Présentation
Déclaré pour la première fois comme un crime par l'Assemblée générale des Nations unies en 1946 et interdit par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, le génocide est souvent considéré comme le « crime des crimes ». Contrairement aux trois autres grands crimes codifiés à nouveau depuis dans les statuts des différents tribunaux pénaux internationaux (dont le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) du 17 juillet 1998), le crime de génocide n’a jamais varié dans sa formulation. En comparaison, et jusqu’à il y a peu, il a en outre été plus rarement invoqué. Ses différents éléments n’ont, dès lors, aussi été que plus rarement interprétés dans la jurisprudence internationale, que ce soit par les tribunaux pénaux internationaux ad hoc comme les Tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda ou l’ex-Yougoslavie ou par la CPI. De cette permanence de la formulation du crime et de son interprétation comparativement plus limitée, certains ont déduit une force normative parmi les plus élevées en droit international, une valeur de reconnaissance historique des crimes commis et, c’est lié, un rôle avant tout préventif de son interdiction.
Depuis une vingtaine d’années, toutefois, une évolution significative se fait sentir grâce aux procès pénaux internationaux, puis nationaux pour génocide, notamment en ex-Yougoslavie et au Rwanda. En marge de ces procès, c’est aussi la violation de l’obligation de droit international qu’ont les États de prévenir le génocide qui est invoquée et précisée de manière de plus en plus fréquente en pratique. C’est ainsi que la jurisprudence de la Cour internationale de Justice (CIJ) s’est étoffée autour de l’obligation de prévention du génocide (p.ex. affaires Croatie c. Serbie (1999-2015), Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (1993-2007)). La clause de compétence de l’art. IX de la Convention de 1948 permet en effet à tout État partie à la Convention de saisir la CIJ d’un différend sur son interprétation. De plus en plus d’États y font recours, y compris afin d’obtenir un accès à la CIJ. C’est ainsi qu’actuellement, cette clause de compétence est au fondement de pas moins de cinq procédures contentieuses contre des États et, dès lors, de multiples ordonnances et arrêts à venir en lien avec la situation au Myanmar, en Ukraine, à Gaza et au Soudan : Soudan c. Émirats arabes unis (2025-), Nicaragua c. Allemagne (2024-), Afrique du Sud c. Israël (2023-), Ukraine c. Fédération de Russie (2022-) et Gambie c. Myanmar (2019-).
Face à cette évolution rapide de la pratique internationale en matière de génocide et aux nouvelles questions qu’elle soulève pour la conceptualisation du « crime des crimes », un bilan juridique et historique s’impose. Étant donné la place centrale qu’occupe à divers titres l’histoire au sein du raisonnement juridique en matière de génocide (p.ex. au titre de sources coutumières, de preuve, de causalité ou encore d’attribution de comportement, voire de responsabilité), il est intéressant d’y procéder en dialogue avec les historiens. La Convention de 1948 invite d’ailleurs les juristes à se rapprocher des historiens, voire participe à leurs débats, puisqu’elle reconnaît dans son préambule « qu’à toutes les périodes de l’histoire le génocide a infligé de grandes pertes à l’humanité ». L’intérêt d’un tel bilan vaut aussi en histoire, ne serait-ce que parce que cette histoire s’écrit souvent en ou par la justice. La question se pose en outre de l’application du concept (juridique) récent de génocide aux réalités mouvantes de l’histoire, en particulier à un moment et à des endroits où de larges pans du passé sont vécus comme appartenant toujours à notre présent. Il ne s’agit pas de nier l’existence d’exterminations de masses par le passé, mais de déterminer si le concept de génocide apporte un élément supplémentaire de compréhension historique des processus étudiés.
Durant cette journée de rencontre, juristes et historiens, spécialistes du génocide, noueront un dialogue, nous l’espérons, fructueux. Leurs débats seront articulés autour de quatre questions d’intérêt commun pour la saisie du crime de génocide par les deux disciplines ou pratiques : 1) Interdiction du génocide : des violences et « légendes noires » au crime de droit coutumier ; 2) Auteurs du génocide : individuels, collectifs et/ou institutionnels ; 3) Conditions du génocide : intentions et/ou processus génocidaires ; et 4) Justice et vérité du génocide : « passé qui ne passe pas » et « assassins de la mémoire ». Le traitement de ces questions sera bien entendu l’occasion de revenir sur différents cas de génocide dans l’histoire, y compris dans celle du droit international.
Programme
9.00 : Introduction
Henry Laurens & Samantha Besson
Partie 1 - Interdiction du génocide : des violences et « légendes noires » au crime de droit coutumier
Présidence : Anne Cheng
9.30 : Le génocide, norme de droit coutumier, mais depuis quand ?
William Schabas, Université de Middlesex, Londres
10.00 : Guerres de Vendée et génocide : au-delà des polémiques, une question capitale
Jean-Clément Martin, IHMC, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
10.30 : Discussion
11.00 : Pause
Partie 2 - Auteurs du génocide : individuels, collectifs et/ou institutionnels
Présidence : Anne Cheng
11.30 : The Elephant in the Room : Genocides, Past, Present and Future in an Era of Anthropogenic Omnicide
Mark Levene, Université de Southampton
12.00 : Les auteurs de génocide : de la difficulté de démêler ce qui est individuel de ce qui est collectif
Monique Chemillier-Gendreau, Université Paris Cité
12.30 : Discussion
13.00 : Pause déjeuner
Partie 3 - Conditions du génocide : intentions et/ou processus génocidaires
Présidence : Didier Fassin
14.30 : Établir le crime de génocide dans le procès pénal : histoire, émotion et preuves
Guénaël Mettraux, Chambres spécialisées pour le Kosovo, La Haye & Université de Galway
15.00 : Pour en finir avec la « motivation ». Intentions, stratégies, situations et expériences des acteurs de la violence nazie
Christian Ingrao, CESPRA, EHESS / CNRS
15.30 : Discussion
16.00 : Pause
Partie 4 - Justice et vérité du génocide : « passé qui ne passe pas » et « assassins de la mémoire »
Présidence : Didier Fassin
16.15 : Eradicating Gaza : how to Remember and Forget Genocide
Omer Bartov, Université de Brown, Rhode Island
16.45 : Mémoire, histoire et temps présent : le cas de Gaza
Rafaëlle Maison, IEDP, Université Paris Saclay
17.15 : Discussion
17.45 : Discussion générale et conclusions
Samantha Besson & Henry Laurens
18.30 : Clôture
En libre accès, dans la limite des places disponibles
Contact : https://www.college-de-france.fr/fr/acces-et-contacts - Tél. : 01 44 27 12 11
Colloque coorganisé par le Collège de France sous la direction scientifique de la Pr. Samantha Besson, chaire Droit international des institutions, et du Pr. Henry Laurens, chaire Histoire contemporaine du monde arabe