Appel à communication

La différenciation est-elle l’avenir de l’Union européenne ? Production et adaptation aux logiques de différenciation

Maison française d’Oxford (MFO) & Université d’Oxford, AFSP, 29 juin 2018

Date limite le vendredi 20 avril 2018

 

 Journée d’étude organisée par le groupe de recherche sur l’Union européenne (GrUE)
de l’Association française de science politique (AFSP)

Samuel B.H. Faure, Vincent Lebrou, Francisco Roa Bastos

 

Argumentaire

Brexit, coopération structurée permanente (PESCO), espace Schengen, Eurozone, mécanisme d’« opt-out », etc. Cette journée d’étude porte sur les modalités de production des logiques de différenciation de l’Union européenne (UE) et les effets qu’elles génèrent. Elle entend plus particulièrement poser la question de l’articulation de ces logiques de différenciation à la question l’avenir du processus communautaire. Ces dernières peuvent en effet représenter une solution permettant de surmonter d’éventuels blocages politiques, notamment par le biais d’une intégration approfondie dans tel domaine d’action publique et n’impliquant que les États volontaires (Kelemen, 2014). Mais à l’inverse, la différenciation peut aussi être à l’origine de nouvelles formes de tensions. Ravivées par l’exemple récent du Brexit, elles sont susceptibles de fragiliser l’édifice communautaire, certains évoquant selon les cas un risque de fragilisation, de démantèlement voire de désintégration de l’UE (Leruth, Gänzle, Trondal, 2017). Cette journée entend donc étudier la variété des conséquences possibles de la différenciation et les effets qu’elles sont susceptibles d’exercer sur la forme et les modalités d’exercice du pouvoir politique communautaire.   

Dans le prolongement de la première journée d’étude organisée par le GrUE (février 2018, Strasbourg), cette journée d’étude analyse les transformations de l’UE à travers ses variations institutionnelles (polity). Dans cette optique, ce colloque questionne la diversité des stratégies politiques de l’UE et de ses États membres, ainsi que leurs appropriations par les opinions publiques (politics). Il est aussi question de réfléchir à l’hétérogénéité des formes prises par les politiques publiques européennes à travers l’étude de leur élaboration ou de leur mise en œuvre (policies). Depuis vingt-cinq ans, l’UE a en effet eu à surmonter des blocages politiques voire des « crises » (Ross, 2011 ; Boussaguet, Dehousse, 2014 ; Mégie, Vauchez, 2014) pour lesquelles la différenciation a parfois été mobilisée comme instrument utile à leur résolution. Pour répondre à la diversité des enjeux, des intérêts et des stratégies politiques des États membres et des attentes supposées des opinions publiques européennes, l’UE a progressivement créé les conditions d’une intégration différenciée (Stubb, 1996 ; Kölliker, 2001). Les logiques de différenciation renvoient alors à des processus politiques, plutôt qu’à un système politique sui generis, à un concept ou même à une théorie (Leruth, Lord, 2015). Elles désignent en effet l’ensemble des variations dont les institutions, les politiques de l’UE et les effets qu’elles produisent sur les États membres et l’opinion publique, sont susceptibles de faire l’objet.

Dans la littérature ayant trait à l’intégration européenne différenciée, deux types principaux de variations sont identifiés (Leruth, Gänzle, Trondal, 2017). Les variations territoriales qualifiées de différenciation « horizontale », renvoient aux États qui prennent part (« opt-in ») ou pas (« opt-out ») à l’action publique élaborée et mise en œuvre par l’UE (Adler-Nissen, 2014). Les variations politico-institutionnelles correspondant au modèle de la différenciation « verticale », caractérisent la répartition du pouvoir entre l’UE et les États entre plusieurs secteurs d’action publique (Jensen, Slapin, 2012). Ces travaux démontrent que les logiques de différenciation, quelle que soit la forme qu’elles prennent ou l’enjeu auquel elles renvoient, représentent désormais l’un des principaux moteurs des transformations de l’UE. Elles ne se limitent pas à une succession de « crises », mais correspondent plutôt à un phénomène politique continu depuis le début des années 1990, dont les espaces de production et les effets demeurent largement méconnus. Dans cette perspective, il convient de ne pas uniquement appréhender les logiques de différenciation comme un phénomène conjoncturel qui se limiterait à une réponse aux crises successives que rencontre l’UE depuis plusieurs décennies maintenant. Les logiques de différenciation, de leur élaboration à leur mise en œuvre, sont le produit d’un travail politique inscrit dans des « configurations institutionnelles » (Crespy, Ravinet, 2014) diverses et susceptibles de connaître des évolutions importantes selon les secteurs considérés. Ce travail mobilise des acteurs dont on cherchera ici à mettre en évidence les pratiques, les représentations, les ressources et le positionnement dans le système politique communautaire.

Par conséquent, cette journée d’étude appelle à proposer des communications qui puissent nous renseigner, dans le prolongement de la littérature existante, sur ces évolutions politiques inattendues qui bousculent et transforment l’organisation et le fonctionnement de l’UE. La différenciation est-elle l’avenir de l’UE ? Au-delà du consensus politique dont elle fait l’objet (Barroso, 2012 ; Van Rompuy, 2012), on cherchera ici à interroger les lignes de clivage – entre États, entre territoires, entre individus, etc. - qu’elle contribue à produire. Pour ce faire, des approches théoriques originales issues entre autres, des études européennes, de la sociologie de l’action publique, de la politique comparée, de l’économie politique, des relations internationales ou de la théorie politique, sont les bienvenues. Les propositions qui croisent les niveaux d’analyse, qui portent sur des cas d’étude méconnus ou qui mobilisent des données de première main, sont encouragées. Les logiques de différenciation sont interrogées à travers deux axes : i) leur élaboration par le travail politique des acteurs, ii) les effets qu’elles engendrent sur l’UE, les États et les citoyens européens.

 

PRODUIRE LA DIFFERENCIATION. ACTEURS, ESPACES INSTITUTIONNELS ET CHAMPS D’ACTION

Le premier axe de recherche vise à identifier les acteurs qui soutiennent les logiques de différenciation et les conditions de leur production.

Qui sont les acteurs qui entreprennent de différencier l’UE ? S’agit-il de la Commission ou d’autres organes institutionnels de l’UE, comme le Parlement ou la BCE ? Quels sont les États qui participent activement à façonner une organisation politique différenciée de l’UE : le « couple franco-allemand » (Cole, 2010) ou l’association entre l’Allemagne et le Royaume-Uni (Mayer, Stehling, 2005) ? L’identification des « entrepreneurs de la différenciation » peut prendre la forme d’une analyse comparative, diachronique à travers différents contextes historiques (Bartolini, 2005), ou synchronique entre plusieurs politiques publiques (Dyson, Sepos, 2010 ; Vilpisaukas, 2014). Des domaines ou enjeux de politiques publiques sont-ils plus propices à l’instauration d’une approche différenciée, par exemple des États membres dans le cadre des réformes structurelles initiées depuis Bruxelles (Hamm, 2016) ? Les acteurs qui soutiennent ou s’opposent à la production de logiques de différenciation peuvent être restitués à des niveaux d’analyse macro (Leuffen, Rittberger, Schimmelfennig, 2012), meso (Dehousse, Thompson, 2012) ou micro (Joana, Smith, 2002 ; Georgakakis, 2017). Au-delà des organes institutionnels de l’UE et des États, les « entrepreneurs de la différenciation » se situent-ils simultanément aux échelles d’action publique nationale et européenne, formant des configurations d’acteurs transnationales (Kauppi, 2013) ? Ces configurations d’acteurs comptent-elles des groupes d’intérêts, ou bien la séparation entre acteurs institutionnels de l’UE et acteurs privés façonne-t-elle la production des logiques de différenciation ? Ces questionnements interrogent les « lignes de démarcation » institutionnelles au-delà du clivage national, entre les « insiders » et les « outsiders » de l’UE, et le travail de définition dont elles font l’objet au sein et en dehors des institutions communautaires. Au-delà de la gouvernance européenne, cet axe s’intéressera aussi à des communications qui présenteront des analyses portant sur les comportements des opinions publiques (Van Ingelgom, 2012) vis-à-vis de la production de la différentiation.

Une fois que les acteurs sont cartographiés dans un contexte donné, il s’agit de révéler les variables explicatives du changement politique observé. Au-delà des discours politiques visant à « régler un problème public » afin de rendre l’UE « plus efficace » ou « plus démocratique » (Stubb, 2014 ; Commission, 2017 ; Macron, 2017), pourquoi des acteurs jouent-ils le jeu de la différenciation, et d’autres tentent simultanément de le bloquer ? Quels sont les intérêts, les normes ou les pratiques des acteurs qui se situent à la genèse d’un processus de différenciation de l’UE ? Dans une « logique de conséquences », il s’agit de dévoiler les préférences qui amènent un acteur à soutenir ou à s’opposer à la production d’une logique de différenciation. Le degré d’interdépendance entre les acteurs et le niveau de politisation des enjeux peuvent être des variables explicatives (Schimmelfennig, Leufen, Rittberger, 2015). Une attention particulière pourra également être portée aux propriétés sociales et à la position plus ou moins centrale au sein du « champ de l’Eurocratie » (Georgakakis, Rowell, 2013) des acteurs impliqués dans la définition de ces processus. Dans une « logique d’adéquation », il faudra partir à la recherche des dynamiques institutionnelles qui favorisent les transformations politiques (renforcement de la différenciation) ou leur inertie (endiguement de la différenciation) (Börzel, Risse, 2017). La mise en place des mécanismes d’« opt-out » ou d’ « opt-in » pourraient constituer ici des exemples privilégiés (Adler-Nissen, 2009, 2014 ; Duttle, Holzinger, Malang, 2017), au même titre que les analyses portant sur le Brexit (Chopin, Lequesne, 2016 ; Evans, Menon, 2017 ; Nicolaïdis, 2017a, 2018). À ce propos, on peut s’interroger sur la spécificité du processus de « désintégration » (Webber, 2014) : forme de différenciation « comme une autre  » ou phénomène politique propre ?

 

S’ADAPTER, PROFITER OU SUBIR LA DIFFERENCIATION ?

Le deuxième axe de recherche réunit des travaux qui portent sur les effets des logiques de différenciation sur l’UE.

À quelle échelle d’élaboration et de mise en œuvre de l’action publique, les processus de différenciation génèrent-ils des effets politico-institutionnels ? Les conséquences de ces logiques se font-elles sentir exclusivement au niveau des relations institutionnelles que les États sont susceptibles d’entretenir entre eux et/ou avec l’UE ? Cette journée vise également à analyser la variété des effets que ces logiques de différenciation sont susceptibles de produire. L’analyse des échelles européenne, nationale et infranationale – ainsi que leur articulation – pourrait ainsi être explorée. À l’échelle infranationale par exemple, les propositions pourraient porter, dans le cadre de la PAC (Mesnel, 2015) ou de la redistribution des fonds structurels (Büttner, Leopold, 2016), sur les effets de mise en concurrence induits par des instruments tels que le « benchmarking », le financement sur projet ou le contrôle financier. L’instrumentation de l’action publique communautaire, axée selon les cas sur une logique compétitivité (Bruno, 2010) ou d’efficience gestionnaire (Bachtler, Mendez, 2011), exerce des effets de différenciation importants, et jusque-là peu explorés. Elle contribue en effet à distinguer États, régions, organisations politiques ou associatives sur la base de critères liés à la performance. La différenciation peut alors venir se nicher dans la mobilisation des instruments de l’action publique communautaire et distinguer ceux qui sont habilités à participer au jeu politique communautaire de ceux qui sont invités à rester aux confins du système politique communautaire pour cause de performances insuffisantes.

De manière plus générale, on pourra interroger ici les différences d’adaptation des acteurs politico-institutionnels aux effets politico-institutionnels produits par la différenciation : s’adaptent-ils, en bénéficient-ils ou les subissent-ils ? Comment la structuration « différenciée » de l’UE (Georgakakis, 2012) entraîne-t-elle des pressions à l’adaptation dans les États membres ? Il s’agit ici de comprendre les « dynamiques d’européanisation différenciées » (Rayroux, 2017), en rendant compte des rapports complexes entre acteurs et échelles d’action publique (Caune, 2013 ; Graziano, 2011). Il pourrait en résulter des apports utiles à la littérature sur l’européanisation en utilisant, par exemple, les concepts d’adaptation, de diffusion, de circulation ou de convergence (Irondelle, 2003 ; Saurugger, 2005 ; Börzel, Risse, 2013 ; Vauchez, 2013). Les communications pourront également apporter des éléments de réflexion portant sur la différenciation à l’œuvre des populations européennes ou extra-européennes dans le cadre de l’action publique communautaire. La mise en place de l’espace Schengen s’est par exemple accompagnée de la création d’instruments de contrôle des déplacements de catégories de population spécifiques (Bigo, 2016) ou de la mise en place de zones tampon (El Qadim, 2010), créant par là même des disparités fortes dans l’appréhension des différentes catégories de population présentes ou susceptibles d’investir l’espace communautaire.

À partir de ces quelques exemples, l’enjeu est d’explorer une nouvelle piste de recherche en n’envisageant plus uniquement les effets de la différenciation à l’aune des relations entre États membres et des stratégies que ces derniers développent à l’égard de l’UE. On se demandera ici jusqu’où et avec quelle intensité les conséquences de politiques qui distinguent les individus selon leurs profils sociaux ou les organisations politiques et administratives selon leurs performances se font sentir. Ainsi, ces communications devraient nous permettre de comprendre si la différenciation est une solution (Bickerton, 2016) – et si oui, sous quelles formes ? – pour construire une intégration européenne « soutenable » (Nicolaïdis, 2017b).

 

Modalités d’envoi des propositions

Les propositions (en anglais ou en français) doivent présenter :

  • Le titre de la communication
  • Un résumé de 400 mots maximum
  • L’axe de recherche auquel elle est rattachée
  • Le nom du ou des chercheur.e.s, avec ses/leurs coordonnées, son/leur.s affiliation.s institutionnelle.s

 

Elles sont à adresser à : samuel.faure@politics.ox.ac.ukvincent.lebrou@misha.fr et francisco.roabastos@unistra.fr.  

Échéance pour l’envoi des propositions : 20 avril 2018

Sélection et réponses aux chercheurs : 30 avril 2018

Envoi des textes de communications : 22 juin 2018

Colloque : 29 juin 2018