Présentation
Les abus sexuels dans l'Eglise catholique ont donné lieu au cours de ces dernières années à l'instauration, dans le catholicisme français, d'une politique nouvelle de prévention et de traitement des crimes et délits sexuels commis par ses clercs sur les mineurs et personnes vulnérables.
Le mouvement est engagé dès le tournant des années 1990-2000. L'éclatement de scandales aux Etats-Unis, en Irlande, en Autriche, l'intervention du Saint-Siège sur le phénomène de la pédophilie (à l'instigation surtout du cardinal Ratzinger), l'inculpation inédite d'un évêque – Mgr Pican, de Bayeux-Lisieux – pour n'avoir pas dénoncé les exactions d'un de ses prêtres, les avertissements des juristes catholiques avaient à l'époque conduit l'épiscopat à inciter ses membres à modifier leurs pratiques sur deux terrains : l'accueil des victimes, le rapport aux autorités judiciaires.
Ce n'était là cependant qu'un point de départ. Le basculement s'opère véritablement en 2015-2016 sous l'effet de l'affaire Preynat, elle-même portée par une mobilisation inédite de l'opinion publique à travers le mouvement Me Too, par le militantisme médiatique et judiciaire de diverses associations de victimes, mais également par le discours du pape François. Le dispositif que construisent les évêques français dans ces années-là comportent diverses mesures. Certaines touchent aux victimes : les diocèses sont invités à mettre en place des cellules d'écoute destinées à accueillir, en s'appuyant sur les conseils d'un service central de l'épiscopat, la parole des personnes agressées. D'autres concernent les prêtres : la tolérance zéro, selon le mot du pape François, devra désormais être la règle, ce qui suppose une relation plus étroite avec les parquets.
Objectifs :
Très vite cependant, ces mesures apparaissent insuffisantes. En novembre 2018, la Conférence des évêques de France (CEF) et la conférence des religieux et religieuses de France (CORREF) confient à Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d'Etat, la présidence d'une commission, la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l'Eglise. Composée par J.-M. Sauvé, la Ciase décide dès son installation début 2019 de confier à deux de ses membres une mission d'enquête approfondie afin de mesurer l'ampleur et d'éclairer les conditions de production et de traitement des abus sexuels dans l'Eglise depuis la Seconde Guerre mondiale. L'enquête socio-historique est placée sous la responsabilité de Philippe Portier, directeur d'études à l'EPHE, l'enquête sociologique sous celle de Nathalie Bajos, directrice de recherche à l'Inserm et directrice d'études à l'EHESS.
Ces deux enquêtes, menées sur trois ans, ont donné lieu à des rapports volumineux sur lesquels le rapport Sauvé a fait fond afin d'élaborer ses recommandations. L'enquête EPHE s'est construite sur la base d'une exploration des archives de l'Eglise et de l'Etat sur les sept dernières décennies, complétée par une étude des témoignages adressés à la commission, par une enquête auprès de trois générations de prêtres sur la question de leur formation aux questions de sexualité, et par des entretiens avec des prêtres abuseurs. L'enquête Inserm s'est appuyée sur quatre sources essentielles : une enquête auprès de personnes agressées ayant répondu à l'appel à témoignages lancé par la commission Sauvé, des entretiens avec des victimes issues des répondants à l'enquête ci-dessus, des entretiens avec des religieuses abusées, une enquête en population générale (auprès de 28000 personnes) réalisée avec l'IFOP. Les méthodologies sont différentes. Elles ont cependant débouché sur des résultats convergents et complémentaires.
Ce colloque entend discuter les travaux produits par ces deux équipes, au prisme des travaux produits par d'autres commissions étrangères. L'objet de ce colloque est donc d'ouvrir, pour la première fois, sur une comparaison internationale. D'autres commissions nationales ont en effet produit des travaux aussi sur la question de la pédophilie au sein de l'Eglise. Certaines enquêtes ont été diligentées antérieurement à celles de la Ciase, comme en Irlande, en Belgique aux Etats-Unis, aux Pays-Bas ; d'autres ultérieurement comme en Suisse ou au Portugal.
Ce travail comparatiste sera mené de la manière suivante :
Il verra dialoguer les chercheurs de différentes commissions nationales. Le panel sera très large : il réunira, outre les membres des deux équipes françaises mentionnées ci-dessus, des chercheurs des commissions néerlandaise, allemande, suisse, portugaise. Les communications seront discutées par des spécialistes des recherches archivistiques et statistiques.
Il abordera la question des méthodes d'enquête choisies par les différentes équipes de recherche. Les intervenants présenteront leurs dispositifs de recherche, les raisons qui ont présidé à leur choix, les difficultés d'accès au terrain, les apports (mais aussi les limites) des méthodes et techniques choisies. Ce moment sera aussi l'occasion d'une réflexion sur l'articulation de la relation entre les commissions nationales et les équipes de recherche qu'elles accueillaient.
Enfin, le colloque évaluera les résultats obtenus par les différentes équipes de recherche. Cette visée sera intra-nationale : on s'interrogera en particulier sur la possible contradiction – parfois soulignée dans le débat public - des apports des enquêtes archivistiques et sociologiques. Mais la comparaison cherchera surtout à mettre en évidence les différences (éventuellement les convergences) entre les différentes situations nationales, tant sur le terrain quantitatif que sur le terrain qualitatif.
Cette manifestation s'inscrit dans une perspective comparatiste inédite.
Toutes les interventions feront l'objet d'une traduction simultanée. Les discussions pourront être suivies sur ce lien : https://spaces.avayacloud.com
Comité d'organisation: Paul Airiau, professeur d'histoire en classes préparatoires au lycée Chaptal, Julie Ancian, sociologue, chargée de recherches contractuelle Inserm à l'Iris, Nathalie Bajos, directrice de recherche à l'Inserm et directrice d'études à l'EHESS, Thomas Boullu, maître de conférences à l'Université de Strasbourg, Estelle Girard, ingénieure d'études chargée de la valorisation à l'Iris, EHESS, Anne Lancien, post-doctorante à Sciences Po Paris, membre du GSRL, Philippe Portier, directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études (EPHE), Josselin Tricou, maître-assistant à l'Université de Lausanne, Antoine Vermande, chargé de médiation scientifique au GSRL.
Programme
Jeudi 2 Novembre 2023
9h30 : Ouverture du colloque - Enquêtes sur les violences sexuelles dans l'Eglise catholique : enjeux théoriques et méthodologiques
Nathalie Bajos, Directrice de recherche à l'Inserm et à l'EHESS
Session 1 - L'analyse des archives
1 - Sources et méthodes
Modérateur-Discutant : Denis Pelletier, Directeur d'études à l'EPHE
9h45 : Le travail de la Ciase sur les archives ecclésiastiques et ministérielles
Paul Airiau, Professeur d'histoire en classes préparatoires au Lycée Chaptal
Thomas Boullu, Maître de conférences en histoire du droit, Université de Strasbourg
Marini : une recherche pionnière en Suisse, contraintes institutionnelles et archivistiques
Anne-Françoise Praz, Professeure d'histoire contemporaine à l'Université de Fribourg (en visio)
Echanges avec la salle
13h00 : Déjeuner
2 - Résultats
Modérateur-Discutant : Claude Langlois, Directeur d'études honoraire à l'EPHE
14h30 : Protagonistes et logiques abusives : les enseignements des archives françaises
Anne Lancien, Docteure de l'EPHE, Membre du GSRL
Que nous apprennent les archives ecclésiales aux Pays-Bas ?
Jan Bank, Professeur à l'Université de Leiden
Parishes, religious orders, Catholic institutions : The Results of the Pilot Study on Sexual Abuse in the Catholic Church in Switzerland
Lucas Federer, Chercheur à l'Université de Zürich
Echanges avec la salle
17h00 : Fin de la 1ère journée
Vendredi 3 Novembre 2023
Session 2 - L'analyse des témoignages
1 - Les violences contre les personnes mineures
Modérateur : Prof. Dr. Hans Joachim Salize, Professeur à l'Université de Mannheim
9h30 : Findings on the Catholic Church from the lndependent Inquiry into Child Sexual Abuse in England and Wales
Alexis Jay, Professeure à l'Université de Strathclyde
Le cas portugais
Ana Nunes de Almeida, Professeure à l'Université de Lisbonne
2 - Les violences contre les religieuses
Modératrice discutante : Céline Béraud, Directrice d'études à l'EHESS
Les violences sexuelles contre les religieuses dans l'Eglise catholique en France
Julie Ancian, Post-Doctorante à l'INSERM
Les violences sexuelles contre les religieuses catholiques en Afrique
Mary Makamatine Lembo, Docteure en psychologie à l'Université pontificale grégorienne de Rome, Religieuse au Togo (en visio)
Echanges avec la salle
13h00 : Déjeuner
Session 3 - Les enquêtes en population générale
Modérateur : Henri Leridon, Directeur de recherche émérite à l'Ined
14h30 : Child Sexual Abuse in the Roman Catholic Church in France : Prevalence and Comparison With Other Social Spheres
Nathalie Bajos, Directrice de recherche à l'Inserm et à l'EHESS
Two methodological topics in studying CSA by representatives of the Roman Catholic Church in the Netherlands : Inconsistent retrospective self-reports of CSA and Prevalence estimation methods
Adriaan Hoogendoorn, Chercheur au département de psychiatrie de l'UMC, Amsterdam
Discussion & échanges avec la salle
Synthèse et perspectives
16h00 : La recherche sur les violences sexuelles dans l'Eglise catholique, une analyse comparatiste
Philippe Portier, Directeur d'études à l'EPHE, Paris
From scientific results to preventive policies : questions and challenges
Hans Zollner, Professeur à l'Université pontificale grégorienne de Rome
17h00 : Pot de clôture
Contact : estelle.girard@ehess.fr
Colloque international organisé au Campus Condorcet par l'EHESS, l'EPHE, l'Université de Strasbourg (UMR DRES) et l'Inserm.