lesvoyagesformentlingenieur


Parution : 01/2015
Editeur : Classiques Garnier
ISBN : 978-2-8124-4673-3
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Les voyages forment l’ingénieur

Jean-Philippe Passaqui

« Les mineurs, armés de pics emmanchés à de longues perches, provoquaient la chute du charbon en grandes masses au-dessus de leur tête, au risque d’être écrasés. Comme il fallait soutenir les vides gigantesques qui se produisaient, des massifs entiers étaient abandonnés dans la mine comme étais ou piliers, et les deux tiers de la houille restaient complètement improductifs.  C’était,  on  le  voit,  un  vrai  gaspillage.  Il  fallait  fuir,  au  reste,  devant l’éboulement qui souvent s’annonçait formidable, et une portion du charbon abattu était encore laissée dans la mine ; mais le désavantage de ce foisonnement était surtout de provoquer des incendies dans les chantiers.»

Ces quelques lignes sont extraites d’un ouvrage connu, La Vie souterraine, écrit par Louis Simonin et publié en 1867. Elles illustrent parfaitement les deux aspects majeurs du livre intitulé « Les voyages forment l’ingénieur » : découvrir, décrire le monde des mines, celui des houillères en particulier, en s’intéressant à une période charnière de l’histoire minière française, celle de la modernisation à marche forcée, dans le but d’accroître une production portée par un marché dynamique, celui de la France qui s’industrialise, au cours des années 1850 et 1860. Le propos de Simonin concerne des exploitations particulières, les houillères du Centre et du Midi de la France, qui sont confrontées à des couches de houille puissantes, dont le pendage est irrégulier. Au cours des décennies précédentes, elles ont été exploitées à moindre coût, pour contrebalancer un prix de vente moyen trop bas pour justifier des investissements et des projets d’aménagements qui s’inscrivent dans la durée. Produire dans l’instant, pour l’instant, l’emporte sur toute autre considération.

Dans ces conditions, le gaspillage est de mise, encouragé par la croyance que les ressources charbonnières de ces gisements sont immenses. Mais au cours des années 1840, cette façon d’aborder l’exploitation de la houille montre ses limites. Au moment de créer la Société de l’Industrie Minérale, L-E. Grüner est conscient des menaces qui pèsent sur ces mines. Il remarque : « Il est reconnu depuis longtemps que l’exploitation des couches puissantes de houille présente, à tous égards, des difficultés beaucoup plus grandes que celles des veines d’une faible épaisseur.» Mais ces contraintes sont stimulantes. L’École des mines de Paris fait de ces houillères un des lieux privilégiés des visites de mines que réalisent ses élèves pendant l’été. Ils découvrent la chaîne productive imaginée pour surmonter les dangers nés de la présence de ces couches puissantes. Élèves-ingénieurs sur le point d’intégrer le prestigieux Corps des Mines, élèves externes destinés à devenir des ingénieurs civils des mines prennent contact avec le terrain, ces mines de charbon du Centre et du Midi notamment, pour devenir des observateurs voire les praticiens d’un monde souterrain qu’ils ne connaissent encore que par les enseignements de leurs maîtres. Ils en tirent des mémoires et journaux de voyage, sources majeures pour l’histoire de l’industrialisation de la France et matière première de cet ouvrage.