Comme un dinosaure conceptuel manipulé génétiquement, l'idée de communauté resurgit dans le vocabulaire contemporain pour désigner le tout (American community, communauté nationale, communauté internationale) et les composantes du tout (communauté académique, communauté juive, musulmane, chrétienne, communauté LGBT, community service, community of hope...). En langage politique, la communauté est odieuse ("Je déteste le mot communauté", Emmanuel Macron) parce qu'elle conduit au communautarisme, c'est-à-dire aux appartenances intermédiaires entre l'individu et l'Etat. Parallèlement, le langage économique, relayé par celui de la régulation, a substantivé les communs en tant que biens et ressources dotés de propriétés dérogatoires au régime de la propriété. En interrogeant ce qui est commun dans la communauté, on propose de fréquenter le véritable espace sémantique de ce concept qui forme à la fois le creuset de la pensée normative et, avec l'idée concurrente de société, la matrice de ce qui fait l'objet des sciences sociales. Entre ces deux pôles, qui s'entremêlent aujourd'hui, nous devrons faire sa place au conflit pérenne entre l'origine collective de la propriété et la modernité individualisante. Antérieur à l'apparition du ius, le commun de la communauté, inaliénable par essence, reste-t-il concevable quand les liens sociaux deviennent pensés, selon la logique du marché, comme la conséquence et non la condition des actions individuelles? Communitas, communidad, community, gemeinschaft proviennent de la même racine mei- ou mun- qui signifie à la fois le devoir ou la fonction et l'échange ou la réciprocité. N'est-ce pas ainsi la valeur même de la socialité que véhicule le mot communauté par-delà les contingences politiques, économiques et juridiques de ses emplois historiques? |