Cette recherche aborde la scène politique de deux pays d’Afrique de l’Est (Éthiopie-Kenya) en s’appuyant sur une analyse des enjeux politiques inhérents à la mise en place d’institutions mémorielles telles que les musées, les mausolées et autres lieux de mémoires. Notre thèse est que ces musées sont à comprendre avant tout comme des espaces intermédiaires de négociation entre les groupes qui les portent, l’État qui les finance ou les autorise, et les organisations internationales qui soutiennent et influencent les projets patrimoniaux des gouvernements. Cette recherche se concentre ainsi sur deux études de cas : le musée Konso en Éthiopie et le musée-mausolée de Koitalel Samoei au Kenya. Ces institutions s’inscrivent dans des contextes politiques particuliers au début des années 2000, à savoir l’application effective du pluralisme politique au Kenya et le renforcement de l’autoritarisme en Éthiopie. Au Kenya, la négociation autour de l’interprétation du passé en termes politiques se fait au sein même du musée-mausolée dédié au héros Koitalel Samoei, tandis que le cas éthiopien souligne plutôt que les rapports de pouvoir sont restructurés ou réorganisés par la présence d’un premier musée ethnographique en région, le musée Konso.L’apparition de musées communautaires témoigne, au Kenya comme en Éthiopie, d’un retour de l’identité ethnique en politique, qui est à la fois brandie comme une bannière par les gouvernements, mais également utilisée comme une catégorie opératoire ou une ressource par des acteurs particuliers, qu’on appellera ici des « entrepreneurs de patrimoine ». Par l’usage d’un nouveau capital, le patrimoine et sa préservation, ces « entrepreneurs de patrimoine » s’imposent ainsi à la fois comme des « entrepreneurs de soi » au sens de Michel Foucault, mais également comme des « entrepreneurs du nous » en politique, occupant une position graduelle dans les négociations et les prises de décisions publiques. Dès lors, il faut décentrer le regard pour s’intéresser à ce que le musée fait au politique, et non plus seulement à ce que la politique fait des musées.En incluant également l’analyse des usages politiques de la mémoire étatiques et internationaux, ce travail cherche à renverser la perspective en adoptant une entrée microsociologique et ethnographique en science politique, étudiant les déterminants et les modalités de la reconstruction nationale du point de vue des musées communautaires. Cette approche « par le bas », articulée aux niveaux d’analyse macro (État, idéologie, cadre institutionnel) et micro (les institutions et acteurs du patrimoine, les élites politiques locales) invite ainsi à une réflexion plus générale sur la construction, la qualification et les perceptions des régimes politiques, entamant une réflexion sur la nature de l’État qui se dévoile à travers ces nouvelles politiques mémorielles et patrimoniales, ainsi que sur le rôle joué par ces nouveaux « entrepreneurs de patrimoine » dans la reconfiguration de la compétition politique.