Présentation
De la guerre de Cent Ans à la fin de la Première Guerre mondiale, d'Arras en 1435 à Paris et Versailles en 1919, les rencontres diplomatiques organisées en Europe autour de la paix sont très nombreuses. Les sources médiévales ne mentionnent le terme générique de « conférences » que pour désigner les réunions où des émissaires discutent des chemins de paix. Le mot « congrès » diplomatique, et la forme qui lui est associée, n'apparaissent réellement qu'à partir du milieu du XVIIe siècle. Au XIXe siècle, les conférences et les congrès sont marqués, entre autres, par la montée en puissance des Etats-nations, l'émergence de la diplomatie de concert et le rôle croissant de l'anglais. Les lieux, les acteurs, l'organisation, les modes de sociabilité et la durée de ces rencontres varient donc considérablement du 15e au début du 20e siècle. Ils n'en sont pas moins caractérisés par le souci commun, sinon réel, du moins proclamé, d'éviter ou de mettre fin aux conflits. Les réunions les plus importantes - rassemblées à titre d'information dans la liste ci-dessous - abordent des questions cruciales, visent une stabilisation ou un changement décisif dans les relations entre les puissances et ont laissé une marque durable dans la mémoire collective. Les congrès et les conférences sur la paix sont aussi des événements extraordinaires et multiformes. A l'instar des réunions princières des temps modernes, pour lesquelles Jean-Marie le Gall a su discerner une vaste gamme de divertissements (mystères, participations triomphales, joutes, tournois, manèges, bals équestres, bals, ballets, représentations théâtrales, concerts, opéras et autres formes lyriques, jeux et courses d'animaux, feux d'artifice et illuminations). Voir : Jean-Marie Le Gall, « Fêtes accueil : rencontres princières et système de divertissements à l'époque moderne », Revue historique, 2022, n°704, pp. 851-914, principalement pp. 857-858), les congrès et conférences sur la paix sont ainsi l'occasion de spectacles multiples et variés. Ce colloque se propose d'étudier ces formes de spectacle dans une perspective comparative, typologique et diachronique, tout en mettant en évidence le caractère unique des différentes performances spectaculaires. Le sujet a déjà suscité l'intérêt des historiens de la diplomatie. Plusieurs études importantes consacrées aux rencontres entre princes, au Moyen Age et à l'époque moderne, ainsi qu'aux congrès, ont mis en évidence le nombre, la diversité et l'importance des fêtes publiques, des célébrations et des rituels religieux à ces occasions. Nous nous référons ici aux travaux fondateurs de Lucien Bély sur les congrès, en particulier celui d'Utrecht (Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, 1990), à un colloque récent explorant systématiquement les interactions entre les congrès et les villes d'accueil (Christian Windler [éd.], Kongresorte der frühen Neuzeit im europäischen Vergleich : der Frieden von Baden (1714), 2016), ou encore des analyses de la dimension sonore, notamment musicale, de la diplomatie (voir par exemple Damien Mahiet, Rebekah Ahrendt et Frédéric Ramel (dir.), Diplomacy, audible and resonant, dossier in Diplomatica, vol. 3/2, 2021). D'une manière générale, l'histoire de la diplomatie, en intégrant beaucoup plus d'acteurs dans ses champs d'enquête, prend désormais davantage en considération les artistes, jongleurs, danseurs, acteurs, peintres et musiciens qui s'expriment lors des conférences CES et congrès. L'organisation de certains spectacles, concerts et pièces de théâtre en particulier, a été analysée en profondeur. Cependant, les spécialistes de la diplomatie ont généralement considéré ces pratiques comme une forme d'accessoire, sous l'angle du divertissement, éventuellement avec une signification symbolique. Une approche globale de la typologie, des rôles et de l'évolution des pratiques spectaculaires dans un contexte diplomatique fait encore défaut. Quant à l'histoire du spectacle, qui est aussi devenue une véritable discipline, les congrès et conférences de paix n'ont pas fait l'objet d'un travail spécifique. Ce sont surtout les musicologues qui s'y intéressent, dans le cadre plus large de l'étude des rapports entre musique et politique, comme l'illustre par exemple le colloque « Musique et sorties de guerres (XIXe-XXIe siècles) » tenu à Montréal en 2018. En se situant à la croisée des études sur le spectacle, la diplomatie, l'histoire de la musique, du théâtre, des arts picturaux et de la danse, ce colloque entend donc favoriser le dialogue entre plusieurs historiographies qui, depuis plusieurs décennies, se sont très vigoureusement renouvelées. Plusieurs axes de recherche complémentaires seront privilégiés pour considérer l'ensemble des pratiques spectaculaires dans les conférences et congrès. La première étape sera de déterminer qui sont les acteurs de ces spectacles. Si la séparation entre professionnels et amateurs est délicate et n'a pas forcément de sens à tout moment, la prise en considération des individus concernés est fondamentale. Les participants et le public – ces deux catégories peuvent se confondre – seront considérés ensemble. La question de savoir où se déroulent les spectacles est tout aussi importante. Les lieux de négociation diplomatique se transforment-ils pour accueillir ces spectacles ou les envoyés diplomatiques sont-ils invités à se déplacer ailleurs, sur des lieux de représentation ? Y a-t-il des sites naturels et urbains ? Cette réflexion sur les acteurs et les lieux nous amène à nous interroger sur les négociations préalables à la représentation des spectacles. Qui décide ? Selon quel calendrier ? Qui paie ? Une approche économique des spectacles est essentielle. L'étude de ces différents points conduit à explorer comment s'interpénètrent la culture « spectaculaire » et la culture diplomatique, comment les pratiques liées à ces deux types d'activités coexistent et s'influencent mutuellement. L'étude du répertoire (mot à prendre ici au sens large) est essentielle à cet égard. Si l'on parle ou chante, quelle langue est choisie ? L'objectif est-il d'innover, de proposer des créations ou de recourir à des formes de spectacle plus traditionnelles ? La réflexion portera également sur la signification symbolique des spectacles. Quel discours véhiculent-ils ? Comment s'harmonisent-ils avec ceux qui forment la matière même du travail diplomatique ? La manière dont cela est réalisé pendant les salons est une question centrale pour la conférence. Poser une telle question conduit à une évaluation du bénéfice politique attendu et apporté par les spectacles – et cette question est aussi liée à celle de la réception (ou de l'oubli) de ces spectacles, à la fois chez les contemporains et à plus long terme. Des sources nombreuses et variées ont pu être mobilisées pour traiter de ce sujet : livres d'apparat, correspondances diplomatiques, journaux d'ambassades, documents comptables, iconographie, journaux intimes, presse, sources matérielles (costumes, éléments décoratifs, lieux où se déroulent les événements), etc.
Annexe : liste indicative des congrès 1435 - Congrès d'Arras 1459 - Concile de Mantoue 1643-1648 - Congrès de Westphalie 1678-1679 - congrès de Nimègue 1697 - Congrès de Ryswick 1712-1713 - Congrès d'Utrecht 1714 - Congrès de Bade 1814-1815 - Congrès de Vienne 1818 - Congrès d'Aix-la-Chapelle 1820 - Congrès de Troppau 1821 - Congrès de Laybach 1822 - Congrès de Vérone 1856 - Congrès de Paris 1878 - Congrès de Berlin 1885 - Conférence de Berlin 1906 - Conférence d'Algésiras 1919 - Conférence de paix de Paris
Comité scientifique : Lucien Bély (Sorbonne Université) Marie Bouhaïk-Gironès (CNRS) Yves Bruley (EPHE-PSL) Astrid Castres (EPHE-PSL) Véronique Dominguez (Université de Nantes) Laurent Hablot (EPHE-PSL) Beate Angelika Kraus (Beethoven-Haus, Vienne) Guy-Michel Leproux (EPHE-PSL) Jean-Marie Moeglin (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres) Cécile Reynaud (EPHE-PSL)
Programme
Mercredi 25 Septembre 2024
(EPHE/Sorbonne)
9h30 : Introduction
Stéphane Péquignot et Jean-Claude Yon, EPHE – PSL, Saprat
Première session
Présidence : Jean-Marie Moeglin, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres
10h00 : L'effervescence héraldique et emblématique dans les conférences diplomatiques aux XIVe-XVe siècles : décor ou discours ?
Laurent Hablot, EPHE – PSL, Saprat
Le héraut d'armes ou la diplomatie des joutes au XVe siècle
Henri Simonneau, Université Toulouse-Jean Jaurès, FRAMESPA
Une diplomatie rythmée ? Les multiples temporalités de la paix signée à Arras en septembre 1435
Elodie Lecuppre-Desjardin et Jordy Saillier, Université de Lille
12h00 : Pause déjeuner
Deuxième session
Présidence : Lucien Bély, Sorbonne Université
14h30 : Facéties bouffonnes et négociations de paix au milieu du XVIe siècle
Bertrand Haan, Sorbonne Université / Sorbonne Université Abu Dhabi
Théâtre et ballet au congrès de Westphalie
Guido Braun, Université de Haute Alsace, Mulhouse
Négociations et travestissement : la fête de Carnaval lors des conférences autour du subside de la Barrière à Bruxelles en 1753
Jean-Charles Speeckaert, Université d'Artois
16h30 : Fin de la 1ère journée
Jeudi 26 Septembre 2024
(EPHE/Sorbonne)
Troisième session
Présidence : Niels F. May, Institut historique allemand
9h30 : Le spectacle textile de la conférence de paix entre l'Angleterre et l'Espagne (1603-1605)
Nathalie Rivère de Carles, Université Toulouse-Jean Jaurès, CAS
Firework displays celebrating conference peace conclusions
Hans-Martin Kaulbach, Staatsgalerie Stuttgart
Mettre en scène la paix pour diffuser la gloire : le cas limite des fêtes de 1674
Alice Hennetier, Lettres Sorbonne Université
Diplomatic theatricality. Reconstructing the sociability of the Congress of Nijmegen (c. 1677-1679)
Andrea Bergaz Álvarez, Universidad Complutense, Madrid
12h00 : Pause déjeuner
Quatrième session
Présidence : Jakob Vogel, Sciences Po Paris
14h30 : Entre gloire, indépendance et collaboration : le rôle de Beethoven face au public international de Vienne en 1814/15
Beate Angelika Kraus, Beethoven-Haus, Bonn
Les spectacles au congrès de Vienne et dans les congrès du premier Concert européen
Raphaël Cahen, Justus Liebig Universität Giessen / Vrije Universiteit Brussel
Dancing in the shadow of the Congress. Embodying Power in Brussels before and after Waterloo (1813 – 1823)
Cor Vanistendael, Université de Gand
16h30 : Fin de la 2nde journée
Vendredi 27 Septembre 2024
(Université Ouverte de Versailles)
Cinquième session
Présidence : Jean-Charles Geslot, UVSQ/Paris-Saclay
10h00 : Un contre-exemple ? La conférence d'Algésiras (1906), ou le huis clos diplomatique pour seul spectacle
Yves Bruley, EPHE – PSL, Saprat
Les programmes musicaux des festivités de la Conférence de la Paix (janvier 1919-janvier 1920)
Cécile Reynaud, EPHE – PSL, Saprat
Conclusions
Jean-Marie Le Gall, Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne
12h00 : Pause déjeuner
14h00 : Visite de la Galerie des Affaires étrangères de la Bibliothèque municipale de Versailles
sous la conduite de Vincent Haegele, Directeur des bibliothèques de la Ville de Versailles
Contacts : stephane.pequignot@ephe.psl.eu - jean-claude.yon@ephe.psl.eu ou thomas.cocano@ephe.psl.eu
Colloque international organisé par l'équipe de recherche Saprat (EPHE-PSL) - Ecole pratique des hautes études - Paris et Versailles avec le soutien et le concours de la section des Sciences historiques et philologiques de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, l'Université Ouverte de Versailles et la ville de Versailles sous la direction scientifique de Stéphane Péquignot et Jean-Claude Yon, Saprat, EPHE – PSL avec le soutien de Maddalena Bellavitis