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Parution : 12/2009
Editeur : Editions de la Sorbonne
ISBN : 978-2-8594-4586-7

L'idée de révolution : quelle place lui faire au XXIe siècle?

Sous la direction de Olivier Bloch

Présentation

La marche des idées accompagne celle du monde, tantôt la suit, tantôt la précède.
La fin du «court» XXe siècle (1914-1991) fut celle de trois siècles marqués par l’idée de révolution, des espoirs qu’elle suscitait, des craintes et réprobations qu’elle soulevait, des effets qu’elle a contribué à produire. L’idée de révolution au début du XXIe siècle, époque de restauration, de réaction, voire de contre-révolution, de timidité aussi de la part de ceux qui pouvaient s’en réclamer, a décidément mauvaise presse.
Des journées d’études furent en 2003 l’occasion de s’interroger sur cette idée et sur les processus qu’elle dénote, à la fois du point de vue historique, politique et social, et du point de vue culturel, scientifique, technique et artistique, d’en préciser la teneur conceptuelle et d’explorer les perspectives dont elle pourrait
rester porteuse. Le présent livre constitue le dossier de ces journées: sa lecture permettra de mesurer l’actualité persistante de la réflexion sur l’idée de révolution, que les développements intervenus dans la période la plus récente de notre histoire ont singulièrement renforcée.

 

Auteurs

Maurice Agulhon, Santo Alessandro Arcoleo, Emmanuel Barot, Zeïneb Ben Saïd Cherni, Jacques Bidet, Jean Godefroy Bidima, Olivier Bloch, Jacques Bonitzer, Suzanne de Brunhoff, Jean-Yves Château, Emmanuel Chubilleau, Jean-Pierre Cléro, Gilles Cohen-Tannoudji, Jacques D’Hondt, Christian Ferrié, Jean Gayon, Didier Gil, Andrew Infanti, Abdelaziz Labib, Jean-Yves Lacroix, Jean Maurel, Günther Mensching, Éric Puisais, Paolo Quintili, Jean Salem, Mariafranca Spallanzani, Claudia Stancati, André Tosel, Yves Vargas.

 

Table des matières

  • Préface,Jacques D’Hondt (cf. infra)
  • Introduction, Olivier Bloch

Première partie. Moments d’une histoire
«Révolution».

  • Entre idée philosophique et catégorie de la pensée, Santo Alessandro Arcoleo
  • L’ Utopie de Thomas More et l’idée de révolution, Jean-Yves Lacroix
  • «Le triomphe de la raison s’approche». L’ Encyclopédie et les «révolutions de l’esprit humain», Mariafranca Spallanzani
  • Rousseau: la révolution entre force et concept, Yves Vargas
  • Éthique universaliste, politique révolutionnaire. Un rapport, un problème ouvert. Diderot, Raynal, Kant, Paolo Quintili
  • Catastrophe et histoire: Boulanger et l’idée de révolution, Olivier Bloch
  • Dom Deschamps, métaphysique et révolution, Éric Puisais
  • Significations et fonctions de l’idée de révolution chez Auguste Comte, Zeïneb Ben Saïd Cherni
  • L’idée de révolution chez Proudhon: genèses et limites, Jean Godefroy Bidima
  • Dialectique et catastrophe: que faire de l’idée de révolution, autour de 1900?, Emmanuel Chubilleau

Deuxième partie. Sciences, arts, techniques.

  • Révolutions scientifiques, Jacques Bonitzer
  • La crise des fondements des mathématiques fut-elle révolutionnaire ?
  • (Sur l’avènement du paradigme axiomatico-ensembliste), Emmanuel Barot
  • Quanta et relativité: où en est-on?, Gilles Cohen-Tannoudji
  • Y a-t-il place pour un concept de révolution dans la théorie contemporaine de l’évolution biologique?, Jean Gayon
  • Révolution et invention dans les techniques. Position du problème. Contribution à l’étude de l’histoire de l’histoire des techniques, Jean-Yves Château
  • Informatique et télématique: révolution?, Didier Gil
  • Paradigmes et révolutions dans les sciences (et les philosophies) du langage, Claudia Stancati
  • Révolution surréaliste et surréalisme de la révolution. Sur l’allure révolutionnaire, Jean Maurel
  • Dissonance et décadence. Le cas paradoxal des révolutions esthétiques en musique, Andrew Infanti

Troisième partie. Le concept et la réalité : présent et avenir

  • Le mot et le thème de Révolution dans les débats politiques français, Maurice Agulhon
  • Mathématiques et révolution. Esquisse d’une leçon d’endroit et d’envers, Jean-Pierre Cléro
  • Pourquoi la révolution ne meurt pas (De Hegel à Marx sous le contrôle de Spinoza), Jacques Bidet
  • Idée de révolution et théories économiques, Suzanne de Brunhoff
  • Sur l’idée de révolution chez Lénine, Jean Salem
  • La révolution comme mouvement politique, Christian Ferrié
  • La révolution et le problème de la finalité historique. Faut-il oublier Marx?, Günther Mensching
  • Utopie et révolution, Abdelaziz Labib
  • Révolution et contre-révolution au XXIe siècle, André Tosel
  • Index des noms

Préface

Jacques D’Hondt, Université de Poitiers"Le lecteur s’étonnera peut-être de la grande diversité des révolutions dont cet ouvrage ranime le souvenir en les exposant, de la variété encore plus grande dans l’emploi des mots, et du désaccord des interprétations qui s’exaspère parfois jusqu’à l’incompatibilité. Comment se fier, dans ce tumulte, à la promesse d’une idée de la révolution, unique et unifiante, comment de telles dissonances pourraient-elles concourir, comme parfois en musique, à un accord parfait ?
Cet inventaire ne se prétend pourtant pas exhaustif. Il laisse pressentir une variété encore plus éprouvante, allant des révolutions les plus énormes jusqu’aux plus infimes, des plus fondamentales aux plus superficielles.
En explorant le passé, on en reconnaît sans cesse d’autres, plus ou moins méconnues jusqu’à maintenant, en tout, partout, toujours. Si tu les cherches, tu les trouves !
De page en page, on saisira et mesurera les différences qui séparent et opposent les domaines d’action, les modalités d’accomplissement, les conséquences. Et même dans l’histoire humaine, où le terme de révolution
a gagné avec le temps une sorte de privilège d’usage, la multitude des supports et des formes semble inépuisable, malgré des exclusives prononcées peut-être trop rapidement. Le mouvement révolutionnaire que constitue le passage de la barbarie à la civilisation, difficile à situer même hypothétiquement; l’enchaînement des modifications, alternativement bruyantes et silencieuses, qui désagrègent le système féodal; la grande Réforme religieuse du XVIe siècle en Europe. Autant d’exemples, parmi d’autres, qui se démarquent sans peine du modèle rétrospectif et prospectif: la Révolution de 1789, cette épopée prestigieuse, faite de péripéties contrastées et dramatiques, finalement réussie selon sa norme propre.
Rien de tout cela ne comblera entièrement l’attente des esprits vigilants.
La simple juxtaposition des événements, des constats, des définitions suffirait, au-delà du précieux apport documentaire et explicatif, à faire se lever des nuées de problèmes orageux. Il faut bien choisir, ne serait-ce que précairement, entre des vues antithétiques, et si l’on en vient à tomber dans le doute ou la perplexité, c’est encore un profit intellectuel. On se verra contraint de rechercher pour soi-même un critère d’authenticité des révolutions qui se différencient et se singularisent, d’articuler convenablement entre eux des éléments apparemment similaires mais temporellement décalés, de réduire des anachronismes, de démêler des enchevêtrements. Ne nous laissons pas confisquer subrepticement cette profusion, réjouissons-nous de ce tableau polychrome et vivant de l’histoire, de la richesse du monde. L’élan de la connaissance ne se heurte à aucune limite. Souhaitons que les beaux résultats acquis ici s’accroissent encore bientôt.
Ces patients travaux, ces enquêtes minutieuses, intrinsèquement plurielles, discriminantes, n’excluent toutefois aucunement, comme on le devine au détour de certains chapitres, le besoin d’une compréhension globale. Le
titre du livre assume d’ailleurs cette ambition avec audace: l’idée de révolution! Non pas tel ou tel bouleversement singulier, telle ou telle concrétion de faits repérés précisément hic et nunc et dont l’analyse est indispensable, mais ce qu’il y a peut-être de commun à toutes les révolutions et que l’on peut donc déceler en chacune d’elles, la révolution en général, le justificatif de son nom générique. Il y aurait une identité basale ou du moins une similitude de forme et de teneur de toutes les innovations successives, une persévérance de la surprise. La tradition de cette unité et de cette identité s’estompe quelque peu en notre temps, et déjà en conséquence d’une autre sorte de révolution, épistémologique celle-là. Notre époque préfère le disparate, elle conteste même la cohérence des révolutions particulières, elle se demande s’il y a véritablement eu une Révolution française.
La pensée dialectique aspirait naguère à retrouver la continuité de certaines séries de ruptures et à déceler de la rupture dans toutes les continuités. Aux yeux de quelques experts, elle passait pour «l’algèbre de la révolution» ou pour sa logique spécifique. L’une n’allait pas sans l’autre: «la dialectique est dans son essence critique et révolutionnaire», proclamait Marx. «Rien ne peut lui en imposer», insistait-il en refondant et aiguisant certains pressentiments de Hegel. Celui-ci assimilait la dialectique à «la puissance irrésistible
devant laquelle rien, quelque ferme et sûr qu’il puisse paraître, n’a le pouvoir de subsister».
Dans cette perspective, on ne pouvait éviter la question : les révolutions déterminées, concrètes, datées, rompent-elles la stabilité, la monotonie d’un ordre établi, stationnaire et durable, ou au contraire, la mobilité universelle, l’incessant devenir du monde et des sociétés humaines ne se trouvent-ils pas épisodiquement arrêtés et interrompus par des freinages, des barrages, des bouchons qu’ils finissent toujours par faire sauter? La révolution se présente alors comme un fleuve infini et tourmenté, une transformation persévérante, troublée, si l’on peut dire, par des incidents de parcours, des retards provisoires qu’elle parvient à intégrer, dont elle fait des moments ou des conditions de son avancée inéluctable. Marx la présente souvent, en ce sens
élargi, créant ses propres embarras, élevant elle-même sans cesse la barre afin de sauter toujours plus haut. Derrière ces images se développe une doctrine qui réclame bien des commentaires et des éclaircissements.
Elle rend compte du fait que de grands théoriciens révolutionnaires consacrèrent souvent plus de pages, et même de volumes, à l’étude des empêchements et des égarements de la révolution qu’à ses causes positives et ses encouragements. Les uns ne vont certes pas sans les autres, mais une vue totalisante autorise seule ces longs développements sur les idéologies retardatrices et les illusions paralysantes, ces longues dissections de notions telles que la «fixation», la «stagnation», la «sclérose» des activités productives, des institutions, des pulsations de la vie unanime. Termes significatifs, peu cités, rarement examinés par les exégètes.
Le mot révolution tolère alors toutes sortes de substituts qui expriment des nuances variables, parfois infimes, dans une certaine confusion. Au lecteur de s’activer! C’est à lui de chercher à comprendre ce que les auteurs tentent d’expliquer. Il lui faut élucider les textes. S’il est avisé, il ne se trompera guère, par exemple, sur les implications du mot allemand verändern, quand Marx invite audacieusement les hommes à «transformer le monde».
Comme ne s’y trompèrent pas les censeurs qui, dans la première édition d’une leçon de Hegel, caviardèrent précisément ce mot Veränderung qui devait désigner, selon l’auteur, «la catégorie principale de l’histoire». Chacun put apprendre en quoi consistait cette catégorie sans toutefois lire son nom! Cette lacune approfondissait la fascinante obscurité philosophique du propos.
La conception ou l’imagination dialectique de la révolution a surtout souffert, en notre temps, de prodigieux échecs pratiques. À quel prix une véritable idée de la révolution peut-elle se fonder et se soutenir théoriquement? Quels que soient les espoirs de l’atteindre et les efforts que cela exigera, cette saisie rationnelle implique une grande familiarité avec les événements concrets, une détection toujours plus précise de leurs conditions et de leurs causes. C’est le préalable: sous l’habillage des mots et des images, et tout en revendiquant les idées, les chercheurs veulent découvrir la réalité elle-même. Car certains épisodes historiques tentèrent de se faire passer frauduleusement pour des révolutions, et certaines révolutions s’avancèrent masquées sans que la plupart des contemporains les remarquent. La méfiance protège la science, le particulier soutient l’universel. Ce livre offre l’abondante matière d’une réflexion sérieuse".

 

Série Philosophie , Vol. 22 , 432 pages.  30 €