Présentation de l’éditeur
On définit trop volontiers la pensée politique libérale, censée caractériser la modernité, par l’idée qu’elle aurait affranchi les actions humaines du réseau de normes morales qui les entravaient dans la philosophie ancienne et médiévale pour ne plus les assujettir qu’à des motifs de prudence et de calcul de l’intérêt bien compris. Ce serait en particulier le cas du droit de propriété qui, dans son acception moderne, serait un droit inconditionnel d’acquérir issu d’un désir de satisfaction lui-même illimité, un droit censé ne permettre la maximisation de la richesse – son objet essentiel – qu’à la condition d’être absolu, libéré de toute obligation de prendre en compte les besoins de subsistance ou d’indépendance des tiers.
Cet ouvrage tente au contraire de montrer, sur l’exemple de la théorie grotienne du droit d’appropriation, que la matrice libérale est profondément ancrée dans l’idée que les individus sont doués d’une égale valeur morale et que, en conséquence, aucune de leurs actions ne peut être légitime si elle n’est pas compatible avec cette égalité de valeur, si elle ne ménage pas les droits qu’ils ont en tant que personnes morales égales. Dans cette approche alternative, la propriété exclusive est légitime parce qu’elle répond non au désir, mais au besoin de subsistance de l’espèce humaine. Elle perd en revanche sa légitimité lorsqu’elle fait obstacle à la satisfaction de cette exigence.
Jean-Fabien Spitz est professeur émérite de philosophie politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.