- Argument
Le dossier souhaite éclairer une question méconnue : celle de l’histoire de la rencontre entre les juristes et l’archéologie, non pas sous l’angle de la formation d’un droit de l’archéologie – perspective bien traitée par l’historiographie[1] –, mais sous celle du rôle joué par les juristes, depuis que cette catégorie socio-professionnelle peut être identifiée, et jusqu’à l’époque contemporaine, dans la constitution d’une science antiquaire puis archéologique.
Si le goût de l’exploration et de la description des vestiges anciens est attesté de haute antiquité, l’époque romaine, au cours de laquelle se signalent déjà plusieurs juristes-antiquaires et archéologues, constitue à cet égard un moment d’autant plus signifiant qu’elle ne manque pas d’inspirer le Moyen Âge, un passage de Pomponius (D. 1, 2, 2) jouant notamment un rôle important dans l’éveil de l’intérêt des juristes ultérieurs pour la perspective antiquaire.
Par la suite se joue à la Renaissance un phénomène inédit, qui tient non seulement de l’invention de l’archéologie mais aussi des pratiques culturelles des juristes. Même si l’historiographie tend à considérer que l’archéologie naît à la période contemporaine, plusieurs des éléments qui constituent ses pratiques, pour ne pas dire la science qui la constitue, se développent à la Renaissance. Pendant cette période, du temps de Pétrarque à celui de Descartes, la passion pour la redécouverte de l’Antiquité nourrit les travaux de nombreux antiquaires, dont les activités se déploient dans les différents champs d’investigation par lesquels l’archéologie se trouve aujourd’hui caractérisée. Tandis que la description des antiquités se fait plus précise, les relevés se montrent plus techniques, servant une analyse des symboles, des monuments et des objets qui donne lieu à d’importantes interprétations. Au gré des progrès établis par l’écriture de l’histoire, les questionnements relatifs à leurs fonctions et usages se déploient, ainsi, dans le cadre de discours qui s’élaborent et s’ordonnent sans cesse davantage au gré des nouvelles fouilles qui alimentent des connaissances d’ordres divers.
Qui plus est, si tous les acteurs de ce mouvement ne sont pas des juristes, le fait est que parmi les plus en vue, nombreux ont été formés dans les facultés de droit, ou exercent au sein d’institutions juridiques et politiques des cités ou États qui forment alors l’Europe. Il n’en est pas différemment aux siècles suivants, alors que les lettrés de l’Europe entière partent à la découverte des civilisations mères que sont la Grèce, l’Égypte ou l’Asie Mineure, mais aussi de toutes les contrées nouvelles que les explorations des Temps Modernes leur ont découvertes, en Asie comme en Afrique, en Amérique ou en Océanie. C’est, ici, un Alciat qui découvre les antiquités milanaises, là, un Peiresc qui collecte et enregistre les antiquités venus du monde entier, approfondissant les perspectives comparatistes à l’œuvre dans le domaine archéologique, avant que les institutions royales ne contribuent elles-mêmes à établir le cadre scientifique et moral d’une politique d’observation et de missions scientifiques qui perdure jusqu’à l’époque contemporaine.
À partir du xixe siècle, dans le double contexte de l’obsession des origines qui traverse les diverses branches de l’activité érudite et de la construction des récits nationaux, les sociétés savantes locales consacrées aux antiquités sont encore peuplées de très nombreux juristes. Professeurs de droit, mais plus souvent praticiens, ces derniers mènent une double activité : d’un côté, ils participent au grand mouvement de la recherche d’antiquités, en étudiant menhirs, églises, monnaies et autres vestiges matériels de l’activité humaine ; de l’autre, ils déclinent la passion antiquaire sur le terrain juridique, en débusquant et en publiant des manuscrits juridiques inédits sur les coutumes. Tandis que le célèbre archéologue Arcisse de Caumont est juriste de formation, le professeur de droit public Théophile Ducrocq, également numismate, préside la Société des antiquaires de l’Ouest. Quant à la Société archéologique de Bordeaux, elle est fondée par l’avocat Pierre Sansas, profession qu’exerce également l’archéologue Théodor Reinach. Mais ces quelques exemples masquent en réalité la foule des juristes-antiquaires inconnus qui peuplent, à l’époque contemporaine, les sociétés savantes. 12% des membres de la Société archéologique de Bordeaux, à sa fondation, sont juristes, quand la Société des antiquaires de France en compte environ 10%.
La question dès lors doit être posée : comment s’opère précisément, et que signifie au fond ce lien tissé entre le monde juridique et l’archéologie ? D’où viennent les curiosités antiquaires des juristes ? Comment se manifestent-elles ? Quel rôle peuvent jouer, ce faisant, les questions de droit dans la constitution des savoirs et des pratiques archéologiques et, inversement, quel rôle est celui de ces derniers en matière juridique ? Ce sont les principales interrogations auxquelles le dossier entend apporter des éléments de réponses.
L’intérêt manifesté par ces avocats, magistrats et autres juristes à l’endroit de l’archéologie a pu précédemment être interprété comme relevant d’activités savantes décorrélées de leurs activités professionnelles. Qu’ainsi il s’agissait pour eux de cultiver des pratiques antiquaires à titre de passe-temps ou de simple « loisir ». Néanmoins, l’étude de quelques-unes de ces figures impose de nuancer cette lecture, montrant à quel point l’érudition déployée sous cet angle l’était en réalité en lien avec leurs activités principales, à des époques qui plus est où être juriste est davantage un état qu’une profession technique, et où tenir son rang suppose une activité lettrée ou érudite. Ainsi s’agit-il pour ces juristes, bien souvent en charge de fonctions au sein d’institutions publiques proches du pouvoir et très ancrées dans des territoires essentiels aux identités individuelles ou collectives, d’affiner leur regard sur ces dernières, de travailler à la redécouverte des institutions et du droit à plus ou moins grande échelle, avant la publication des manuels canoniques de la fin du xixe siècle qui ont raconté l’histoire du droit français.
Après plusieurs études récentes ayant mis en avant l’importance pour l’histoire du droit de juristes voyageurs ou de juristes anthropologues, il semble donc temps de se pencher sur ces juristes archéologues.
Ce phénomène s’avérant essentiel tant à l’histoire de l’archéologie qu’à celle du droit et des institutions, ce dossier souhaite s’attacher à l’étude de ces différentes dynamiques à l’aide d’études de cas centrées sur les juristes ayant pu jouer un rôle sous ces différents angles, comme par des études prosopographiques consacrées à l’investissement global de ces derniers dans des sociétés savantes spécifiques (Société des antiquaires de Normandie ou Société des antiquaires de France par exemple). Il s’agira de tâcher d’éclairer le sens d’une telle entrée en « science antiquaire », et d’en restituer les enjeux épistémologiques, fluctuants à l’heure de l’affirmation de disciplines spécialisées à partir du xixe siècle.
- Modalités pratiques de soumission des contributions
Les propositions de contributions, comprenant un résumé de 250 mots et une brève biographie de 100 mots, doivent être envoyées à geraldine.cazals@u-bordeaux.fr et laetitia.guerlain@u-bordeaux.fr avant le 7 avril 2025.
La sélection des contributions sera faite en mai 2025.
Discussion des contributions – Colloque à l’université de bordeaux, 3-4 novembre 2025
Les contributions retenues seront discutées lors d’un colloque qui se tiendra à l’université de Bordeaux les 3 et 4 novembre 2025.
Publication
Les contributions seront soumises à la revue Clio@Themis pour publication. Elles feront l’objet d’une évaluation en double aveugle dans le cadre du dossier du numéro 32, à paraître en juin 2027, selon le calendrier suivant :
- Remise des articles au 1ᵉʳ mai 2026.
- Première évaluation des articles lors du comité de juin 2026.
- Remise des articles pour lesquels des modifications seraient demandées au 1ᵉʳ décembre 2026.
- Seconde évaluation de ces derniers articles lors du comité de janvier 2027.
- Remise définitive des articles au 15 avril 2027.
- Parution en juin 2027.
Les contributeurs et contributrices sont invités à lire attentivement la présentation de la revue et les instructions aux auteurs disponibles sur le site de Clio@Themis : https://journals.openedition.org/cliothemis/
[1] Voir, en dernier lieu, Vincent Négri et Nathan Schlanger (dir.), 1941. Genèse et développements d'une loi sur l'archéologie, Paris, La Documentation française, 2024.
Numéro coordonné par Géraldine CAZALS et Laetitia GUERLAIN, Université de Bordeaux, Institut de recherche Montesquieu / IUF.