Présentation
Trente ans après la chute du Mur de Berlin, les Européens peuvent faire le constat un peu amer, s'agissant des Etats postcommunistes d'Europe centrale et orientale, du passage de l'euphorie révolutionnaire et de l'enchantement de la liberté au désenchantement politique, des avancées indiscutables aux reculs bien réels de la démocratie, parallèlement il est vrai au constat de la crise des régimes politiques démocratiques dans les Etats d'Europe occidentale. Il est vrai que trente années de postcommunisme dans les anciennes « démocraties populaires » d'Europe de l'Est ont quelque peu émoussé l'ardeur démocratique du « moment 1989 » et des débuts de la transition. Mais, parce que la construction de la démocratie est toujours un chemin difficile et, plus encore même, périlleux, faut-il vraiment s'étonner que la démocratisation des pays d'Europe centrale et orientale demeure inachevée trente ans seulement après la Révolution de 1989 ? Après tout, le développement de la démocratie libérale-constitutionnelle en Europe occidentale a pris aussi beaucoup de temps et, rétrospectivement, celui-ci n'a pas toujours été un chemin rectiligne, tout spécialement dans le cas français.
A vrai dire, le désenchantement politique ou la désillusion des citoyens vis-à-vis de la politique postcommuniste, en Europe centrale et orientale, est à la mesure des espoirs, assurément trop grands, que ceux-ci avaient mis dans le changement de régime politique au moment de la Révolution de 1989. Le même constat peut être fait, semble-t-il aussi, en ce qui concerne les attentes quant au changement de modèle économique et social, avec les dégâts causés par le passage brutal de l'économie dirigée à l'économie de marché, il est vrai, en fonction de l'état spécifique des économies nationales concernées.
La démocratisation des Etats d'Europe centrale et orientale n'a pas été, assurément, un processus uniforme, tant la disparité des situations est grande au regard, d'abord, de leur contexte historique et géopolitique. Sur l'échelle de la démocratisation, les Etats baltes, ceux du Groupe de Višegrad, ainsi que la Slovénie et la Croatie, ont atteint ou même déjà dépassé le stade de la stabilisation démocratique, même si les évolutions politiques récentes en Hongrie, Pologne et Croatie, suscitent aujourd'hui des interrogations légitimes sur l'ancrage véritable de l'Etat de droit et sur la prégnance réelle du modèle démocratique pluraliste dans ces Etats. En Europe du Sud-Est, la Roumanie et la Bulgarie marquent le pas quant à la stabilisation démocratique et l'implantation de l'Etat de droit s'y avère problématique par certains égards, en dépit d'une assez forte mobilisation citoyenne. Quant aux Etats des Balkans occidentaux (pays de l'espace post-yougoslave et Albanie), ils demeurent clairement et véritablement en situation de transition démocratique, avec des degrés d'avancement assez fortement différenciés en fonction des contextes et des enjeux spécifiques.
Le propos de cette Journée d'étude n'est pas d'établir un tableau des avancées et des acquis de la transition démocratique dans les Etats postcommunistes d'Europe centrale et orientale ; ils sont indubitables, ainsi qu'en atteste l'adhésion du plus grand nombre d'entre eux à l'Union Européenne (2004, 2007, 2013), quand bien même certaines adhésions (Bulgarie et Roumanie, 2007) ont répondu prioritairement, il est vrai, à des considérations géopolitiques. En revanche, il est possible de s'interroger sur les modalités du rapport au politique dans ces Etats et sur ses évolutions. D'autant que la transition politique est allée de pair avec la transition économique, le passage de l'économie planifiée et dirigiste à l'économie libérale et capitaliste ; de sorte qu'il y a eu, incontestablement, entre ces deux mouvements d'ampleur considérable, aux rythmes bien différenciés, d'importantes interactions qui ont pesé plus ou moins fortement sur la politique selon les Etats et les sociétés concernées. Néanmoins, il est permis de se demander dans quelle mesure les dirigeants politiques ont su intégrer véritablement les enjeux économiques dans les discours et les décisions politiques, au regard de l'opacité bien réelle de certaines décisions économiques d'importance nationale.
Plus généralement, cet événement est l'occasion de s'interroger sur la crise d'identité très profonde, doublée d'une crise de la modernité, qui caractérise aujourd'hui les sociétés d'Europe centrale et orientale, confrontées au défi immense d'une mutation sans précédent dans leur histoire, aussi brutale que radicale. Une crise qui favorise un sentiment d'insécurité au plan individuel et collectif et qui fait naître en retour la tentation de répondre à l'inquiétude, et même à l'angoisse, par le repli dans les habitudes et les certitudes du passé. Mais celles-ci aussi doivent être remises en question, afin d'en mesurer la consistance et la pertinence réelles, ainsi que les stratégies de pouvoir qu'elles peuvent dissimuler.
Cette Journée d'étude est également l'occasion d'interroger le rapport à l'Europe des pays d'Europe centrale et orientale, dont la réalité est sans doute beaucoup plus complexe que celle mise en avant dans les discours des acteurs principaux, élites politiques nationales et organisations européennes. De fait, par-delà les « retrouvailles » de 1989 entre les deux Europe, les relations de l'Europe centrale et orientale avec l'Europe occidentale sont placées sous le sceau de l'ambivalence : d'un côté, le besoin pressant de sécurité collective et le rêve de prospérité économique et sociale ont favorisé l'adhésion, respectivement, à l'OTAN et à l'Union Européenne ; mais, de l'autre, le relatif désintérêt, parfois même l'opposition déclarée, des Européens de l'Ouest vis-à-vis de l'élargissement de l'Union Européenne (à l'avenir, aux Balkans occidentaux) et la montée rapide des inégalités économiques et sociales (en particulier à l'Ouest) ont favorisé, de part et d'autre, le « désenchantement d'Europe », qui se manifeste même aujourd'hui plus gravement et de façon plus répandue à l'Ouest qu'à l'Est du continent, avec la montée en puissance de l'euroscepticisme et l'exacerbation des sentiments nationalistes.
Programme
9h30 : Mots d'ouverture
• M. Philippe Claret, Maître de Conférences à l'Université de Bordeaux
• Mme Hélène Roos, Directrice de l'Institut Français de Roumanie
• M. Ioan Pânzaru, Professeur émérite, Directeur du CEREFREA Villa Noël
10h00 : 1ère Table-ronde
Un désenchantement politique en Europe centrale et orientale ? La construction de sociétés démocratiques à l'épreuve des réalités sociales, historiques et géographiques
Modérateur : Vincent Henry, Expert international en coopération éducative à l'Institut français de Cluj-Napoca
Intervenants :
• Philippe Claret, Maître de Conférences à la Faculté de Droit et Science politique, Université de Bordeaux
• Alexandru Gussi, Chargé de cours à la Faculté de Sciences politiques, Université de Bucarest
• Jérôme Heurtaux, Directeur du CEFRES à Prague (par visioconférence)
• Jean-Robert Raviot, Professeur à l'Université Paris Nanterre
• Florin Turcanu, Professeur à la Faculté de Sciences politiques, Université de Bucarest
12h30 : Déjeuner
13h30 : 2ème Table-ronde
La crise identitaire en Europe centrale et orientale. Quelles origines, quelles conséquences politiques et sociétales ?
Modérateur : Philippe Claret, Maître de Conférences à la Faculté de Droit et Science politique, Université de Bordeaux
Intervenants :
• Ioan Pânzaru, Professeur émérite de l'Université de Bucarest
• Ionela Băluță, Professeure à la Faculté de Sciences politiques, Université de Bucarest
• Robert Adam, Chercheur associé à l'Université Libre de Bruxelles
• Alexandru Mamina, Chercheur à l'Institut d'Histoire de l'Académie Roumaine, Bucarest
15h30 : Pause-café
16h00 : 3ème Table-ronde
L'intégration des Etats d'Europe centrale et orientale dans l'Union Européenne. Intérêts, parcours, coalitions et enjeux
Modératrice : Ionela Băluță, Professeure à la Faculté de Sciences politiques, Université de Bucarest
Intervenants :
• Antony Todorov, Professeur de Science politique à la Nouvelle Université Bulgare de Sofia
• Radu Toma, Professeur à la Faculté de Lettres, Université de Bucarest
• Alexandra Iancu, Lecteur à la Faculté de Sciences politiques, Université de Bucarest
• Raluca Alexandrescu, Maître de Conférences à la Faculté de Sciences politiques, Université de Bucarest
• Simona Necula, Secrétaire générale du CEREFREA Villa Noël
18h00 : Pause
18h30 : Projection du film de Pavel Pawlikowski, “Tripping with Zhirinovsky” (40 min.)
19h10 : Débat
20h00 : Fin de la journée
Evènement organisé par le CEREFREA Villa Noël et l'Institut Français de Roumanie en partenariat avec le Centre Montesquieu de Recherches Politiques (CMRP) Université de Bordeaux et La Faculté de Sciences Politiques Université de Bucarest