Présentation
La conjoncture politique des débuts du XXI° siècle, conjoncture dans laquelle nous devons aujourd’hui nous orienter, ressemble en apparence fort peu à celle dans laquelle Lefort forgea son œuvre de pensée. Le monde qui fut le sien fut, tour à tour, celui de la décolonisation et de l’essor de la guerre froide, puis celui de la coexistence pacifique et de la nouvelle guerre froide. Il fut, pour finir, au tournant des années 1980, celui de l’effondrement du bloc soviétique, de la multiplication des régimes démocratiques en Europe, en Amérique latine, comme dans certaines parties de l’Asie et de l’Afrique. S’ajoutèrent à ces dernières mutations, d’autres, qui leurs furent coextensives : l’avènement d’une nouvelle phase de la mondialisation marquée par la montée en force de paradigmes néo-libéraux, les doutes face au projet européen assorti d’un renouveau des nationalismes et l’avènement d’un monde désormais multipolaire marqué par l’émergence de la Chine devenue une nouvelle grande puissance aux visées impériales. Le monde qui est aujourd’hui le nôtre est enfin celui d’une crise d’un modèle de croissance qui ne peut désormais sous peine de conséquences climatiques catastrophiques faire fi des préoccupations écologiques.
Pour beaucoup d’analystes du temps présent, les analyses de Lefort sont aujourd’hui caduques. Elles n’intéresseraient plus que les historiens des idées. À les en croire, l’effondrement de l’URSS, du fait de ses contradictions internes, mettrait en cause la pertinence même de ses réflexions sur le totalitarisme. De même dans ses dernières analyses des régimes démocratiques, Lefort aurait manqué tout à la fois la connivence que certains avancent entre les droits de l’homme et les paradigmes néo-libéraux ou le conformisme consumériste qui serait l’envers des démocraties contemporaines. Enfin, il n’aurait eu aucune conscience de l’urgence écologique.
Nul doute, qu’à l’exception de la supposée connivence des droits de l’homme et du néo-libéralisme, une baliverne, ces constats sur les mutations du contexte mondial ne méritent d’être examinés. Le totalitarisme, tel qu’il existait dans les années 1940-1970, n’est plus la forme des régimes politiques de l’Europe de l’est et de la Russie de Poutine, comme des républiques asiatiques de l’ex-URSS. Tant en Chine, qu’à Cuba, les formes totalitaires ne sont plus celles qui prévalurent sous les règnes de Mao ou de Castro. L’expansion des régimes démocratiques s’est bien accompagnée d’une expansion d’un capitalisme financier, comme de la prise de conscience d’une crise écologique. Pourtant, pour qui sait reprendre à son compte les interrogations qui structurent les analyses de Lefort, celles-ci peuvent paraître singulièrement fécondes pour penser le présent. Que l’on pense aux formes prises par les renouveaux totalitaires, par les mutations des démocraties contemporaines, ou ses mises en question par les nationalismes et les populismes contemporains.
Le propos de cette journée d’études (28 novembre 2024) de la pensée de Claude Lefort, voudrait être l’occasion de deux sortes d’interrogations. On commencera par demander à de jeunes intellectuel(le)s d’expliquer comment, au centenaire de la naissance de Lefort, sa pensée peut être aujourd’hui être mobilisée pour celles et ceux soucieux de penser et d’agir politiquement aujourd’hui. On voudrait ensuite réexplorer ses rapports à la philosophie, comme à l’anthropologie, à l’histoire et à la littérature.
Programme
Introduction
9h00 : Les aventures du politique. Actualité de la pensée de Claude Lefort
Martin Legros, Philosophie magazine
Une pensée à l’œuvre
Modérateur : Gilles Bataillon, EHESS, Revue Amérique Latine. Politique, Sociétés, Histoire
9h40 : L'expérience de la gauche brésilienne au pouvoir au travers du prisme lefortien
Adriana Ecosteguy, EHESS
10h10 : L’Expérience prolétarienne ou la pensée continuée. Politiques du témoignage ouvrier chez Claude Lefort
Émile Lepessot, EHESS
10h40 : Mobilisation des militants du mouvement "Gezi Park" dans l'élection du maire réformiste d'Istanbul (2013-2019) : audace et réalisme
Gökce Tuncel, Université de Créteil-EHESS
11h10 : Qu'est-ce que l'épreuve du politique ? Lefort et le projet moderne
Robin Freymond, Université Paris Cité
11h40 : Discussion
12h40 : Pause médiane
Une œuvre de pensée
Modérateur : Martin Rueff, Université de Genève, Revue Po&sie
14h15 : Politique et investigation littéraire
Jean Pierre Morel, Sorbonne nouvelle
14h45 : Lefort et la question du totalitarisme
Jutta Scherrer (EHESS
15h15 : Lefort lecteur des anthropologues
Alfred Adler, EPHE
15h45 : Claude Lefort and the shadow
Bernard Flynn, Université d'État de New York et New School for Social Research
16h15 : “Socialisme ou Barbarie” et “Informations et liaisons ouvrières” : expériences militantes et amicales
Solange Pinton
16h45 : Discussion
18h30 : Pot
(Rez-de-chaussée des locaux de l’EHESS au 54 bd Raspail)
20h00 : Fin de la journée
Colloque organisé par l'EHESS et le Centre des savoirs sur le politique. Recherches et analyses (CESPRA)