Droit civil – Droit du surendettement

Par Hervé CROZE

Professeur des Universités, Avocat honoraire au Barreau de Lyon

   

Cass. civ. 2ème, 17 mars 2016 : N° de pourvoi: 14-24986 ; Publié au bulletin

 

C’est un intitulé légèrement provocateur mais pas tant que cela. D’une part, tout étudiant a vécu cette situation angoissante, notamment dans le cadre d’un examen partiel, d’autre part, tout professionnel du droit est confronté à cette situation car, voyez-vous, on ne peut pas tout savoir, surtout dans l’état de complexité du droit actuel.

 

Voici les données du problème : vous connaissez naturellement le droit de la prescription extinctive civile (que l’on apprend soit en Droit des obligations, soit en Introduction au Droit), mais vous ignorez totalement le Droit du surendettement (que l’on apprend plus tard ou pas du tout et qui est très compliqué car il est dans le Code de la consommation qui change tout le temps : voir en dernier lieu la codification par l’Ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du Code de la consommation : JORF n° 0064 du 16 mars 2016). C’est dire qu’il va falloir se débrouiller avec les moyens du bord en devinant ce qu’on ne comprend pas.

Voici la décision à commenter dans laquelle on a surligné certains passages à la lecture :

 

Civ. 2ème, 17 mars 2016 : N° de pourvoi: 14-24986 ; Publié au bulletin

« Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 3 juillet 2014), que la Banque populaire du Nord (la banque) a accordé à M. et Mme X... trois prêts pour lesquels la société Casden banque populaire (la société Casden) s’est portée caution ; que M. X... ayant formé une demande de traitement de sa situation financière auprès d’une commission de surendettement, un plan conventionnel a été conclu, prévoyant à compter du mois d’août 2007 un moratoire de six mois portant notamment sur les créances de la banque et de la société Casden ; que M. X... a de nouveau saisi, le 27 mars 2008, une commission de surendettement d’une demande de traitement de sa situation, en déclarant, au titre du passif exigible, ses dettes à l’égard de la banque et de la société Casden ; que la commission de surendettement ayant déclaré cette demande recevable le 8 avril 2008, la banque a formé un recours contre cette décision ; que par une ordonnance du 15 décembre 2009, un juge de l’exécution a clôturé la procédure de traitement du surendettement en constatant que M. X... avait finalement refusé d’en bénéficier ; que la banque et la société Casden ayant assigné en remboursement M. et Mme X..., ces derniers ont soulevé la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en paiement ;

Attendu que la banque et la société Casden font grief à l’arrêt de dire que leurs actions sont irrecevables comme prescrites et de rejeter leur demande de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que l’arrêt attaqué a retenu que la saisine de la commission de surendettement par M. X... le 27 mars 2008 valait reconnaissance des créances de la banque , tout en relevant que cette saisine a été déclarée recevable par la commission de surendettement le 8 avril 2008 et que par ordonnance du 15 décembre 2009 le juge de l’exécution a constaté que M. X... a renoncé au bénéfice de la procédure de traitement des situations de surendettement ; qu’il en résultait que la prescription de l’action en paiement de la banque et de la société Casden avait été interrompue le 27 mars 2008 et que cette interruption avait produit son effet jusqu’au 15 décembre 2009, de sorte que l’action des exposantes n’était pas prescrite lorsqu’elle a été engagée le 31 janvier 2011 ; qu’en décidant le contraire, aux motifs propres et adoptés que la saisine de la commission de surendettement n’émanait pas du créancier mais du débiteur et que la commission n’avait pas suspendu les paiements, la cour d’appel a violé les articles 2240, 2241 et 2242 du code civil, et L. 331-6, L. 331-7 et L. 331-3-1 du code de la consommation ;

2°/ qu’en jugeant que le recours de la banque contre la décision de recevabilité de sa saisine rendue par la commission de surendettement le 8 avril 2008 n’interrompait pas la prescription au motif qu’il était distinct par son objet et sa cause d’une action en paiement, quand ce recours constituait une demande en justice au sens de l’article 2241 du code civil , la cour d’appel a violé ce texte ;

3°/ qu’en retenant que n’était pas précisée la date du recours de la banque contre la décision de recevabilité de sa saisine rendue par la commission de surendettement le 8 avril 2008, cependant que ce recours était nécessairement postérieur au 8 avril 2008 et qu’il avait produit son effet interruptif jusqu’au 15 décembre 2009, date de l’ordonnance du juge de l’exécution constatant la renonciation de M. X... au bénéfice de la procédure de traitement des procédures de surendettement, ce dont il suivait que l’action en paiement n’était pas prescrite lorsqu’elle a été exercée le 31 janvier 2011, la cour d’appel a violé les articles 2241 et 2242 du code civil ;

Mais attendu que le délai de prescription n’est pas suspendu pendant l’examen, par la commission de surendettement ou par le juge du tribunal d’instance, de la recevabilité de la demande formée par le débiteur ;

Et attendu que le recours formé par un créancier contre la décision par laquelle une commission de surendettement déclare un débiteur recevable en sa demande de traitement de sa situation financière ne constitue pas, au regard de son objet, une demande en justice de nature à interrompre le délai de prescription en application de l’article 2241 du code civi l ;

Que c’est dès lors à bon droit que la cour d’appel a retenu que la mise en oeuvre du recours formé par cette dernière contre la décision de recevabilité prise par la commission n’avait pas eu pour effet d’interrompre le cours de la prescription des créances ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ; »

 

LES FAITS ET LA PROCÉDURE

Le plus difficile est souvent de comprendre les faits. On peut y parvenir en établissant un calendrier à partir des dates indiquées dans la décision à commenter :

 

01/08/2007 Plan conventionnel de règlement 
27/03/2008 Nouvelle saisine de la commission de surendettement
08/04/2008 Décision de recevabilité de la commission de surendettement
15/12/2009 Ordonnance du juge de l'exécution clôturant la procédure de surendettement
31/01/2011 Action de la banque et de la Casden
03/07/2014 Arrêt de la Cour d'appel de Douai
17/03/2016 Arrêt de la Cour de cassation

 

(On remarquera qu’ici la « procédure » exposée est principalement la procédure de surendettement, donc on ne sait pas grand-chose par définition.)

 

Ce calendrier ne suffit pas évidemment. Il faut encore reconstituer les faits en s’aidant de l’arrêt. En substance :

- La banque a prêté à un couple (apparemment marié). Ce prêt est cautionné par la Casden, mais cette dernière ne se porte garante que si les débiteurs s’engagent eux-mêmes par un cautionnement à son bénéfice (c’est la pratique ; si on ne la connait pas il faut la deviner).

- L’époux forme « une demande de traitement de sa situation financière auprès d’une commission de surendettement ». On ne sait pas trop ce que c’est mais l’on suppose en fonction du contexte qu’il ne peut plus payer ses dettes. D’ailleurs, il obtient un moratoire, donc pratiquement des délais de paiement qui porte notamment sur les créances de la banque et de la Casden.

- Par la suite, une nouvelle demande de traitement de la situation de surendettement est formée (oui, ça arrive, mais encore une fois il n’est pas nécessaire ici de comprendre les détails). Ce qui est important c’est de noter que la banque forme un recours contre la décision déclarant cette demande recevable (peu importe ici encore que l’on ignore les conditions et les modalités de ce recours). Finalement le juge clôture la « procédure de surendettement » car le débiteur décide d’y renoncer (souvent les gens changent d’avis, c’est comme ça…).

La banque et la Casden assignent en paiement et, en résumé, la Cour d’appel juge que leurs actions sont prescrites.

 

LES TEXTES

Il est essentiel de connaitre précisément les textes appliqués. Nous allons prendre le parti d’ignorer totalement les textes du Code de la consommation puisque de toutes manières nous ne connaissons rien au Droit du surendettement.

Voici donc les textes du Code civil cités dans l’arrêt :

 

Article 2240

« La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription. »

 

Article 2241

« La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure. »

 

Article 2242

« L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance. »

 

PROBLÈME DE DROIT ET PLAN

Nous avons la chance de commenter une décision de la Cour de cassation qui est, par nature, très synthétique. On sait que la Cour d’appel a jugé les actions prescrites. Le pourvoi est rejeté, ce qui signifie que la Cour de cassation approuve la solution des juges du fond (ne pas dire qu’elle « confirme » car elle n’est pas un troisième degré de juridiction).

Reprenons intégralement les motifs qui ne sont pas très longs :

« …attendu que le délai de prescription n’est pas suspendu pendant l’examen, par la commission de surendettement ou par le juge du tribunal d’instance, de la recevabilité de la demande formée par le débiteur ;

Et attendu que le recours formé par un créancier contre la décision par laquelle une commission de surendettement déclare un débiteur recevable en sa demande de traitement de sa situation financière ne constitue pas, au regard de son objet, une demande en justice de nature à interrompre le délai de prescription en application de l’article 2241 du code civil ;

Que c’est dès lors à bon droit que la cour d’appel a retenu que la mise en œuvre du recours formé par cette dernière contre la décision de recevabilité prise par la commission n’avait pas eu pour effet d’interrompre le cours de la prescription des créances ; »

Il y a donc clairement deux points – ce qui peut être pratique pour rédiger un commentaire en deux parties :

1) le délai de prescription n’est pas suspendu pendant l’examen, par la commission de surendettement ou par le juge du tribunal d’instance, de la recevabilité de la demande formée par le débiteur ;

2) le recours formé par un créancier contre la décision par laquelle une commission de surendettement déclare un débiteur recevable en sa demande de traitement de sa situation financière ne constitue pas, au regard de son objet, une demande en justice de nature à interrompre le délai de prescription.

Les deux questions en cause sont donc :

  • la suspension de la prescription ;
  • l’interruption de la prescription.

(On remarquera qu’il n’est pas nécessaire de connaitre la durée du délai de prescription en l’espèce).

 

I - La suspension de la prescription

On aurait pu penser effectivement que si le débiteur demande à bénéficier de la procédure de surendettement, le créancier bénéficie d’une suspension de prescription. Eh bien non et ce pour deux raisons : une mauvaise et une bonne :

  • la mauvaise est que la demande émane du débiteur, or ce sont les initiatives du créancier qui interrompent la prescription, mais justement il s’agit alors d’interruption et non de suspension !
  • la bonne est tout simplement que cette demande de délais par le débiteur ne figure pas dans les cas de suspension prévus par le Code civil :
    • certes l’article 2234 du Code civil rappelle que « la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure », mais précisément d’une manière générale la procédure de surendettement ne suspend pas les poursuites, donc n’empêche pas le créancier d’agir (en tout cas l’étudiant malin déduira cela de l’arrêt ; en réalité c’est un peu plus compliqué, mais nous ne sommes pas des spécialistes du surendettement) ;
    • les plus malins d’entre nous pourraient également songer à solliciter l’article 2233 du Code civil qui prévoit que « la prescription ne court pas… à l'égard d'une créance à terme, jusqu'à ce que ce terme soit arrivé » ; or, il y a eu un moratoire qui retarde l’exigibilité des dettes… Contentons-nous ici de remarquer que la Cour de cassation ne prend pas cela en compte car nous ne sommes pas agrégés de droit.

 

II - L’interruption de la prescription

Rappelons qu’aux termes de l’article 2241, al.1 du Code civil :

« La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. »

Or, les créanciers avaient au moins formé un recours contre la décision de la commission de surendettement déclarant la demande du débiteur recevable. Ce recours ne pouvait-il pas être considéré comme une demande en justice ?

La Cour de cassation répond avec son habituelle subtilité qui agace aujourd’hui certains auteurs :

« le recours formé par un créancier contre la décision par laquelle une commission de surendettement déclare un débiteur recevable en sa demande de traitement de sa situation financière ne constitue pas, au regard de son objet, une demande en justice de nature à interrompre le délai de prescription. »

Elle ne nie donc pas qu’il s’agisse d’une demande en justice, mais elle considère qu’ « au regard de son objet », elle n’est pas de nature à interrompre la prescription. En le disant plus brutalement : ce n’est pas une demande en paiement !

(Si l’on manque d’idées pour remplir le B’, on peut signaler l’article 2242 du Code civil qui ajoute que « l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance », autrement dit : l’interruption est suivie d’une suspension).

H. C.

Faculté de Droit