Présentation
Comme l'écrivait Oscar Wilde, « entre la célébrité et l'infamie il n'y a qu'un pas, et peut-être moins » (De Profundis, 1905) : qu'elle renvoie à la théâtrale colère d'un ancien président de la République française, Nicolas Sarkozy, appelé pour la première fois à la barre pour s'expliquer sur les actes de corruption qui lui sont reprochés, ou encore, outre-Atlantique, au Dixie Flag, emblème de l'extrême droite américaine, fièrement arboré dans la Rotonde du Capitole, « l'infamie », terme couramment employé par les médias, nous rappelle, ô combien, elle transcende nos sociétés contemporaines, et plus encore la sphère politique. Recouvrant diverses significations et réalités, cette notion a pour étymologie l'ambivalente fama latine, qui est tout à la fois le bruit colporté, l'opinion publique et la renommée. Figure allégorique monstrueuse, la Fama de Virgile et d'Ovide aurait été enfantée par Gaia, dans le seul but de nuire aux dieux et aux hommes. La « déesse funeste » voit tout, sa demeure, aux confins de l'univers, bruisse de toutes les voix et répand toutes les rumeurs : auteurs et lecteurs antiques seraient, dès lors, pris dans son piège. A ces premières considérations poétiques, s'en greffent bien vite d'autres, législatives et morales.
D'un point de vue pénal, l'infamie, héritée du droit antique, propose en premier lieu un regard du pouvoir sur l'individu concerné, à savoir un criminel reconnu coupable d'un crime par le pouvoir judiciaire. Privé de fama, le condamné, affligé dans sa dignité, entre dans une nouvelle condition : celle d'infâme. Soumis à la vindicte populaire d'une foule à qui l'on permet d'assouvir ses pulsions et son animosité, l'individu est, au travers de l'arsenal punitif et répressif déployé, privé de toute existence sociale. D'un point de vue moral, cette définition juridique, assimilant l'infamie à l'indignité, s'appuie sur les usages sociaux en vigueur. Témoin du regard d'une société sur la marginalité, elle désigne, dès lors, les exclus de tout bord (femmes, Juifs, lépreux, pauvres, prostituées, sorcières, vagabonds) et renvoie à maintes appellations (infâmes, exclus, marginaux, « sans-nom », cruels…). Dans cette perspective, l'infamia, au-delà de la catégorie « d'indigène », apparaît comme une construction qui s'opère conjointement dans les domaines juridique, religieux et économique. La diversité des « Montrés du doigt » reflète de profondes et diverses mutations en relation avec la place grandissante de l'opinion publique depuis le milieu du XVIIIe siècle. De ce point de vue, le XIXe siècle souligne une relative continuité. Définie comme « une flétrissure imprimée à l'honneur, à la réputation, soit par la loi, soit par l'opinion publique », l'infamie serait toujours, d'après l'édition de 1835 du Dictionnaire de l'Académie française « plus à craindre que la mort ». La naissance de la célébrité dès le milieu du XVIIIe siècle lui accorde une place prépondérante auprès d'une opinion publique alors en pleine effervescence. La littérature s'en fait d'ailleurs l'écho : que l'on pense à la fleur de lys inscrite au fer rouge sur l'épaule de Milady à la vengeance orchestrée par Edmond Dantès), les romans d'Alexandre Dumas mettent en scène l'infamie dans ses rapports avec le châtiment et le politique. Les « infâmes » eux-mêmes n'hésitent plus à l'analyser, à l'instar des Mémoires de l'assassin Pierre-François Lacenaire.
Toutefois, demeure une autre définition, à proprement politique, intimement liée au régime en place, aux rapports de force qu'il induit et à la dignité qu'il escompte. La pratique de la damnatio memoriae antique, ritualisée sous forme d'un culte civique et religieux, traverse ainsi les siècles et démontre, dans les circonstances critiques, que la relation entre morale et droit ne peut se réduire au seul droit privé. Dès lors, l'infamie revêt une dimension spécifiquement politique liée au statut de citoyenneté accordé en France dès 1791. Tout au long du XIXe siècle, corollairement à la dépolitisation du concept de citoyenneté, le «méchant citoyen » moralement se substitue au « mauvais citoyen » civiquement. A ce titre, la Révolution de 1848 définit « l'indignité civique » non comme conséquence de la violation des devoirs, mais de la « probité », entendue comme respect de la propriété et des bonnes mœurs. Les scandales politiques républicains, telles les affaires Dreyfus et Stavisky, laissent entrevoir les germes « d'un régime visuel de l'exclusion ». L'évolution des images photographiques et de la presse illustrée française l'atteste en partie, notamment au travers de la presse antisémite et nationaliste, de La Libre Parole d'Edouard Drumont à L'Action française de Charles Maurras.
De même qu'il convient de prendre en compte « les conditions de production de la célébrité », il est nécessaire de questionner celles de son contraire qu'est l'infamie, qui renvoient à une cristallisation d'une multitude de représentations et de significations en fonction des enjeux politiques et idéologiques de la période. Dès lors, le travail de re- ou déconstruction mémorielle révèle un rapport de force dans la qualification morale et politique d'une personnalité et des idées qu'elle incarne à l'image des procédures de damnatio memoriae républicaine ou encore des 12 syndromes de déni. Néanmoins, l'infamie peut tout autant être l'objet de savants processus de déconstruction. En témoignent différents exemples comme celui de la « cancel culture » ou « call-out culture », pratique née aux Etats-Unis consistant à dénoncer publiquement des individus, groupes ou institutions responsables d'actions, comportements ou propos perçus comme problématiques, ou encore celui récent du déboulonnement des statues de Colbert.
Ce colloque se propose ainsi d'approfondir ces perspectives afin de mieux comprendre les différents processus de construction et modes de représentation de cette notion d'infamie politique en France sur une période suffisamment large - de la Renaissance à nos jours - pour en distinguer les modalités de fonctionnement, les marqueurs et les évolutions. Analyser la manière dont on construit et représente l'infamie politique invite par conséquent à un dialogue interdisciplinaire entre histoire, science politique, littérature, histoire de l'art, culture visuelle et matérielle et sociologie. Les propositions pourront porter sur une étude de cas précise ou s'inscrire dans un ou plusieurs des thèmes suivants, qui n'épuisent pas le champ des possibles :
• Les processus et conditions de construction de l'infamie politique
• Les figures de cette infamie
• Les lieux et formes politiques qui lui sont liés
• La rhétorique de l'infamie
• La mise en forme et en image de l'infâme : discours et représentations
• Les modalités de réception.
Programme
26 Octobre 2022
(Villeneuve d'Ascq)
9h00 : Accueil
9h30 : Mots d'accueil
Charles Mériaux, IRHiS, ULille
Clarisse Evrard, Julien RYCX, IRHiS, ULille
9h45 : Introduction
Jacqueline Lalouette, IRHiS, ULille
Session 1 - Contours de l'infamie politique
Président de séance : Isaure Boitel, UPicardie Jules Verne, en délégation IRHiS, ULille
11h00 : Représentation ou fabrication de l'infamie, les images dans les conflits politiques et religieux en France XVIe -XVIIIe siècles
Pierre Wachenheim, ULorraine
Le candidat, l'artiste et la chute : des rapports entre l'infamie, l'art et la politique en régime médiatique
Bertrand Tillier, UParis 1
12h00 : Discussion
12h30 : Déjeuner
Session 2 - Figures de l'infamie politique
Président de séance : Jean-Marc Guislin, IRHiS, ULille
14h00 : Un Pirate devenu Marchant du sang des pauvres. Marchants de ton Royaume. Le procès en infamie des protestants de la Nouvelle-France durant les années 1620
Yann Lignereux, UNantes
Révolution française et fabrication de l'infamie politique. Réflexions à partir du cas des frères Payan
Nicolas Soulas, LARHRA, Lyon
15h00 Discussion — Pause
15h45 La légende noire de l'impératrice Eugénie : une damnation misogyne
Maxime Michelet, Sorbonne Université
16h15 : Discussion
16h45 : Fin de la première journée
27 Octobre 2022
(Lille)
9h00 : Accueil
9h30 : Mot d'accueil
Pierre Mathiot, Sciences Po, Lille
Session 3 - Regards sur l'infamie politique
Président de séance : Fiona McIntosh, ALITHILA, ULille
9h45 : « Visages de l'infamie » dans les Mémoires de Saint-Simon
Marc Hersant, Sorbonne Nouvelle Paris 3 (en visio)
Les peintures infamantes sur les murs de l'hôtel de ville de Marseille en 1528 : exclure de la classe politique locale les notaires et hommes de loi
Auderic Maret, EHESS
10h45 : Pause
11h00 : Images composites, images infamantes du photomontage au mème numérique
Max Bonhomme, UParis Nanterre
11h30 : Discussion
12h00 : Déjeuner
Session 4 - Rhétorique et symbolique de l'infamie politique
Président de séance : Cédric Passard, Sciences Po, Lille
13h30 : La féminisation du tyran : la représentation en empereur maudit d'Henri III dans L'Isle des Hermaphrodites et dans les Mémoires de Marguerite de Valois
Annarita Palumu, Sorbonne Université
L'infamie du régicide : Les caricatures ultras contre l'abbé Grégoire
Christian Achet, Paris
Nathalie Alzas, Aix-en-Provence
14h30 : Discussion — Pause
L'animal dans la symbolique politique, de l'allégorie des vertus à la tautégorie des vices
Chloé Perrot, BnF, Paris
Les rats de Paris. D'une infamie à l'autre
Hécate Vergopoulos, Paris Sorbonne
16h15 : Discussion
16h45 : Clôture
Contact : tél. 03 20 41 73 45 — martine.duhamel@univ-lille.fr
colloqueinfamie@gmail.com
Organisée sous la Responsabilité scientifique de Clarisse Evrard et Julien Rycx - IRHiS, Ulille