Les intérêts de l’État : harmonisation, compromis ou rapport de force ?

Appel à communication

Les intérêts de l’État : harmonisation, compromis ou rapport de force ?

Journée d'études, Sceaux, 29 novembre 2024

Date limite le vendredi 28 juin 2024

L'Institut d'études de droit public organise sa dix-huitième journée d'études qui se tiendra le vendredi 29 novembre 2024 à la Faculté Jean Monnet de l'Université Paris-Saclay. Cette journée a pour vocation d'offrir une tribune aux doctorant·e·s, docteur·e·s et maître·sse·s de conférences, quel que soit leur domaine de spécialisation juridique. Le choix du sujet s'est porté, cette année, sur « Les intérêts de l'Etat : harmonisation, compromis ou rapport de force ? ». Les actes de la journée d'études feront l'objet d'une publication dans le courant de l'année 2026.

Les jeunes chercheurs et chercheuses désirant participer à la journée d'études doivent présenter leur proposition de communication au plus tard le vendredi 28 juin 2024. Celle-ci ne devra pas excéder 3500 signes (espaces non compris) et sera idéalement accompagnée d'une brève présentation personnelle (diplômes, statut actuel et publications éventuelles). L'ensemble devra être envoyé à l'adresse suivante : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

Présentation du sujet

Intérêts particuliers, intérêt public, intérêt général… Le droit n'est certainement pas étranger à la notion d'intérêt. En raison de son caractère évolutif, les auteurs reconnaissent que « l'intérêt occupe dans le vocabulaire et dans les constructions juridiques une place qui est à la fois incertaine et centrale »[1]. Sa définition semble d'autant plus difficile à établir lorsque sont considérés les multiples adjectifs qualifiant cet intérêt, à l'instar de l'intérêt public, dont la promotion constitue, selon la formule consacrée dans un rapport du Conseil d'Etat, « la tâche essentielle de la législation »[2]. Apparu au XVIIe siècle, reconnu par le juge et consacré par le législateur, l'intérêt général semble quant à lui désigner, selon une conception volontariste, « un dépassement des intérêts particuliers, qu'il transcende et auxquels il s'oppose », ou, selon une conception utilitariste, « la synthèse des intérêts particuliers dont il émane »[3], la première ayant clairement marqué le système juridique et politique français.

Si l'intérêt général constitue la finalité de l'action publique, trace ses limites, et se confond dès lors avec l'intérêt de l'Etat[4], d'autres formes d'intérêts sont mises en œuvre au sein des ordres juridiques. Il semble alors réducteur d'affirmer sans tempérament que l'Etat ne poursuit qu'un intérêt unique, d'autant plus que ce dernier dépend de l'interprétation que l'Etat dégage de cette notion empreinte d'idéologie. La pluralité des intérêts de l'Etat s'illustre tant dans l'ordre interne que sur la scène internationale. Ainsi, l'Etat décide fréquemment de s'engager au titre de normes de droit international public présentant des objets et des buts parfois diamétralement opposés. De façon exogène, les intérêts de l'Etat sont en outre confrontés aux intérêts des tiers, notamment aux revendications d'associations ou d'organisations non-gouvernementales, au poids des entreprises, ainsi qu'aux prétentions d'individus – les auteurs mettant d'ailleurs en avant une double tendance à la désétatisation et à la démocratisation de l'intérêt général, notamment en matière environnementale, sanitaire ou sociale[5]. Par ailleurs, l'Etat doit prendre en compte l'existence d'intérêts multiples au sein même de son ordre juridique, tantôt convergents, tantôt divergents : intérêts politique, économique, environnemental, social, diplomatique, sont autant d'exigences que la puissance publique doit satisfaire. Sans prétendre à l'exhaustivité, le thème de cette journée d'études invite à réfléchir sur la pluralité des intérêts de l'Etat et sur les enjeux qu'elle sous-tend (I), ainsi que sur les moyens mis en œuvre par celui-ci pour essayer de les articuler (II). 

 

I.      Coexistence et contradiction des intérêts de l'Etat

La pluralité de ces intérêts touche tant les acteurs et échelles dont ils émanent – l'Etat lui-même, sa population, les organisations internationales au sein desquelles il siège – que les domaines qu'ils concernent. Leur articulation n'est pourtant pas nécessairement conflictuelle. Ainsi, aussi bien des intérêts économiques que des intérêts environnementaux peuvent se trouver satisfaits en matière de transition écologique. Il arrive également que le juge reconnaisse une dimension spécifique à l'intérêt général ou à l'intérêt public, dimension qu'il ignorait jusqu'alors ; il en va ainsi, notamment, de la composante économique de l'intérêt public culturel[6].

Cependant, lorsque ces intérêts pluriels ne tendent pas à la même finalité, la question de la cohérence peut être soulevée, ainsi que le caractère problématique de leur articulation. En droit international public, la mise en œuvre des engagements de l'Etat pourrait en ce sens être étudiée. En effet, la valorisation de ses intérêts par le biais d'instruments de droit international économique s'oppose parfois radicalement à son intérêt de protéger l'environnement, tel qu'il est pourtant affiché lors des grands sommets internationaux. La divergence entre intérêts économiques et intérêts environnementaux s'observe également dans l'ordre interne, notamment au regard des mesures de contraintes visant à modifier la pratique de certaines activités industrielles. Outre cette divergence entre intérêts portés par l'Etat, une autre divergence peut s'observer, cette fois entre les intérêts portés par les organes qui composent l'appareil étatique ; ces oppositions peuvent notamment être envisagées à l'aune des périodes de cohabitation.

L'Etat peut enfin être confronté aux intérêts des particuliers. Notamment, les groupes d'intérêts, groupements organisés « pour influencer les pouvoirs publics dans un sens favorable aux intérêts de [leurs] membres ou à une cause d'intérêt général »[7], semblent particulièrement actifs et manifestent des intérêts parfois réfractaires à la planification envisagée par l'Etat. Se pose dès lors la question : comment articuler l'intérêt général, poursuivi par l'Etat, et les intérêts des particuliers, lorsque ceux-ci s'opposent ? La mise en œuvre des intérêts de l'Etat conduit à des arbitrages qui ne peuvent satisfaire pleinement l'ensemble des parties prenantes à la définition de ces intérêts, notamment les individus. Parfois, le droit prévoit d'ailleurs explicitement la solution à ces contradictions. L'étude de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme semble ici pertinente en ce sens que la Convention dont elle est gardienne autorise les Etats qui y sont parties à restreindre les droits des personnes placées sous leur juridiction lorsqu'ils considèrent que certaines conditions sont réunies[8]. Ce raisonnement trouve son prolongement en droit interne, à travers l'utilisation des mesures de police administrative, qui permettent à la puissance publique de restreindre les libertés individuelles. Encore, les tentatives de protection, ou plutôt de gestion, du « patrimoine commun de l'humanité » illustrent le fait que les prétentions et les intérêts qui s'y rapportent sont parfois antinomiques.

  

II.    Articulation des intérêts de l'Etat

L'harmonisation, entendue comme une « opération consistant à unifier des ensembles législatifs différents par élaboration d'un droit nouveau empruntant aux uns et autres », ou plus largement comme un « rapprochement entre deux ou plusieurs systèmes juridiques »[9], semble être l'option la plus favorable à la conciliation des intérêts, même si ces derniers divergent. Le Conseil d'Etat va jusqu'à affirmer que « la fonction dévolue à l'Etat est de réaliser l'harmonie entre des intérêts fondamentalement antagonistes »[10]. Il serait par exemple pertinent d'étudier si cette harmonisation est envisagée, voire aboutie, lorsque les intérêts nationaux sont confrontés aux intérêts d'entités (telles que les collectivités territoriales) ou de groupes (tels que les peuples autochtones) participant respectivement de la structure et du peuple de l'Etat.

Le compromis peut quant à lui être défini comme un accord résultant de concessions réciproques ; il suppose donc un assouplissement dans chacune des prétentions relatives aux intérêts. En droit international public, un compromis entre plusieurs intérêts peut par exemple résulter de modes de règlement des différends directs (négociation) ou faisant intervenir un tiers (bons offices, médiation, conciliation, etc). L'exemple du Brexit pourrait encore être analysé afin de déterminer si sa mise en œuvre ne résulterait pas d'un compromis essayant de ménager au mieux les intérêts de l'Etat et les intérêts de l'organisation internationale. Du point de vue juridictionnel, la méthode du contrôle de proportionnalité semble quant à elle pouvoir se rapprocher également d'un compromis imposé par le juge, aussi bien les juridictions nationales que les juridictions internationales veillant « à la proportionnalité entre les mesures prises [par l'Etat au nom de l'intérêt général] et les exigences [de protection des intérêts individuels] auxquelles elles répondent »[11].

Le rapport de force s'incarne enfin dans un affrontement entre plusieurs entités, luttant chacune pour faire prévaloir ses intérêts sur ceux des autres. Il suggère donc une plus grande radicalité dans l'articulation d'intérêts divergents. Il peut notamment se tenir entre un Etat et une institution internationale, lorsque chacun tente de faire primer ses intérêts sur ceux de l'autre, à l'image du rapport de force occasionné par le déclenchement de l'article 7 du traité sur l'Union européenne par lequel les institutions européennes tentent de faire prévaloir les valeurs de l'organisation face à ce qu'elles considèrent être des défaillances systémiques des Etats membres. Un rapport de force semble également se cristalliser lorsque les « intérêts fondamentaux de la nation »[12] sont atteints, la question est alors de savoir de quelle façon l'Etat protège les intérêts nationaux, l'atteinte à ces valeurs essentielles à la nation n'étant pas érigée elle-même en infraction mais plutôt comme simple élément constitutif de crimes. Si l'arène juridictionnelle est enfin considérée comme l'enceinte des rapports de force juridiques, reste à savoir de quels intérêts le juge – qu'il soit judiciaire, administratif, européen ou international – est le gardien…

En réfléchissant sur les enjeux que sous-tend la pluralité des intérêts de l'Etat et sur les moyens mis en œuvre pour essayer de les articuler, le thème de cette journée d'études invite à se questionner, en filigrane, sur la fonction même de l'Etat. Qu'est-ce que la défense de ces intérêts, qui peut parfois se matérialiser de façon paradoxale, implique dans l'ordre juridique et politique contemporain ? La fonction ontologique de l'Etat pourra donc être analysée à la lumière des intérêts qu'il entend protéger, ainsi que sa capacité même à les défendre lorsqu'il est considéré comme défaillant ou fragilisé.

 

 

Les propositions de contributions peuvent aborder le thème de la journée d'études par une variété d'approches : théorique, pratique, historique, comparative, contentieuse… Toutes les spécialités juridiques et tous les champs d'études peuvent être mobilisés.

 

Comité scientifique d'organisation

Clément CARRERA, doctorant contractuel en droit public, Université Paris-Saclay

Pierre JOURDRIN, doctorant en droit public, Université Paris-Saclay

Clara OBADIA, doctorante contractuelle en droit public, Université Paris-Saclay

 

 

[1]. STIRN, Bernard, « Intérêt », in ALLAND, Denis, et RIALS, Stéphane (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2003, p. 842.

[2]. Rapport public du Conseil d'Etat, Réflexions sur l'intérêt général, Etudes & Documents, n° 50, 1999, p. 248.

[3]. RANGEON, François, « Intérêt général », in MBONGO, Pascal, HERVOUËT, François, et SANTULLI, Carlo (dir.), Dictionnaire encyclopédique de l'Etat, Paris, Berger-Levrault, 2014, p. 553.

[4]. Ibid.

[5]. Ibid., p. 554.

[6]. V. Cons. const., 24 février 2012, Coordination pour la sauvegarde du bois de Boulogne, n° 2011-224 QPC.

[7]. GUINCHARD, Serge, et DEBARD, Thierry (dir.), Lexique des termes juridiques, 31e éd., Paris, Dalloz, 2023, p. 533.

[8]. En ce sens, v. notamment l'article 15 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (dérogations) ainsi que les seconds paragraphes des articles 8 à 11 (limitations).

[9]. CORNU, Gérard (dir.), Vocabulaire juridique, 12e éd., Paris, PUF, 2018, p. 507.

[10]. Rapport public du Conseil d'Etat, loc. cit.

[11]. STIRN, Bernard, « Intérêt », in ALLAND, Denis, et RIALS, Stéphane (dir.), loc. cit.

[12]. V. Code pénal, article 410-1.