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mercredi24mai2023
jeudi25mai2023
Frontière(s). Altérités et identités saisies par le droit

Colloque

Frontière(s). Altérités et identités saisies par le droit


Présentation

 

Flux migratoires, conflits militaires et guerres, interventions paramilitaires, pandémie de la Covid-19 – l'actualité internationale rappelle régulièrement la centralité des frontières dans la construction normative. Leur porosité apparente pour des raisons économiques, idéologiques, politiques, culturelles s'est heurtée à différentes crises et l'urgence a supplanté dans certains cas l'interdépendance étatique découlant de la mondialisation. Loin d'être un phénomène récent, les frontières connaissent dans la longue durée des périodes d'ouverture et de fermeture, de déplacements et de contestations à différentes échelles. Aux frontières territoriales s'ajoutent leurs pendants immatériels et symboliques, reflétant perceptions individuelles, collectives et évolutions sociales. Cette délimitation touchant un espace trouve un parallèle dans le monde juridique avec la création, en apparence nécessaire, d'exceptions à l'élaboration de toute norme. Ainsi, aucune catégorie juridique ne semble satisfaisante pour représenter le réel et une adaptation du droit est constamment recherchée. En tant que processus politique, normatif, identitaire visant à délimiter le « soi » face à l'« autre », le discours qui légitime la conception d'une frontière se fonde sur une série de dichotomies idéologiques. Celles-ci opposent le civilisé au barbare, la raison à la déraison, la sécurité à la menace, la promesse d'un avenir meilleur aux oppressions de différentes natures. Les arguments mobilisés dans ce discours sont variés : des faits historiques, des relevés naturels ou géographiques, des similitudes culturelles, confessionnelles, ethniques, des considérations sanitaires, une mobilisation symbolique ou mythologique commune.

Il convient d'interroger la construction narrative ou discursive portée par les différents acteurs. En outre, la terminologie sur laquelle s'appuient ces arguments n'est pas neutre. De la qualification même de la limite se dessinent des enjeux politiques et idéologiques, à l'instar de la frontière dite naturelle. Présentée comme objective, concrète, échappant aux rapports de force, cette démarcation idéale, particulièrement théorisée au siècle des Lumières, contribuera pourtant grandement à la légitimation des Etats-Nations.

Quelles sont les raisons poussant à concevoir une limite tant matérielle que symbolique et immatérielle ? A quel moment la fixation d'une frontière devient-elle nécessaire ? A l'image de l'Empire romain des premiers siècles, une frontière peut s'établir lorsque la puissance en question renonce à étendre davantage son influence et met fin à une politique de conquête. Par ailleurs, un litige ou un conflit opposant deux autorités distinctes peut mettre en évidence la nécessité de matérialiser territorialement les limites de chacune, comme en témoigne la consécration du concept de frontière-ligne dans les traités de Westphalie au XVIIe siècle. La conceptualisation d'une frontière peut également naître de ce qu'une autorité souhaite limiter un processus d'assimilation, d'acculturation et donc marquer concrètement l'altérité. Le concept d'Etat-Nation émane quant à lui de la volonté d'une puissance d'affirmer sa souveraineté et de faire coïncider les frontières symboliques, religieuses, culturelles, juridictionnelles ou autres avec leurs dimensions territoriales. Sont interrogés les mécanismes mis en œuvre lors du processus de construction : reconnaissance interne, droit international, entrée en vigueur de traités, etc. Quels sont les critères, juridiques ou non, qui rendent une limite opérante ?

Au-delà de son élaboration discursive, la frontière est également un espace vécu et devient un outil de différenciation produisant des effets sur les sujets de droit. Comment le droit se saisit-il des cas limites en ce qu'ils échappent aux régimes communs ? Par le recours aux exceptions - et donc à la “défaisabilité” du droit - ou en élaborant de nouvelles catégories ? Mais penser la frontière ne peut se réduire à envisager les effets séparateurs, réels ou fictifs, qu'entraîne son tracé. Il s'agit également d'une zone de contact constant avec l'autre, un espace de passage poreux et dynamique propice à l'acculturation, à l'hybridation des pratiques et au pluralisme juridique. Le droit, qui pose des catégories juridiques a priori imperméables, se retrouve questionné par le biais de la frontière. Que faire lorsque les divisions pensées par le législateur sont contestées par la pratique ? Au reste, com[1]ment matérialiser les cas particuliers des communautés diasporiques ? Comment traiter le lien qui les unit à leur patrie symbolique ou historique ? Ainsi les populations peuvent nier le caractère séparateur de la frontière davantage comme une zone d'échange que comme une limite de passage. En cela, il convient d'interroger la zone frontalière comme une interface, une marge permettant mutations et expérimentations. Elle accueille également des pratiques rétives à la légitimation identitaire de la limite, ou remettant en cause un centralisme juridique qui peine parfois à s'y imposer. Car la frontière est aussi la périphérie, voire les confins. Lieu d'une altérité subie, elle est aussi celui d'une marginalité choisie. Par son éloignement du centre, elle nourrit, à l'instar de la frontière occidentale des Etats-Unis d'Amérique et de son constant repoussement au cours du XIXe siècle, un imaginaire de libertés face à une autorité apparaissant comme toujours trop centralisée. Zone fructueuse pour le droit, lieu de pratiques alternatives, la frontière questionne tout autant le discours identitaire qu'elle permet de le légitimer. Les contestations nées d'une délimitation pointent le caractère illusoire d'une frontière linéaire, d'une séparation nette. Une démarcation imposée par l'appareil étatique peut donner lieu à des objections, voire être le moteur de luttes indépendantistes. Par son lien étroit avec la notion d'Etat, il n'est pas rare que la frontière s'attire les foudres de mouvements contestant la légitimité de ce dernier. Elle apparaît par ailleurs comme un obstacle à la révolution prolétarienne et disparaît des projets de sociétés idéales marxistes et anarchistes. Mais le rejet des frontières n'est pas l'apanage des idéologies classées à gauche. Ainsi, les libertariens prônent quant à eux l'avènement d'une société régie seulement par l'individu, dans laquelle les frontières sont abattues comme autant de limites à la liberté.

Pendant de certaines religions, le principe d'universalité est porteur d'un dépassement des limites territoriales et ethniques. Dans sa conception économique, il prend la forme d'accords, de collaborations régionales ou d'espaces de libre-circulation. Toutefois, cette trans-frontiérisation des rapports n'est pas absolue : les frontières d'un Etat sont plus ou moins perméables selon l'acteur du déplacement. C'est alors un autre système qui vient soutenir la persistance de l'altérité en se basant sur des critères matériels ou socio-culturels, mais en se détachant du territoire.

Selon l'anthropologue Michel Agier, les formes élémentaires de la frontière sont multiples : « Frontière des lieux (ici et là-bas), frontière du temps (avant et après) et frontière du monde social et du sensible (de soi et de l'autre, de tout ce qui arrive à exister socialement en délimitant un propre et un différent au sein d'un environnement fini) » (La Condition cosmopolite. L'anthropologie à l'épreuve du piège identitaire, Paris, La Découverte, 2013, p. 32). Loin de se cantonner à la composante géographique, elle présente également des dimensions immatérielles et symboliques. C'est à cela que seront consacrées ces journées doctorales : interroger la frontière en tant qu'objet de droit, admettant la complexité de sa constitution, de son acceptation, de son évolution. Ainsi, c'est le rôle du droit dans la formation de limites immatérielles, de création de catégories juridiques si nécessaires à son effectivité qui sera interrogé. C'est donc la frontière sous toutes ses dimensions qui est ici sou[1]mise à l'analyse, de son ancrage géographique à la définition de catégories juridiques. Fonctions de contrôle, définition de l'altérité, constructions et contours de statuts juridiques ou politiques – voilà autant de questionnements autours des limites et des espaces frontaliers qui feront l'objet de débats lors de cette manifestation scientifique. Les communications proposées pourront traiter de cas précis – échelle micro – comme des dynamiques plus générales – échelles méso ou macro –, avec un intérêt particulier pour les imbrications de durées, l'originalité de l'approche et la variété des sujets.

 

Programme

 

24 Mai 2023

 

Session 1

 

Axe 1 - Perception et (re)définition de la frontière

14h00 : Propos introductif

Philosophes et Rhéteurs, de l'effet du droit romain sur une frontière intellectuelle
Pierre-François Aubry, Doctorant à l'Université de Paris-Assas

Les vertus et la tradition. Etude de l'aristocratie sous la République romaine
Claire Laborde-Menjaud, Doctorante à l'Université de Paris-Nanterre

La frontière entre profane et sacré : la désacralisation du blasphème dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle
Clarisse Meykiechel, Doctorante à l'Université de Paris-Nanterre

15h15 : Pause

Les frontières administratives dans l'art contemporain : comment des artistes interrogent-ils la confrontation des exilés aux institutions occidentales ?
Ann Epoudry, Doctorante à l'Université de Toulouse I

Frontières matérielles, immatérielles et dissoutes au cœur des métavers
Jennifer Gaumann, Doctorante à l'Université de Genève

17h00 : Fin de la journée

 

25 Mai 2023

 

Session 2

 

Axe 2 - Particularismes et appropriation de la frontière

9h00 : Au Nord les testaments, au Sud les partages. Pour une géographie coutumière des successions mésopotamiennes au deuxième millénaire avant notre ère
Jules Jallet-Martini, Doctorant à l'Université Paris-Assas

Cas limite et villes frontalières. Le statut des juifs à Beaucaire et Tarascon au XIIIe siècle
Morgane Fortin, Doctorante à l'Université de Paris-Nanterre

Porter le manteau ou ne pas le porter : le vêtement comme symbole de résistance politique
Marion Attia, Doctorante à l'Université de Paris-Nanterre

11h00 : Pause

Le détournement juridique des frontières comme outil de protection par les contumax fugitifs (XVII-XVIIIe siècle)
Tom Riché, Doctorant à l'Université de Paris-Nanterre

Les frontières imaginées et réelles : les destinations mythiques dans la culture populaire russe
Natalia Danilova, Doctorante à l'Université de Paris-Nanterre

Le douanier de justice. Le rôle d'interprète-assesseur en Afrique occidentale française (XIX-XXe siècle)
Maxime Tourette, Doctorant à l'Université de Paris-Nanterre

Entre passé et progrès : réflexions perpétuelles sur l'historien (du droit) et ses limites
Louise Testot-Ferry, Doctorant à l'Université de Toulouse I

 

13h00 : Déjeuner

 

15h00 : Table-ronde

Sous la présidence de Claire de Blois, Docteure à l'Université de Paris-Cité.

Avec :
Juliette Bouloy, Doctorante à l'Université Paris-Nanterre
Margault Coste, Doctorante à Université Perpignan Via Domitia
Jules Jallet-Martini, Doctorant à l'Université Paris-Assas
Tom Riché, Doctorant à l'Université Paris-Nanterre

17h30 : Clôture

 

 

Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Accessible également à distance via Zoom (lien communiqué ultérieurement)


Organisé par le Centre d'Histoire et d'Anthropologie du Droit (CHAD), Université Paris Nanterre



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