Date limite le dimanche 31 juil. 2022
Les doctorants et jeunes docteurs de l'Ecole doctorale des sciences juridiques (ED 101) de l'Université de Strasbourg en collaboration avec la direction de l'Ecole doctorale, la direction de la Fédération de recherche L'Europe en mutation et l'Association des doctorants et jeunes docteurs en Droit, Histoire et Science politique de l'Université de Strasbourg (DEHSPUS), organisent la dixième édition du Colloque des doctorants et jeunes docteurs de l'Ecole doctorale.
Ce colloque s'inscrit dans la tradition des éditions précédentes en ayant vocation à permettre aux doctorants et jeunes docteurs de valoriser leurs travaux de recherche en présentant une communication qui fera l'objet d'une publication.
Ce colloque étant une édition anniversaire, une journée et demie sera consacrée à l'étude du thème suivant : « la personne ». Cette édition sera marquée par une approche particulière c'est- à-dire centrée sur les échanges entre jeunes chercheurs. Ainsi, les temps d'échanges seront favorisés par rapport aux temps de communication afin d'encourager une réflexion commune sur le thème étudié.
Argumentaire
Le terme de « personne » trouve ses origines dans les mots grec prosôpon et latin persona, qui renvoient tous deux à une signification similaire, celle du masque, du rôle joué par l'acteur, du personnage[1]. Ce n'est que dans un second temps qu'il désigne « la réalité sous le masque apparent, l'être même qui est présent derrière, l'identité de l'existence qu'il recouvre »[2]. Le terme apparaît alors dans des écrits philosophiques et juridiques. A titre d'exemple, Gaïus au IIème siècle construit son manuel les Institutes en créant les différentes catégories de personnes, choses et actions[3]. Cela ne signifie toutefois pas forcément que la personne est sujet de droits, mais qu'elle intervient dans la sphère du droit[4], ce qui met déjà en évidence à l'époque la complexité qui caractérise l'emploi actuel de la notion[5]. A la manière de J. Rawls qui postulait l'impartialité de la justice derrière « un voile d'ignorance », le droit établirait son objectivité derrière un jeu de masques, assignant un régime juridique commun aux personnes répondant à certains critères d'identification. Le masque deviendrait alors la métaphore d'une catégorie juridique abstraite et générale.
En droit, « la personne se présente comme un acteur juridique, plus précisément comme un acteur mettant en scène juridiquement les actions quotidiennes de l'individu, être de chair et d'os du monde en dehors du droit »[6]. Elle désigne les entités détentrices de la personnalité juridique ayant la capacité de faire valoir leurs droits et de répondre de leurs obligations[7]. C'est en premier lieu l'être humain qui jouit du statut de personne, ce qui dénote un biais anthropologique dans la définition de cette dernière. En découle une distinction entre personne et chose, fondée sur l'idée de volonté. Une telle définition apparaît néanmoins trop réductrice pour couvrir l'ensemble des situations humaines. Humaine, la personne ne l'est d'ailleurs pas nécessairement en droit positif, pas plus qu'elle n'est nécessairement physique. Le droit connaît ainsi de nombreuses personnes morales, depuis les sociétés et associations, jusqu'à des fictions plus abstraites encore, comme l'Etat ou la communauté internationale. Par ailleurs, travailler sur la personne implique d'approfondir la distinction de cette notion avec celles d'individu et de sujet de droit.
La catégorisation juridique apparaît indispensable à l'appréhension de la notion de personne. Elle présente à cet égard un double aspect. D'une part, elle permet l'attribution du statut de personne. D'autre part, elle se présente comme une catégorie générique dont découle une multitude d'autres catégories juridiques.
Sur l'attribution du statut de personne :
La question du statut de personne implique de clarifier les limites entre les différentes opérations de qualification, de reconnaissance et d'attribution. Les évolutions sociétales et technologiques rendent poreuses les frontières entre personne-sujet et objet. La qualification d'une entité de personne reste fluctuante en droit. A titre d'exemple, sont écartés les animaux alors qu'on pourrait les qualifier de personnes non-humaines[8]. De même, les robots, et notamment les voitures autonomes, sont également écartés de la notion de personne alors que confrontés aux questions de responsabilités. Il a même été question de leur reconnaître le statut de « personnes électroniques responsables »[9]. Ces exemples font montre d'un mouvement semblant plébisciter l'octroi de la personnalité juridique. Il s'agit alors de contenir la complexification inhérente à un tel élargissement de la catégorie de personne. En tout état de cause, la question de l'attractivité du statut de personne juridique pour attribuer des droits à des entités non humaines se pose. En effet, il est possible de bénéficier de droits en tant qu'objet de droit, sans pour autant être sujet de droit[10]. Cela amène une réflexion sur des notions connexes à celle de personne, telles que le patrimoine, la corporalité ou encore la responsabilité.
Sur la multiplicité du statut de personne :
Dans le même ordre d'idées, la pertinence du statut de personne peut être interrogée par la désindividualisation qu'il entraîne. Les victimes, les travailleurs, les migrants, les consommateurs, les personnes vulnérables, les personnes en situation de handicap, sont autant de catégories figées qui témoignent d'une forme d'essentialisation. Au-delà de ce phénomène, l'attribution du statut de personne questionne les rapports qu'entretient le discours juridique avec les catégories qu'il établit. C'est le cas des rapports de subordination, comme les rapports hiérarchiques en général, ou encore de solidarité, par exemple en ce qui concerne les devoirs envers les générations futures.
Un autre rapport particulier peut être mis en lumière lorsque la personne-sujet est mobilisée à des fins collectives. Il en va ainsi devant la Cour européenne des droits de l'Homme où la protection de l'environnement peut s'opérer par l'article 8 de la Convention protégeant la vie privée de la personne[11]. Pareillement, l'effectivité de certains droits individuels, à l'instar du droit de grève, est conditionnée par un exercice collectif. De même, la personne en tant qu'actrice du droit, participe à la construction du discours juridique par des processus démocratiques divers. Par l'existence d'intérêts communs se constituent des associations ou encore des mouvements sociétaux moins, voire pas appréhendés par le droit, ce qui est notamment le cas du mouvement des gilets jaunes[12].
Conclusions - invitation à une approche prospective :
La notion de personne ne possède pas de contours définis et appelle à une réflexion renouvelée sur les techniques juridiques employées pour l'appréhender.
En outre, plus que la critique des techniques juridiques existantes, il s'agit aussi de repenser la dichotomie personne-sujet/objet fondant l'appréhension de la personne par le droit et qui, à bien des égards, présente des failles théoriques et pratiques.
Modalités
Cet appel à communications s'adresse exclusivement aux doctorants et jeunes docteurs. Une seule proposition de contribution sera examinée par personne.
Bien que ce colloque s'inscrive dans le champ des sciences juridiques, les contributions attendues peuvent relever de l'ensemble des sciences humaines et sociales.
Cet appel à communications propose certaines pistes de réflexion. Celles-ci ne sont évidemment ni exhaustives ni exclusives. Le comité scientifique portera toutefois une attention particulière aux approches prospectives.
Les propositions de contributions comportant une bibliographie (800 mots maximum hors bibliographie, au format Word) accompagnées d'un curriculum vitae doivent être adressées avant le 31 juillet 2022 à l'adresse mail suivante : colloqueed1012022@gmail.com.
Les doctorants et jeunes docteurs dont les communications auront été sélectionnées en seront informés par mail en septembre.
Les contributions peuvent être réalisées en français ou en anglais. Les versions définitives devront être transmises au comité scientifique avant le jour du colloque. Ces contributions seront valorisées par la publication des actes du colloque.
Les frais afférents au voyage et au séjour à Strasbourg sont pris en charge par les organisateurs du colloque.
Comité scientifique :
- Emanuel CASTELLARIN, Professeur à l'Université de Strasbourg, Directeur de la Fédération de recherche
- Mme Morgane CHOVET, Doctorante à l'Université de Strasbourg
- Guillaume DARTIGUE, Jeune docteur de l'Université de Strasbourg
- Samuel FULLI-LEMAIRE, Professeur à l'Université de Strasbourg, Directeur adjoint de l'Ecole doctorale 101
- Mme Andrea HAMANN, Professeure à l'Université de Strasbourg, Directrice de l'Ecole doctorale 101
- Mme Amélie HLIL, Doctorante à l'Université de Strasbourg et à la Friedrich Wilhelms Universität de Bonn
- Thibault de RAVEL d'ESCLAPON, Maître de conférences à l'Université de Strasbourg, Directeur adjoint de la Fédération de recherche
- Mme Iliana SOENENS, Doctorante à l'Université de Strasbourg
- Mme Marine SUILS PORTE, Doctorante à l'Université de Strasbourg
[1] P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, p. 1975 ; J. Lallot, « Acteur », “Prosôpon”, “persona” : du théâtre à la grammaire », in B. Cassin (dir.), Vocabulaire européen des philosophies. Dictionnaire des intraduisibles, Paris, Seuil, p. 23.
[2] J.-M. Trigeaud, Personne, Droit, Existence, Pompignac, Editions Bière, 2009, p. 36.
[3] M. Duclos, « Personne et droit dans le monde romain », in A. Le Gallo, La Personne, fortunes d'une antique singularité juridique, Paris, Classiques Garnier, p. 27.
[4] Ibid., p. 31.
[5] P. Magnard souligne par exemple qu'elle est à la fois pronom indéfini, nom commun et fonction grammaticale, ce qui en fait « la croix des grammaticiens qui en usent et en abusent, sans savoir où [la] classer ». P. Magnard, « La notion de personne en théologie », in A. Le Gallo, La Personne, fortunes d'une antique singularité juridique, Paris, Classiques Garnier, p. 93.
[6] J.-M. Poughon, « La personne juridique, ou le complexe de Prométhée », Les cahiers de philosophie de Strasbourg, n° 31/2012, p. 236.
[7] G. Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, Presses universitaires de France, 14ème édition, p. 762.
[8] J.-P. Marguénaud, « La femelle chimpanzé Cécilia, premier animal reconnu comme personne juridique non humaine », RSDA, n° 2, 2016, p. 15.
[9] M. Delvaux, « Report with recommendations to the Commission on Civil Law Rules on Robotics (2015/2013INL) », European Parliament, Committee on Legal Affairs, 27 janvier 2017, pp. 20-21.
[10] S. Vanuxem, Des choses de la nature et de leurs droits, Versailles, Quae, 2020, p. 18.
[11] CEDH, Lopez Ostra c. Espagne, 9 décembre 1994, § 51.
[12] O. Bui-Xuan, « Introduction générale », in O. Bui-Xuan, Les « gilets jaunes » au prisme du droit, Bayonne, Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie, 2020, p. 8.