Appel à communication

Le pouvoir discrétionnaire en pratique(s). Rapports au droit, dilemmes moraux, et luttes juridiques

Colloque, Toulouse, 31 mars - 1er avril 2022

Date limite le vendredi 14 janv. 2022

Keynote speakers :

  • Sophie Wahnich (politiste et historienne, CNRS, IIAC-TRAM)
  • Isabelle Coutant (sociologue, CNRS, Iris)
  • Edenz Maurice (historien, SciencesPo Paris, Centre d'histoire)

 

Présentation et argumentaire

Cette double journée d'étude se propose d'examiner les formes et les effets (politiques, sociaux, organisationnels, etc.) de l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Elle s'inscrit dans le prolongement du travail mené dans le cadre du projet ANR DisPow (https://dispow.hypotheses.org/).

D'un point de vue juridique, le pouvoir discrétionnaire relève d'une action entreprise à l'appréciation d'une administration et/ou d'un agent public, sans que sa conduite ou décision ne lui soit dictée clairement ou de manière univoque par le droit. En principe, ce pouvoir est donc exercé par les détenteur·rice·s d'une autorité publique (centrale ou décentralisée, de maintien de l'ordre ou administrative) et se manifeste par leur liberté d'action lorsque les décisions qu'iels ont à prendre ne sont pas encadrées de façon stricte par des règles de droit et/ou des procédures détaillées (Van der Woude et Van der Leun 2017). Cette « compétence discrétionnaire » est alors accordée par la loi aux agents de l'Etat, tels que les fonctionnaires administratif·ve·s (Laurens 2008, Miaz 2019). Elle permet, du moins en théorie, de distinguer « pouvoir discrétionnaire » et « mesures arbitraires », les dernières renvoyant à des pratiques abusives car prises manifestement en décalage par rapport aux textes juridiques, aux procédures, ou aux compétences attribuées aux agents concernés (Chauvet 2009). Néanmoins, les textes peuvent se prêter à des interprétations tellement différentes (ou rentrer en conflit entre eux) que la frontière entre discrétionnaire et arbitraire est parfois difficile à tracer (Fassin 2014, Campbell 1999).

Si l'existence d'un pouvoir discrétionnaire est consubstantielle à l'activité des agents de l'Etat (fonctionnaires préfectoraux, forces de l'ordre, magistrats etc.), l'actualité politique (des violences policières aux questionnements que soulève la gestion récente des crises sanitaires et sociales) encourage à approfondir la compréhension des logiques et pratiques relevant du pouvoir discrétionnaire via la comparaison entre plusieurs terrains d'enquête et plusieurs groupes d'acteur·rice·s  (dans le domaine de la santé, de la justice, de l'éducation, du travail, de la culture, etc.).

Dans le cadre du projet DisPow, les enquêtes menées ont exploré les multiples facettes du pouvoir discrétionnaire en pratique(s) en se focalisant à la fois sur des territoires spécifiques, les frontières, et sur un champ juridique particulier, le droit des étranger·e·s : en effet, ces deux focales permettaient de montrer à quel point l'imprécision des critères législatifs ou règlementaires laisse la possibilité - ou impose la responsabilité - aux acteurs publics mais aussi privés de choisir comment interpréter les règles ou consignes et donc comment agir face à une situation concrète, avec comme conséquences principales, d'une part, des pratiques très disparates selon le territoire, l'organisation du service, les enjeux réputationnels au sein du groupe, etc., et d'autre part, un accès des étranger·e·s à leurs droits très aléatoire. Ainsi, nous avons commencé à explorer les formes et les effets d'un pouvoir discrétionnaire qui désigne la sphère d'autonomie à l'intérieur de laquelle les agents de l'administration (Spire 2008, Dubois 2009), mais aussi les « faiseurs de frontière » (transporteurs, contrôleurs, agents de sécurité etc.) (Guenebeaud 2019) et les accompagnant·e·s (juristes bénévoles, avocat·e·s, activistes) (Lendaro 2021) peuvent prendre différentes décisions au sujet des personnes en situation de migration, et ce, pas forcément en l'absence d'une règle mais plus souvent en présence d'une multiplicité d'injonctions ou de suggestions dont le degré de contrainte varie (Parrot 2019).

A la suite d'une première journée d'étude qui s'est tenue en ligne en décembre 2020, cette double journée d'étude a vocation à faire dialoguer des travaux empiriques, épistémologiques et méthodologiques consacrés aux modalités concrètes de l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans différents domaines, à sa conceptualisation, comme aux stratégies d'enquête et d'interprétation des données.

Quelles sont les manifestations de ce pouvoir et que nous disent-elles de phénomènes sociaux plus globaux tels que l'évolution des inégalités entre groupes sociaux, l'effectivité des libertés publiques, la défiance envers les institutions, ou encore la place du droit dans les mouvements sociaux ? Comment les chercheur·e·s composent-iels en pratique avec les spécificités de ce pouvoir, afin de le soumettre à investigation ?

Nous souhaitons organiser les échanges autour de trois ensembles de questionnements principaux, non-exclusifs d'autres interrogations :

 

1)     Les expériences du pouvoir discrétionnaire

Quelles dynamiques (rapport de forces et/ou collaborations) traversent voire constituent l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire par les individu·e·s ou groupes concernés par son application concrète ? En quoi les formes et les effets du pouvoir discrétionnaire en pratique(s) nous renseignent-ils sur les rapports au droit et à la légalité des acteur·rice·s qui l'exercent (Ewick et Silbey 1998, Pélisse 2005) ? Quels apprentissages du politique (Soss 1999) apparaissent via la rencontre avec le droit et ses marges d'interprétation ? Quels sont les policy feedbacks et les rapports ordinaires à l'Etat qui se développent suite à l'expérience du discrétionnaire (Spire 2016) ?

 

2) Les acteur·rice·s du pouvoir discrétionnaire et leurs dilemmes

Quels sont les dilemmes moraux auxquels sont confrontés les acteur·rice·s pouvant exercer un certain pouvoir discrétionnaire (dans la santé, à l'école, au sein d'une entreprise, etc.) ? Quelles économies morales (Fassin et Eideliman, 2012) ces dilemmes contribuent-ils à renseigner ? Dans quels espaces sociaux (professionnels, militants, etc.) ? Quelles stratégies de résolution des dilemmes apparaissent à l'échelle individuelle et collective ? Quelle place est attribuée à l'informel, à la ruse, aux pratiques souterraines, à la désobéissance (Scott 2013) ? A l'inverse, de quelles manières et à quelles occasions le respect du droit des textes est-il convoqué ou invoqué ? Dans une perspective plus micro-sociologique, quelles ruptures professionnelles ou biographiques précèdent, coexistent ou suivent l'exercice du pouvoir discrétionnaire ?

 

3) Réactions au pouvoir discrétionnaire : usages stratégiques et militants du droit

Quels usages stratégiques et/ou militants du droit sont-ils mis en œuvre en réaction à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire considéré comme arbitraire et donc injuste ? Quelles luttes sont davantage investies par la judiciarisation (Commaille 2008) et pourquoi ? Dans quel cadre (procès, procédures de conciliation, recours administratif…) (Kawar 2011, Doherty et Hayes 2011) et à quelles conditions (médiatisation, pétition, soutien institutionnel, syndical, populaire…) le droit peut-il être considéré par les acteur·rice·s comme un outil de changement social (McCann 2006, Galanter 1974, Israël 2009) ?

 

Nous encourageons les jeunes chercheur·e·s en sciences sociales (sociologie, histoire, géographie, science politique, anthropologie, droit, etc.) à proposer des communications sur l'un de ces sujets. Sont particulièrement bienvenus les travaux comparatifs et les réflexions méthodologiques qui s'intéressent par exemple à la manière de saisir les traces du discrétionnaire et/ou les réalités matérielles du droit (archives, notes grises, circulaires, notes internes...) (http://topolex.fr).

 

Modalités de soumission des propositions de communication

Les propositions de communications ne devront pas excéder 5 000 signes. Elles comporteront un titre, la question de recherche, les principaux arguments ou la thèse démontrée, les principaux résultats, les méthodes mobilisées, sources et terrains étudiés, le cadre théorique dans lequel elles s'inscrivent, ainsi qu'une bibliographie sommaire.

Les propositions de communication sont à envoyer avant le 14 janvier 2022 aux l'adresses : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.  et à Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

Calendrier

  • 14 janvier 2022 : réception des propositions de communication
  • 28 janvier 2022 : réponse du comité scientifique
  • 15 mars 2022 : envoi du support de la communication
  • Jeudi 31 mars et vendredi 01 avril 2022 : journée d'étude.

 

 Nous envisageons de valoriser les échanges qui auront lieu à l'occasion de cette double journée par une publication collective (ouvrage ou numéro spécial de revue).

 

 

Bibliographie

 

  • Campbell, E. (1999) « Towards a sociological Theory of discretion », International Journal of the Sociology of Law 27, PP 79-101.
  • Chauvet, C. (2009) « Arbitraire et discrétionnaire en droit administratif », Gilles J. Guglielmi éd., La faveur et le droit. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, p. 335-355.
  • Commaille, J. (2008). 13. La judiciarisation : nouveau régime de régulation politique. Dans : Olivier Giraud éd., Politiques publiques et démocratie (pp. 305-319). Paris: La Découverte.
  • Doherty B., Hayes G. (2015), « The Courts: Criminal Trials as Strategic Arenas », in Jan Willem Duyvendak, James M. Jasper (Ed.), Breaking Down the State: Protestors Engaged, p. 27-51.
  • Dubois, V. (2009), Le paradoxe du contrôleur. Incertitude et contrainte institutionnelle dans le contrôle des assistés sociaux, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 178, 28-49.
  • Ewick P., Silbey S. (1998) The Common Place of Law. Stories from Everyday Life, Chicago and London, The University of Chicago Press.
  • Fassin D. (2014) « Pouvoir discrétionnaire et politiques sécuritaires. Le chèque en gris de l'Etat à la police », Actes de la recherche en sciences sociales, 201-202(1) 72-86.
  • Fassin, D. & Eideliman, J. (2012). Economies morales contemporaines. Paris: La Découverte.
  • Galanter, M. (1974). Why the 'Haves' Come out Ahead : Speculations on the Limits of Legal Change. Law and society review, 9(1), 95-160.
  • Guenebeaud, C. (2019), “Nous ne sommes pas des passeurs de migrants”: le rôle des transporteurs routiers et maritimes dans la mise en oeuvre des contrôles à la frontière franco-britannique. Lien social et Politiques, 83, 103‑122.
  • Israël, L. (2009). L'arme du droit. Presses de SciencesPo.
  • Kawar L. (2011), « Legal Mobilization on the Terrein of the State : Creating a field of Immigrant Rights Lawyering in France and the United States », Law and social Inquiry, 36 (2), 354-387.
  • Laurens S. (2008) « Les agents de l'Etat face à leur propre pouvoir. Eléments pour une micro-analyse des mots griffonnés en marge des décisions officielles », Genèses, 72(3) 26-41.
  • Lendaro, A. (2021). Défendre les « délinquant·e·s solidaires ». Quelles sont les limites de l'engagement des avocat·e·s de la cause des étranger·e·s ?. Droit et société, 107, 67-82.
  • McCann M. (Ed.) (2006), Law and Social Movements, Ashgate.
  • Miaz J. (2019). Le Droit et ses médiations : Pratiques d'instruction des demandes d'asile et encadrement institutionnel des décisions, Politique et Sociétés, 38 (1) 71-98.
  • Parrot, K. (2019). Carte blanche. L'Etat contre les étrangers, Paris, La Fabrique.
  • Pélisse, J. (2005). A-t-on conscience du droit ? Autour des Legal Consciousness Studies. Genèses, n° 59(2), 114-130.
  • Scott, J. C. (2013). Zomia ou l'Art de ne pas être gouverné, Seuil.
  • Soss, J. (1999), « Lessons of Welfare : Policy Design, Political Learning, and Political Action », American Political Science Review, 93 (2), p. 363-380.
  • Spire, A. (2008). Accueillir ou reconduire - Enquête sur les guichets de l'immigration, Editeur Raisons d'agir.
  • Spire, A. (2016). Etat des lieux: Les policy feedbacks et le rapport ordinaire à l'Etat. Gouvernement et action publique, OL5, 141-156.
  • Van der Woude M., Van der Leun J. (2017), « Crimmigration Checks in the Internal Border Areas of the EU: Finding the Discretion that Matters », European Journal of Criminology, 14 (1), 27–45.
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Comité scientifique

  • Annalisa Lendaro, coordinatrice DisPow, CR CNRS sociologie, Certop
  • Marie-Laure Basilien-Guinche, PR droit, Université de Lyon 3
  • Hourya Bentouhami, MCF philosophie, Erraphis
  • Etienne Ciapin, Docteur en sociologie, chercheur associé, Certop
  • Guillaume Gaudin, MCF histoire, Framespa
  • Camille Guenebeaud, MCF géographie, Ladyss
  • Isabelle Keller-Privat, PU cultures anglo-saxonnes, CAS
  • Karine Lamarche, CR CNRS sociologie, CENS
  • Soline Laplanche Servigne, MCF science politique, Université Côte d'Azur, ERMES
  • Stéphanie Lima, MCF géorgraphie, Lisst
  • Mehdi Mezaguer, MCF droit, Université Côte d'Azur, ERMES
  • Bénédicte Michalon, DR CNRS géographie, Passages
  • Almodis Peyre, Doctorante droit, Université de Lyon 3
  • Oriana Philippe, Doctorante droit et géographie, Migrinter
  • Bastien Roland, Ingénieur d'études CNRS, Certop
  • Hilary Sanders, MCF cultures anglo-saxonnes, CAS
  • Thomas Sommer-Houdeville, post-doc sociologie, Certop
  • Daniela Trucco, post-doc science politique, Ecole Française de Rome

 

Pour toute question ou proposition, merci de nous contacter à : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Pour les infos pratiques, le programme et la liste des participant.e.s, rendez-vous sur le carnet Hypothèses de Dispow (https://dispow.hypotheses.org/)


Cette double journée d'étude se propose d'examiner les formes et les effets (politiques, sociaux, organisationnels, etc.) de l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Elle s'inscrit dans le prolongement du travail mené dans le cadre du projet ANR DisPow.