Dans son ouvrage fondateur, le professeur grenoblois Léon Michoud jetait les bases de la théorie moderne de la personnalité morale et de son application au droit français[1]. Longtemps objet de controverses doctrinales, ce concept juridique a historiquement suscité nombre de réticences, tant dans son existence même que dans sa délimitation théorique.
La réflexion engagée lors du colloque de jeunes chercheurs, « Le renouveau de la personne morale », organisé par l'Association des doctorant.e.s en droit de l'Université Grenoble Alpes le 17 janvier 2025, a permis d'explorer de nombreuses facettes de la personnalité morale, notamment sous l'angle du droit privé. La richesse des échanges a mis en lumière l’intérêt d’élargir le champ de l’analyse en intégrant des perspectives historiques et publicistes.
Afin d’enrichir le débat amorcé lors du colloque, cet appel à contribution s’adresse aux doctorants et jeunes chercheurs en histoire du droit et en droit public. Sans prétendre à l’exhaustivité, cet appel à publication dresse un panorama d’idées de contributions potentielles.
L’approche historique de la personne morale semble appeler à une réflexion portant sur les prolégomènes et les évolutions de ce concept. Si la tradition juridique romaine offre des éléments de compréhension sur les premières reconnaissances de formes collectives, « il ne semble pas [qu’elle] soit parvenu[e] à élaborer une théorie de la personnalité juridique »[2]. Pourtant, il serait hâtif de ne pas voir dans le droit romain et son « universitas » les sources d’une caractérisation de la personne morale comme sujet de droit distinct de l’individu[3]. Ainsi, au Moyen-Âge, c’est bien en s’inspirant du droit romain que l’école du droit savant théorise la personnalité morale des villes, lesquelles sont alors conçues comme des mineurs[4]. De façon analogue, c’est à travers la redécouverte du droit romain que le droit canonique conceptualise des personnes morales « de droit divin, […] créées par une disposition du droit ecclésiastique »[5]. Toutefois, c’est sans doute le moment 1900 et la doctrine publiciste qui participent le plus activement au renouveau de cette notion. Les travaux fondateurs de Saleilles, Holder et Gierke, précisés par ceux de Duguit, Hauriou et Michoud, développent une théorie essentielle de la personnalité morale.
L’approche publiciste contemporaine poursuit, dans une large mesure, l’apport théorique du moment 1900[6]. À cet égard, le droit positif, français et européen, accompagne un processus international de fondamentalisation des personnes publiques[7]. Au surplus de l’ouverture au prétoire du juge (inter)national, certaines personnes morales se voient reconnaitre des droits fondamentaux[8]. D’aucuns ont ainsi pu se poser la question de l’existence d’un droit « à » la personnalité juridique incluant la personne morale[9], amenant la doctrine à l’envisager conceptuellement comme une « simple » technique juridique. Cette réflexion doctrinale n’est pas sans rappeler celle concernant la personnification de nouveaux sujets de droit à l’instar de la nature, ou de manière prospective de l’intelligence artificielle. Cela met effectivement en exergue le dépassement hypothétique de la distinction binaire entre personne physique et personne morale comme seuls sujets de droit, allant jusqu’à envisager une nouvelle catégorie juridique[10]. En tout état de cause, ce mouvement juridique français s’inscrit dans la dynamique plus large du droit international, conduisant la doctrine à qualifier certaines entités de personnes morales internationales[11], réinterrogeant dans le même temps la singularité de la personnalité morale étatique.
Les contributions issues du droit public, de l'histoire du droit, ainsi que des approches comparatives et philosophiques seront particulièrement appréciées. Les propositions de contribution, qu'elles soient individuelles ou co-écrites, d'une longueur maximale de 6.000 signes, devront être envoyées avant le 15 avril 2025 à association-doctorants-droit@univ-grenoble-alpes.fr. Un comité de relecture sera constitué afin d’évaluer les propositions retenues. Les articles sélectionnés devront être remis au plus tard le 15 juillet 2025 et ne devront pas excéder 30.000 signes.
[1] MICHOUD L., La théorie de la personnalité morale et son application au droit français, Editions Panthéon-Assas, Introuvables, Version intégrale, 2020, 602 p.
[2] GAUDEMET J., Le Droit privé romain, Armand Colin, 1974, p. 62.
[3] PAYNOT-ROUVILLOIS A., « Personne morale », in ALLAND D. et RIALS S. (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, LAMY-PUF, Quadrige, 2003, p. 1154.
[4] BOVE B., LACHAUD F., MONNET P. et SANTAMARIA J, « Villes et construction étatique au Moyen Âge : état de la question », Historie urbaine, Hors-série n° 1, 2021, pp. 7-28.
[5] LACROIX-DE-SOUSA S., « L’organisation religieuse catholique et le droit des sociétés : l’exemple de la paroisse », Revue du droit des religions, n° 5, 2018, pp. 39-53.
[6] LINDITCH F., « La personnalité morale de droit public aujourd’hui, libres propos », in BIOY X. (dir.), La personnalité juridique, Presses de l’Université Toulouse Capitole, 2018, pp. 35-44.
[7] DUPRÉ DE BOULOIS X., « Les droits fondamentaux des personnes publiques » in Défendre les libertés publiques. Mélange en l’honneur de Patrick Wachsmann, Dalloz, 2021, pp. 203-213.
[8] ANDRIANTSIMBAZOVINA J., « Les personnes morales devant la Cour Européennes des droits de l’Homme », in BIOY X. (dir.), La personnalité juridique, Presses de l’Université Toulouse Capitole, 2018, pp. 221-232.
[9] BIOY X., « Le droit à la personnalité juridique », RDLF [en ligne], chron. n° 12, 2012, 19 p.
[10] ATTAL M., « Le concept de personne morale conserve-t-il une raison d’être ? », in HECQUARD-THERON M. et KRYNEN J., Regards critiques sur quelques (r)évolutions récentes du droit, Presses de l’Université Toulouse Capitole, 2005, pp. 363-388.
[11] DISTEFANO G., « Observations éparses sur les caractères de la personnalité juridique internationale », Annuaire Français de Droit International, n ° 53, 2007, pp. 105-128.