Date limite le lundi 30 oct. 2017
Appel à contribution pour le n° 3 des Cahiers Jean Moulin
Le mot dignité, du latin dignitas (déférence, estime, mérite, majesté), revêt essentiellement deux sens qui ont en commun le fait d'animer le monde des idées politiques (Aristote, Cicéron, Thomas d'Aquin, Pascal, Hobbes, Kant) et de recevoir une expression juridique : la dignité des fonctions et la dignité humaine. Le mot présente alors « le tour de force de hiérarchiser les êtres et de les égaliser en même temps » (Cassia, 2016).
1. Dignité comme fonction
La dignité revêt d'abord un sens fonctionnel. Il peut s'agir d'une fonction, souvent prestigieuse, exercée ou représentée en raison d'un statut social ou d'une capacité individuelle, et qui emporte à son tour une valorisation du dignitaire. Un sens ancien puisqu'il apparaît dès l'Antiquité à la faveur d'une lecture élitiste de la notion : dignité sénatoriale, dignité des magistratures romaines, dignité royale, dignité impériale, dignité des offices, dignité des titres de noblesse, etc. Le principe suppose bien ici une forme de hiérarchie sociale (la dignité par la fonction), mais aussi une élaboration juridique complexe. La glose médiévale développe la formule dignitas non moritur, y trouvant matière à affirmer la pérennité des collectifs par-delà la succession des individus. Sous l'Ancien Régime, la dignité royale impose la dépersonnalisation du pouvoir au profit de la continuité de la fonction.
L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 retient l'approche fonctionnelle, tout en tendant à une forme d'égalisation: « Tous les citoyens (…) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celles de leur vertus et de leurs talents ».
La dignité peut épouser une seconde réalité : l'obligation fonctionnelle (la dignité dans la fonction), c'est-à-dire le comportement à adopter dans l'exercice d'une charge. La loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires ainsi que les divers textes lui faisant suite sont venus préciser que les fonctionnaires, militaires, magistrats administratifs et membres du Conseil d'Etat exercent leurs fonctions « avec dignité, impartialité, intégrité et probité ».
La dignité fonctionnelle renvoie enfin à la fonction de l'homme en société, une réalité citoyenne évolutive en raison des conjonctures : une dignité évaluée par le censeur à Rome, un droit de vote et d'éligibilité déterminé par l'étendue du suffrage ou encore la mise en cause de cette dignité par la dégradation civique ou la peine d'indignité nationale.
2. Dignité et personnes
Lorsqu'elle se départit de son aspect fonctionnel, la dignité se réfère plus directement à l'individu et au genre humain. Dignité propre à l'individu et dignité commune à tous sont souvent confondues, mais, selon Paul Cassia, « ne se situent pas à la même échelle » (Cassia, 2016, p. 40).
« Individuelle », la dignité revêt une dimension morale, souvent subjective, qui peut s'incarner dans la conscience de chacun (résistance, honneur) ou qui peut être mise en lumière par l'histoire et l'actualité sociale et religieuse, dont le droit se fait l'écho (bioéthique, dignité des personnes privées de liberté, etc.).
« Humaine », la dignité dépasse les contingences, le particularisme, la singularité d'une situation. A la manière des droits naturels, elle transcende l'individu en étant inhérente au genre humain et, par là même, se veut universelle (cet aspect étant lui-même problématique en ce qui concerne la définition et la réception de la notion).
Elle impose aussi des obligations. Ainsi la protection des animaux a pu être motivée sur le fondement de la dignité humaine dans la mesure où elle est indissociable du respect que l'homme doit à son environnement. La Constitution fédérale Suisse, dans sa version allemande, va même jusqu'à parler de « dignité des organismes vivants » ce qui n'est pas sans susciter de nombreux débats philosophiques et juridiques.
La dignité humaine n'est pas indifférente à la dignité individuelle car il est admis qu'une atteinte à la personne peut être constitutive d'une atteinte au genre humain (esclavage, torture). Elle peut cependant être retenue alors même qu'elle conduit à s'opposer au choix librement consenti d'un individu. Dans l'affaire du « lancer de nain », le Conseil d'Etat regarde cette pratique comme attentatoire à la dignité de la personne humaine (composante de l'ordre public) même si l'intéressé « se prêtait librement à cette exhibition, contre rémunération » (Conseil d'Etat, Morsang-sur-Orge, 27 octobre 1995).
Une part de la doctrine voit dans ce principe une abstraction liberticide. Benoît Jorion note en ce sens que le « contenu de la dignité de la personne humaine souffre [...] d'une incertitude intrinsèque. Elle présente de ce fait un risque de déstabilisation pour l'ensemble du système juridique. Ce risque est d'autant plus à redouter qu'une conception hégémonique de cette notion pourrait à terme la rendre liberticide. » (Jorion, 1999, p. 224).
Contre les critiques, le recours à la notion de dignité est défendu. Jacques Fierens estime ainsi que « l'utilité de la notion est justement de n'avoir pas de contours précis. La dignité humaine est en droit un principe fonctionnel, évolutif, opératoire » (Fierens, 2002, p. 582). Un principe perçu comme nécessaire aux fins d'une protection renforcée, car la liberté ne suffit plus. L'esclavagisme, le nazisme et les exactions actuelles montrant que « la liberté est précisément aussi la liberté de l'inhumanité » (Fabre-Magnan, 2008, p. 291). C'est le sens de l'article 1er de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ».
Propositions d'articles
Il paraît nécessaire de réfléchir au sens juridique évolutif de la notion de dignité et aux enjeux théoriques ou philosophiques qu'elle soulève désormais, à une époque où elle prend une importance croissante dans nos systèmes juridiques. Les articles peuvent interroger la notion de dignité dans toutes ses dimensions et s'inscrire dans les axes de l'appel à contribution. Ils peuvent mobiliser l'histoire du droit comme le droit positif, mais aussi plus largement une réflexion historique, théorique ou philosophique.
Les articles, accompagnés d'un court CV, doivent être proposés avant le 30 octobre 2017. Les auteurs doivent informer préalablement la revue de leur souhait d'envoyer un article. Ils doivent également suivre les recommandations aux auteurs présentés sur le site de la revue.
Chacun des papiers soumis fera l'objet d'un examen par le comité de lecture.
Bibliographie indicative
H. Becquet et B. Frederking (dir.), 2009, La dignité de roi. Regards sur la royauté au premier XIXe siècle , Rennes, PUR.
L. Burgogue-Larsen (dir.), 2011, La dignité saisie par les juges en Europe, Paris, Bruylant.
P. Cassia, 2016, Dignité(s). Une notion juridique insaisissable ?, Paris, Dalloz.
T. De Koninck et G. Larochelle (dir.), 2005, La dignité humaine – Philosophie, droit, politique, économie, médecine , Paris, PUF.
M. Fabre-Magnan, 2007, « La dignité en droit : un axiome », in Revue interdisciplinaire d'études juridiques, vol. 58-1, p. 1-30.
M. Fabre-Magnan, 2008, « Dignité humaine », in J. Andriantsimbazovina, H. Gaudin, J.-P. Marguénaud, S. Rials et F. Sudre (dir.), Dictionnaire des droits de l'Homme, Paris, PUF.
B. Feuillet-Liger et K. Orfali (dir.), 2016, La dignité de la personne : quelles réalités ? Panorama international , Paris, Bruylant.
J. Fierens, 2002, « La dignité humaine comme concept juridique », in Journal des Tribunaux, n° 6064.
S. Gaboriau et H. Pauliat (dir.), 2006, Justice, éthique et dignité, Limoges, Pulim.
C. Girard et S. Hennette-Vauchez (dir.), 2005, La dignité de la personne humaine. Recherche sur un processus de juridicisation , Paris, PUF « droit et justice ».
B. Jorion, 1999, « La dignité de la personne humaine ou la difficile insertion d'une règle morale dans le droit positif », R.D.P., p. 197-233.
E. Kantorowicz, 1989 (1957), Les Deux corps du roi, Paris, Gallimard.
A. Simonin, 2008, Le Déshonneur dans la République. Une histoire de l'indignité, 1791-1958 , Paris, Grasset.