L'Institut d'études de droit public organise sa dix-septième journée d'études qui se tiendra le 24 novembre 2023 à la Faculté Jean Monnet de l'Université Paris-Saclay. Cette journée a pour vocation d'offrir une tribune aux doctorants, docteurs et maîtres de conférences, quel que soit leur domaine de spécialisation juridique. Le choix du sujet s'est porté, cette année, sur « Conflits en droit : la postérité des perdants ».
Les jeunes chercheurs et chercheuses désirant participer à la journée d'études doivent présenter leur proposition de communication au plus tard le vendredi 16 juin 2023. Celle-ci ne devra pas excéder les 3500 signes. Elle sera idéalement accompagnée d'une brève présentation personnelle (diplômes, statut actuel et publications éventuelles). L'ensemble devra être envoyé à l'adresse suivante : iedp.je.2023@gmail.com
Présentation
Si le droit a notamment pour fonction d'encadrer les conflits et de tenter de les clôturer parfois en désignant un gagnant, par le biais contentieux ou en le décrétant par fiction, le droit en lui-même peut être aussi l'objet de débats d'idées à son propos, susceptibles de muter en de véritables affrontements de doctrines. Les relations multiples que le droit entretient avec les conflits, dont l'issue entraîne la domination, pérenne ou temporaire, réelle ou fictive, d'un vainqueur sur un vaincu, nécessitent d'être interrogées.
Organisés par le droit, ces conflits peuvent être portés à l'attention du juge afin qu'il tranche entre des principes, des intérêts ou des normes antagonistes, auquel cas il convient de parler de contentieux. Ils peuvent également être des affrontements politiques produisant des effets en droit, lorsqu'il s'agit de prendre acte d'un conflit existant en lui donnant une traduction juridique ou lorsque l'issue d'un rapport de force politique change l'état du droit. Ces conflits peuvent encore s'apparenter à des affrontements en doctrine ayant pour objet des idées du droit.
De ces trois genres d'affrontements au moins, il semble pertinent d'interroger le sort de leurs perdants dans le monde du droit. S'il est parfois admis que l'histoire est principalement écrite par ses vainqueurs, qu'en est-il du droit ? Quelle est la postérité, mémorielle ou institutionnelle, de ceux qui ont été défaits par le droit ou par un rapport de force politique, alors même qu'ils portaient des idées particulières du droit et tentaient de convaincre à leur propos ? L'objet de cette journée d'étude vise à penser le sort des perdants dans leur postérité.
Comment le droit envisage les perdants à l'issue d'un conflit ? Cela va de leur identification, à l'analyse de ce qu'il reste d'eux dans les grands récits doctrinaux, en passant par ces soubresauts où le perdant d'hier devient le vainqueur de demain. Il est aussi des duels de doctrine ou des conflits juridiques qui disparaissent sans postérité, faisant du perdant le duel en lui-même. Sans prétendre à l'exhaustivité, seront visés les perdants désignés comme tels à l'occasion des conflits normatifs (III), les perdants en raison de situations politiques que le droit à vocation à entériner (II) ou les perdants – s'ils le sont véritablement, pour combien de temps et sur quels critères – au sens de ceux dont les idées doctrinales n'ont pas su convaincre un constituant, un législateur, une génération de juristes ou un système plus globalement (I).
I. Les perdants des conflits doctrinaux
Faut-il enseigner les perdants des conflits doctrinaux en les protégeant d'un oubli probable ? Quel est l'intérêt d'effectuer des recherches juridiques à propos d'une idée morte ou au nom d'un parti vaincu, lorsque leurs antonymes intellectuels règnent sur l'époque ? Est-ce que les choix des systèmes juridiques libéraux des cinquante dernières années visant à faire d'un juge le gardien des textes constitutionnels suffisent à désigner Hans Kelsen comme le vainqueur de son affrontement avec Carl Schmitt, alors même que ce dernier n'a jamais été aussi lu que depuis trente ans ? Existe-t-il, en droit, des perdants magnifiques, et pourquoi ? Léon Duguit rentrerait-il dans cette catégorie au regard de la postérité paradoxale de sa doctrine ? Toutes ces questions théoriques sont de celles qui intéressent le sujet ; toutefois, il est admis aussi que seront bienvenus les sujets étudiant en particulier un parti perdant – magnifique ou non – et dont la qualification de perdant peut justement être discutée. S'il découle immédiatement de l'idée des perdants en droit des questionnements relatifs aux conflits doctrinaux, une réflexion sous le prisme du droit portant sur les perdants des conflits politiques semble également opportune.
II. Les perdants des conflits politiques
Que deviennent les corpus juridiques défaits par des rapports de forces politiques ? Que reste-t-il du droit de la Commune de Paris ? Comment s'est écrit l'histoire constitutionnelle d'un régime politique renversé et décrié ou qui, pire, n'a jamais eu l'occasion d'advenir, telle la constitution des girondins de 1793 ? L'émergence du concept de démocratie représentative a-t-elle engendré l'obsolescence de l'idée – pourtant communément admise fût un temps – selon laquelle démocratie et représentation formaient un oxymore ? A partir de quand une pensée politique défaite devient une pensée originale, dissidente et marginalisée ? Dans les relations interétatiques, les conflits à travers lesquels sont disputées des portions de territoires entraînent- ils nécessairement la défaite de la partie qui renonce à leur possession, de gré ou de force ? Le rôle du droit dans les contentieux territoriaux pourrait ainsi être questionné : vient-il sanctionner le rapport de force politique et militaire en faveur du plus puissant des protagonistes ? Est-il au contraire un moyen pour le camp prétendument plus faible de subsister malgré la défaite ?
Enfin, le droit avalise-t-il simplement la conclusion d'un conflit ou peut-il se muer en arme pour les belligérants ? Dans le cadre des référendums d'autodétermination, qu'advient-il du camp mis en échec : est-il nécessairement appelé à abandonner ses prétentions, ou peut-il à l'inverse envisager de les revendiquer par d'autres biais ? Si les rapports de forces politiques permettent de faire émerger une majorité électorale, la minorité est-elle inéluctablement perdante, ou peut-elle dans certains cas bénéficier d'un renforcement de ses droits ? Au-delà des conflits d'idées, qu'ils soient politiques ou doctrinaux, la postérité des perdants s'étudie enfin à travers les conflits normatifs.
III. Les perdants des conflits normatifs
Comment sont appréhendés les perdants dans un système de conciliation d'intérêts ou de normes sur lequel le juge est appelé à se prononcer ? Les contrôles de constitutionnalité, de conventionnalité ou de proportionnalité auxquels se prêtent les juges lorsqu'ils sont confrontés à des principes parfois incompatibles engendrent-ils forcément un rapport de force entre un vainqueur et un perdant – le développement économique au détriment de la mise en valeur de l'environnement et du progrès social ; la protection de l'ordre public et de la santé publique au détriment du droit à la vie privée et à la liberté de circulation ? Le cas échéant, est-il possible de dégager une typologie des intérêts qui sont plus régulièrement écartés par le juge et d'en rechercher les fondements ? Peut-on identifier un corpus de droits dont peut se prévaloir celui que le droit désigne comme perdant d'un conflit et seulement en tant que désigné comme tel ? Dans un sens qui dépasse l'interprétation du droit, quel est le sort des réformes avortées qui ne sont pas parvenues à intégrer le droit positif ? Leur esprit transparaît-il plus tard sous une autre forme, ou bien sont-elles vouées à l'oubli en raison de leur échec ? Dès lors, les perdants des conflits normatifs pourraient se manifester d'une part à travers les parties perdantes en contentieux – autrement dit perdantes à l'issue d'un conflit de normes qui se présente devant le juge – et d'autre part, à travers les normes perdantes en général – à l'occasion des contentieux, mais également en dehors de ces derniers, telles que les réformes qui n'ont jamais abouti, ou les normes qui, pourtant en vigueur, peinent à être appliquées totalement ou correctement par les acteurs du droit.
Les propositions de contributions peuvent aborder le thème de la journée d'études par une variété d'approches : théorique, pratique, historique, comparative, contentieuse. Toutes les spécialités juridiques et tous les champs d'études peuvent être mobilisés.
Comité scientifique d'organisation
- Nicolas Albertini, doctorant contractuel en droit public, Université Paris-Saclay
- Philippe-Alexandre Cadrot, doctorant contractuel en droit public, Université Paris-Saclay
- Héloïse Faure, doctorante contractuelle en droit public, Université Paris-Saclay
- Jean-Yves Sotoca, doctorant contractuel en droit public, Université Paris-Saclay