Présentation de l'éditeur
Chaque année, plus de 600 000 personnes sont condamnées par la justice française. Leurs sanctions s’étalent de légères amendes à de lourdes peines de prison. Ces jugements font l’objet d’une exposition médiatique intense, de critiques nombreuses et d’évaluations contradictoires. La justice pénale est tour à tour qualifiée de laxiste, de discriminatoire et de partiale ; elle est accusée de s’acharner sur certains ou de représenter les intérêts d’un groupe ou d’une classe… Pourtant, cette défiance masque une relative méconnaissance des mécanismes de la décision judiciaire. Pour expliquer ses modulations, de nombreux paramètres sont évoqués. Parfois inconciliables, ceux-ci vont d’un légalisme strict – les juges ne feraient qu’appliquer la loi à la lettre – à un contextualisme absolu – les peines prononcées dépendraient de « ce que les juges ont mangé au petit déjeuner ».
À partir d’un travail de recherche inédit fondé sur l’analyse de vastes bases de données individuelles, en particulier le casier judiciaire national français, ce livre déconstruit les verdicts pour en analyser les déterminants. Comment l’avalanche de lois et les mesures prises par l’exécutif infléchissent-elles le travail des magistrats ? La justice est-elle rendue uniformément sur l’ensemble du territoire ? Est-elle influencée par l’actualité ou les caractéristiques des parties ? Quels biais sont susceptibles de l’affecter ? Les critères des juges diffèrent-ils de ceux des citoyens ?
En répondant à ces questions fondamentales et en éclairant les relations entre le pouvoir politique et l’institution judiciaire, Arnaud Philippe nous permet d’envisager la « demande de sévérité » exprimée par les sondages et l’« inflexibilité » sécuritaire affichée par les élus sous un tout autre jour.
Arnaud Philippe est normalien, docteur en économie de Paris 1, et enseignant-chercheur à l’université de Bristol. Après avoir travaillé en prison dans le cadre d’activités associatives, il a collaboré pendant huit ans avec le service statistique du ministère de la Justice français. Il publie en 2022 aux éditions La Découverte La fabrique des jugements. Comment sont déterminées les sanctions pénales.
Sommaire
Introduction
Formalisme et réalisme juridique
Les économistes à l’assaut du droit pénal
Crimes et délits
Pourquoi sont-ils sanctionnés ?
Qui sont-ils ?
Que leur arrive-t-il ?
Première partie. D’encre et de papier : les déterminants légaux et institutionnels des sanctions
1. Définir le cadre
Les dix commandements (et quelques)
Une activité parlementaire frénétique
Ordre public et tribunaux
Choisir des sanctions
Définir des maximums
Un cadre lâche
Crédibilité et peines relatives
De l’hémicycle à la cour
Un instrument difficile à manier ?
Une activité parlementaire frénétique (bis)
Correctionnalisation n’est pas raison
Les juges ignorent-ils les législateurs ?
2. Contraindre
Un démarrage pied au plancher
Toute la loi, pas plus que la loi
Un difficile maintien de la cohérence des décisions
Remettre des barreaux à l’échelle
Une fin… qui n’en est pas une
Tout ça pour quoi ?
Ignorer la loi ?
Remplir les prisons
Bilan : un succès politique bâti sur une politique publique inefficace
3. L’amont du procès
Contrôler les flux : la mise en place de la « politique du chiffre » en France
« Les chiffres, on leur fait dire ce qu’on veut »
Répercussions en cascade
De la non-indépendance du parquet
La politique du chiffre (épisode 2)
Améliorer les chiffres par des lettres
Quand le procureur se fait juge
Une incohérente cohérence
Présomption de culpabilité
Couvrir ses arrières
4. L’intendance suivra
De la cour à l’enceinte
L’effet des conditions de détention
Y a-t-il un « appel d’air » carcéral ?
Juger, c’est prévoir
De l’intérêt des aménagements
Plus, c’est moins… ou un peu pareil
Seconde partie. De chair et d’os : des décisions humaines
5. Un homme dans la cité
Une société normée
Querelles de clochers
Le fracas du monde et le silence de la cour
6. Race, classe, genre
La justice est-elle aveugle à la couleur ?
Le biais racial aux États-Unis
La France, une et indivisible ?
Des biais accentués par le contexte
Un paternalisme pénal ?
Bonnie et Clyde
Le sexe des juges
7. Dans la tête des juges
De regrettables erreurs de logique
Non-indépendance des événements
Sophisme du procureur
Négligence des probabilités de base
Systématismes et biais cognitifs
Poser l’ancre ne permet pas d’arriver à bon port
Assurer les gains, risquer les pertes
Du passé (ne) faisons (pas) table rase
À quoi ressemble le hasard ?
Sophisme et cohérence
Le poids de l’expérience
8. Choisir des juges, choisir ses juges
Le peuple crie-t-il vengeance ?
De l’opinion à la décision
« Que dit le peuple français ?
Qu’il veut une plus grande sévérité »
Splendeur et misère de la démocratie judiciaire
La justice par les urnes
Justice à vendre
Souvent juge varie (s’il est élu)
Conclusion
Des pouvoirs séparés mais imbriques
Le juge, le politique et le citoyen
Des jugements sous influence
Quand les sciences sociales changent le monde
Pour le meilleur et pour le pire