L'Université Polytechnique Hauts de France (UPHF, Valenciennes) et l'Université catholique de Lille (UCLille) organisent un colloque sur le thème « La légitimité, entre reconfigurations et refondation », qui se tiendra les 30 janvier (à Valenciennes) et 31 janvier (à Lille) 2025.
Au cœur des régimes et systèmes politiques, la légitimité constitue un principe universel, dont chaque jour ou presque rappelle l'importance. Récemment, le sacre de Charles III ressort de la légitimité traditionnelle et semble indiquer la permanence de ce modèle. Or, le croisement de plusieurs faits (récents ou plus anciens) avec les catégories d'attitude déterminées par Albert Hirschman (exit, voice ou loyalty) oblige à poser la question de la persistance du fonds de légitimité nécessaire aux systèmes politiques. Dans les manifestations des Gilets jaunes, dans l'invasion du Capitole ou l'idée répandue d'un trucage des élections américaines de 2020, dans les émeutes (que d'aucuns qualifient de révoltes) françaises actuelles, comment ne pas voir une contestation de la légitimité (et pas uniquement de la légalité) quand les élus sont attaqués, les lois bafouées et le système politique (ou son application) contesté ? Même en régime autoritaire, la récente révolte du leader du groupe Wagner contre Vladimir Poutine pose la question de la légitimité de ce dernier ou de son régime.
Ces quelques considérations attestent de la pertinence d'un réexamen de la nature et des ressorts de cette légitimité dont l'examen a été entamé par l'analyse pionnière de Max Weber[1]. Ce colloque propose d'interroger l'actualité du concept de légitimité, à travers notamment trois thématiques portant sur le principe même de légitimité, la transition environnementale et les médias.
1) Une réflexion théorique et générale sur le concept même de légitimité s'impose en effet, en partant des idéaux-types wébériens[2], dont on connaît la postérité, et que recoupent en partie les modèles (moins célèbres) de Guglielmo Ferrero[3]. C'est à partir de tels ouvrages fondateurs que la doctrine a développé l'étude des processus de légitimation[4], qu'il s'agisse de la conformité aux valeurs du groupe social, du respect des procédures ou de l'efficacité des outputs. Cependant, la recherche ne s'est longtemps portée que sur les sociétés démocratiques libérales, dans lesquelles l'approbation populaire (vue comme manifestation de la légitimité) est la condition de l'accès au pouvoir et de son exercice. Or, ce n'est pas sans poser un double problème.
D'une part, l'étude de la légitimité dans des régimes autoritaires voire totalitaires s'avère assez restreinte. Paradoxalement, c'est encore le cas actuellement, alors que les formes d'autoritarisme (sous les noms de démocratures et autres démocraties illibérales) se multiplient et appellent logiquement à examiner leur rapport à la légitimité, qui s'avère complexe. Pour n'en citer qu'un exemple, le populisme — vu comme en croissance dans le monde — en postulant que les institutions non élues sont dotées d'un statut démocratique secondarisé[5], procède ainsi à une hiérarchisation des légitimités.
D'autre part, la crise de confiance que traversent les démocraties représentatives anciennes, relevée par de multiples études et enquêtes, est de nature à en saper la légitimité, jamais définitivement acquise.
2) Le réexamen de la nature et des ressorts de la légitimité trouve un évident laboratoire d'études dans la question relative aux enjeux de la transition environnementale. Les changements « globaux » qu'imposent les problèmes environnementaux impliquent des choix politiques fondamentaux tant sur le plan social, économique, industriel et territorial, ainsi que l'élaboration de programmes politiques et de mesures publiques nécessaires à « la transformation conjointe des sociétés et de l'environnement à l'échelle mondiale »[6] pour viser des modes de développement durable. Or, les acteurs politiques qui font ces choix, ainsi que les procédures décisionnelles mises en place pour y parvenir méritent réflexion notamment face aux critiques de la part des citoyens, de chercheurs ou encore d'acteurs politiques dans les régimes démocratiques, mais aussi dans les « démocratures » et dictatures. La transition environnementale a ainsi le pouvoir d'entraîner une réévaluation de la croyance en la légitimité de la relation du pouvoir en place. Elle conduit à réfléchir aux différentes échelles du pouvoir politique qui définit et met en œuvre la transition environnementale (internationale, européenne, nationale, régionale et locale) et aux effets de cette dilution du pouvoir sur sa légitimité. La perception du dialogue entre les agriculteurs, le gouvernement, le Conseil européen et la Commission européenne s'agissant de l'application de certaines normes environnementales dans le cadre de la politique agricole commune est une situation parmi d'autres à partir de laquelle la légitimité du pouvoir politique pourrait être examinée. La transition environnementale interroge aussi sur la naissance de nouveaux acteurs légitimes ou légitimant comme le scientifique, qui bouleverse le rapport au pouvoir politique. La question se pose également des nouvelles procédures conçues pour renforcer la légitimité du pouvoir politique (référendum, conventions-citoyennes, etc.) et du rapport entre les différents pouvoirs (administrations, police, justice) qui doivent trancher des conflits de légitimité, notamment lorsqu'émergent des « pratiques politiques autonomes » qui confrontent des groupes revendiquant chacun la protection de l'intérêt général, comme des ONG, des Think-Tank ou des groupes d'activistes. Pour ne prendre que quelques exemples, peuvent être cités les controverses liées aux mégabassines ou à la construction de la ligne ferroviaire Lyon-Turin qui confrontent les élus d'un côté, les activistes et ONG de l'autre. Dans la mesure où la transition environnementale a des conséquences sur le fonctionnement des régimes politiques, ce colloque propose de réfléchir à la rénovation des équilibres en cours ou à venir entre les acteurs du pouvoir et avec les acteurs de la transition environnementale de la société afin d'appréhender ses conséquences sur la relation entre les gouvernants et les gouvernés.
3) De même, la légitimité est une notion centrale et plurielle pour les médias. Si des enquêtes annuelles et réitérées permettent de présenter une vision assez globale du rapport global de la population française aux médias (« Peut-on faire confiance aux médias ? Le 37ème baromètre de la confiance dans les médias Kantar pour La Croix »), il ne répond pas à de nombreux problèmes. Ainsi, si 75% des français suivent l'actualité avec intérêt et 58% font confiance à la presse quotidienne nationale, 82% ne dépensent pas d'argent pour s'informer et 23% seulement sont prêts à souscrire à un abonnement pour accéder à un contenu payant sur internet. Il n'est donc pas incompatible, pour le citoyen français, de reprocher à la presse d'être la proie des puissances de l'argent tout en refusant de lui donner, par son achat, la condition première de son indépendance. Dans ce contexte problématique et en même temps aussi vieux que la presse elle-même, nous proposons aux chercheurs deux grands axes de réflexion pour articuler les médias dans leur rapport à la légitimité. D'une part, il est possible de déployer des études sur l'effort propre à la presse pour se présenter, à elle-même comme au public, comme légitime. L'existence d'idéologies, le maniement privilégié du registre émotionnel au détriment de la qualité de l'analyse critique, l'existence de croyances irréfléchies et de guerres culturelles n'est pas un fait nouveau, mais ne tend pas non plus à diminuer, encore moins à disparaître. Consciente des exigences démocratiques qui la structurent et lui incombent, on peut distinguer au moins quatre grands axes de recherche de légitimité par les médias eux-mêmes (on entend ici les médias comme ayant une vocation nationale et généraliste) : l'indépendance (aussi bien vis-à-vis de l'actionnaire que des acheteurs d'espace publicitaire) ; la construction d'une ligne éditoriale ; la définition d'une déontologie propre à la profession comme à une rédaction particulière et son respect ; le risque de favoriser un lectorat particulier (élitisme, parisianisme et donc de devenir un journalisme de niche)… Nous proposons donc aux chercheurs intéressés de nous adresser des propositions de communications qui pourraient alimenter cette réflexion où la légitimité constitue, du point de vue du traitement médiatique, une recherche permanente par une articulation entre des idéaux régulateurs que sont les valeurs proprement journalistiques (objectivité, neutralité, indépendance…) et la réalité (croyances personnelles du journaliste et prise en compte de celle du lectorat, ligne éditoriale…).
D'autre part, il est possible également d'analyser les médias nationaux comme un système, et de le comparer aux autres systèmes médiatiques nationaux. S'esquisse alors une ligne de partage issue d'un point de vue comparatiste entre les sociétés pluralistes et libérales et les sociétés monolithiques et autoritaires, voire totalitaires, avec toutes les nuances qui caractérisent chaque système médiatique national en particulier. Dès lors, les propositions pourraient analyser des cas qui permettent soit de remettre en cause le pluralisme des médias dans les sociétés libérales comme étant une condition de possibilité d'une presse légitime mais nullement le seul critère suffisant de leur légitimité, soit d'étudier des systèmes médiatiques nationaux où une presse d'Etat domine sans pour autant totalement le phagocyter, soit d'étudier des pays soumis à des médias entièrement sous contrôle (et sous quelles formes, jusqu'à quel point, avec quelles nouvelles méthodes), soit, bien entendu, des pays en transition d'une situation à une autre.
Ces pistes, et probablement d'autres encore, dessinent une riche perspective de recherche. Il est donc fait appel aux propositions de communication, selon le processus suivant :
- les propositions peuvent être établies sur une page environ, précisant le thème, l'idée directrice de la communication, voire ses grands points ;
- les propositions sont à adresser par courriel à : legitimite.lillevalenciennes@gmail.com
- la date limite d'envoi des propositions est fixée au vendredi 24 mai 2024
- date de réponse aux propositions : au plus tard le vendredi 28 juin 2024
Comité d'organisation :
- Emmanuel CHERRIER, MCF en science politique, UPHF
- Pierre-Alexis DELHAYE, Doctorant en histoire contemporaine et littérature comparée, UPHF
- Ninon FORSTER, Professeur de droit public, UPHF
- Loïc LAROCHE, MCF en histoire contemporaine, UCLille
- Jérôme ROUDIER, MCF HDR en science politique, UCLille
Comité scientifique :
- les membres du comité d'organisation ci-dessus, ainsi que :
- Stephen LAUNAY, MCF HDR en science politique, Université de Paris-Est
Le colloque sera organisé avec le soutien et la participation du laboratoire LARSH de l'Institut Sociétés et Humanités (UPHF) et du laboratoire MUSE de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (UCLille).
[1] « Les trois types purs de la domination légitime », 1917-1920, repris dans Economie et société, et Le savant et le politique.
[2] Voir sur ce point Michel Dobry, « Légitimité et calcul rationnel. Remarques sur quelques “complications” de la sociologie de Max Weber », in P. Favre, J. Hayward et Y. Schemeil (dir.), Être gouverné. Hommages à Jean Leca, Presses de Sciences Po, Paris, 2003, p. 127-147.
[3] Pouvoir. Les génies invisibles de la cité, 1942. Les 4 principes chez lui sont : principe héréditaire, principe aristo-monarchique, principe électif (délégation), principe démocratique.
[4] Entre autres, Jacques Lagroye, « La légitimation », in M. Grawitz et J. Leca (dir.), Traité de science politique, t. I, Paris, PUF, 1985, p. 395-467.
[5] Pierre Rosanvallon, Le siècle du populisme, Paris, Seuil, 2019.
[6] S. Beucher, « L'émergence de la notion de transition », La documentation photographique, dossier n°8139, 2021/1, p.2.