Gouvernance, état d’exception et construction étatique à Madagascar : ces trois notions sont indissociables d’une approche de la composante juridique du concept d’état d’exception. Cette démarche implique, d’une part, l’examen de la construction tourmentée de l’ordre juridique postcolonial et celui, d’autre part, du processus de constitutionnalisation des pouvoirs de crise. Par ailleurs, il conviendra de se pencher sur les applications de l’état d’exception qui, de 1972 à 2002, ont suscité une nouvelle dynamique de conceptualisation et, mutatis mutandis, la perpétuation d’une tradition juridique de l’exception. Cette approche éclairera les dérives liées à la pratique et à l’expérimentation des pouvoirs de crise. Elle en explorera les propriétés. Elle n’en exclura pas, loin s’en faut, les marqueurs comparables avec d’autres cas d’étude et les interférences incontournables avec le droit international. Dans un deuxième temps, cette contribution s’efforcera d’interroger la composante politique de l’état d’exception. En effet, cette dimension prédominante détermine une meilleure compréhension de l’application du dispositif sur le terrain malgache, tout en permettant d’expliciter la construction et les pratiques politiques de l’état d’exception, là où le droit reste muet, discret, inapplicable, obscur ou équivoque. Notre démonstration s’appuiera ici sur une notion-clef de la pensée schmittienne : le « décisionnisme politique ». Par ailleurs, les théories du philosophe italien Giorgio Agamben, relatives à l’état d’exception comme « paradigme normal de gouvernement » et sur le concept-même de « dispositif », viendront enrichir l’analyse de l’usage et de la maîtrise des pouvoirs de crise. Dans un troisième temps, il conviendra de circonscrire et de questionner la thèse de l’«exceptionnel ordinaire», fréquemment soutenue par de nombreuses théories et de confronter sa pertinence au cas malgache, afin d’en apprécier la validité. Le montage politique d’«état d’exception permanent » et la banalisation des crises occasionnent, à l’aune du contexte malgache, l’émergence de la notion inédite d’« état d’exception débridé », sans toutefois éclipser celle, tout autant inédite, d’« exception particulière », comme tend à le démontrer la crise politique de 2009. Cette analyse ne manquera pas de recourir aux apports de l’anthropologie : en effet, dimensions culturelles, spécificités malgaches et imaginaire collectif contribueront à mieux circonscrire les modes d’acculturation de la société malgache aux concepts « importés ». Enfin, sans clôturer la réflexion, cette contribution s’efforcera de mieux saisir la dialectique de « l’État malgache en déliquescence ». Sera explorée l’émergence de nouveaux paradigmes de gestion de crise plus concertée, plus consensuelle, plus inclusive, plus rationnalisée, plus internationalisée, moins autoritaire, moins contestable, moins « débridée ». Tout aussi éloigné des jugements de valeur hâtifs que des reconstructions à dominante « culturaliste » qui privilégient une forme de fatalisme sur la trajectoire et le sort de la Grande Île, notre contribution visera d’abord à expliciter des réalités socio-politiques complexes, et à considérer les nombreux défis qui subsistent dans le processus encore inachevé de construction de l’État de droit à Madagascar