mesure au sens d'évaluation d'une grandeur ou d'une quantité, d'unité de mesure, d'élément de référence. La mesure ne sera donc pas, ici, entendue, au sens très large, de moyen pris pour atteindre un objectif (il ne s'agira donc pas d'étudier, par exemple, les mesures disciplinaires, les mesures d'administration judiciaires, les mesures pénales, etc. qui mériteraient une réflexion à part entière).
Dès lors, la signification retenue du terme de « mesure » renvoie aux modalités d'évaluation d'une grandeur ou d'une quantité, mais également au résultat de cette opération. En ce sens, le droit prend en compte de nombreux éléments de mesure. Cette évaluation en termes de grandeur ou de quantité s'effectue de manière plus ou moins arithmétique. Ainsi, la prise en compte des superficies en droit immobilier ou le calcul de la quotité disponible en matière successorale n'ont rien à voir, par exemple, avec l'évaluation de la charge de travail en droit social, ou encore avec l'appréciation des performances d'une entreprise. De même, le comptage des chômeurs (dès la fin du XIXe siècle), ou encore les pratiques de mesures anthropométriques telles que celles pratiquées par Bertillon n'ont, elles non plus, rien de commun à part ce lien ténu entre, précisément, mesure et droit. Il est, par ailleurs, à noter que la proportion ou la disproportion innerve de larges pans de la matière juridique et suppose aussi une évaluation, une mesure. On songe alors, bien entendu, au contrôle de proportionnalité, mais au-delà de ce contrôle, la notion de proportion existe d'ores et déjà en droit substantiel (pour ne donner que quelques exemples : la disproportion du cautionnement, la disproportion manifeste de l'article 1221 du Code civil en matière d'exécution forcée, la proportionnalité de la riposte, mais également de la peine en droit pénal, les notions de disproportion ou de déséquilibre de l'article L. 442-1 du Code de commerce, etc.).
Dans toutes ces hypothèses, des questions méritent d'être posées : Que mesure-t-on ? Comment mesure-t-on ? Qui effectue ces mesures ? Le juge semble un acteur privilégié, le législateur également, mais ils ne sauraient être les seuls à l'heure des agences de notation et de la « gouvernance par les nombres » (le rôle des cabinets de conseil, des autorités administratives indépendantes, mais également de certaines organisations internationales tel que le Groupe de la Banque Mondiale pourrait, par exemple, être envisagé).
Quels sont les outils permettant d'effectuer de telles mesures et quelle est leur efficacité, leur efficience (barème Macron, nomenclature Dintilhac, méthodes de calcul en matière de prestation compensatoire, etc.) ?
Enfin, la question de la mesure du droit lui-même pourra être soulevée. La simplification du droit et la confiance dans la justice sont des préoccupations essentielles de notre société. L'actualité de l'open data des décisions de justice et la multiplication des legal tech renouvellent les interrogations à ce sujet. Peut-on ou pourra-t-on bientôt mesurer la qualité du droit ? Selon quels outils et dans quels objectifs ?
Comité scientifique
Solenne Hortala (MCF en droit privé, IDP), Sébastien Ranc (MCF en droit privé, CDA) et Romy Sutra (MCF en histoire du droit, CTHDIP).
Calendrier
Les propositions de contribution de deux pages maximum doivent être rédigées en français et sont à adresser au plus tard le 30 juin 2022 à l'adresse suivante : mesuresetdroit@gmail.com
Les réponses aux propositions de contribution seront communiquées au plus tard le 1er août 2022.
Les actes seront publiés au sein de la collection « Actes de colloques » de l'Institut Fédératif de Recherche via les Editions Lextenso.