La doctrine comme objet d’étude. Bilan et perspectives

Appel à communication

La doctrine comme objet d’étude. Bilan et perspectives

Colloque, Amiens, fin 2024

Date limite le dimanche 31 mars 2024

La doctrine est un objet d'étude récurrent des juristes. Nous fêtons cette année un triple anniversaire : les trente ans de l'ouvrage dirigé par Alain Bernard et Yves Poirmeur, La doctrine juridique, sous l'égide du CURAPP ; les vingt ans de celui coécrit par Christophe Jamin et Philippe Jestaz, La doctrine (qui fait en réalité suite à une controverse commencée en 1997) ; et, dans une optique plus spécialisée et non strictement limitée à la question doctrinale, mais très souvent mobilisée par les analyses méta-doctrinales, les dix ans de Méthodologies du droit et des sciences du droit de Véronique Champeil-Desplats. Ces ouvrages, qui s'inscrivent dans une littérature plus vaste, forment trois grands jalons de l'étude de la doctrine par la doctrine en France en adoptant une approche englobante et à visée systématique.

Dans ce contexte de triple anniversaire, le présent colloque propose de faire le point, de dresser l'état des lieux des recherches existantes sur la doctrine. Il entend aussi dégager les perspectives de ce domaine d'étude encore en construction. Un colloque anniversaire donc, et un colloque de structuration et de propositions. On ne compte plus les thèses, les articles, les manifestations scientifiques ou les monographies consacrés plus ou moins directement à la doctrine en général, à l'une de ses composantes disciplinaires ou thématiques et à un auteur ou une autrice en particulier. Chacun et chacune dans son coin. Un des objectifs du colloque est de faire se rencontrer ces études segmentées, ces expériences accumulées, afin d'aboutir à une vision d'ensemble des différentes manières de prendre la doctrine pour objet, ainsi que de l'intérêt et des difficultés de chacune d'entre elles ; l'autre objectif étant d'ouvrir des pistes de réflexion sur des aspects encore largement inexplorés, mais néanmoins pertinents, pour surmonter ces éventuelles difficultés et comprendre davantage les différentes dimensions de ce que l'on appelle « doctrine ».

Pour que nos discussions aient un cadre commun, ne serait-ce qu'au départ et a minima, nous proposons les éléments suivants. Les définitions de « doctrine » sont nombreuses ; on ne les exposera pas toutes. Elles ont été systématisées par Eric Millard pour qui « doctrine » désigne cinq éléments : « a) un ensemble d'opinions sur le droit ; b) un ensemble d'opinions sur le droit émanant d'un corps particulier. […] c) un corps spécifique émettant des opinions sur le droit. […] d) le contenant ou le support des opinions sur le droit. […] e) un sous-ensemble des opinions sur le droit correspondant à une fonction spécifique de l'exposition du droit »[1]. Ces différentes significations se ramènent à deux réalités distinctes. Soit la doctrine désigne un ensemble de discours (sens a), e) et d) par métonymie) soit la doctrine désigne une autorité, autrement dit et pour simplifier les auteurs et autrices de ces discours (sens b) et c)).

Précisons que l'objet du colloque n'est pas ou pas directement la doctrine à proprement parler, mais bien l'étude de la doctrine, c'est-à-dire les travaux qui portent sur elle et les modalités de production de ces travaux. Nous pensons qu'une discussion collective est pertinente pour mettre en commun les approches, les méthodes et les résultats d'un ensemble aujourd'hui disparate de travaux sur cet objet. L'ambition de cette manifestation, organisée au CURAPP-ESS, lieu d'accueil privilégié des réflexions épistémologiques sur le droit, en résonance avec la réalisation collective de 1993, est d'apporter une dose de réflexivité à ce champ de recherche. Sont concernées les études de la doctrine publiciste, privatiste et d'histoire du droit, qu'elles portent sur la France ou d'autres systèmes universitaires.

Il aurait été possible d'organiser ce colloque de manière chronologique en interrogeant ce qui a été, ce qui est et ce qui sera. Une telle organisation aurait néanmoins eu l'inconvénient de limiter les approches thématiques. Cela nous a conduit à trois axes de réflexion plus transversaux : pourquoi étudier la doctrine, avec quel point de vue et en mobilisant quelles méthodes, en considérant quels sous-objets ? Ces interrogations offrent l'occasion de dresser un bilan et d'envisager des perspectives dans toutes les dimensions de l'étude de la doctrine.

 

Premier axe – Pourquoi étudier la doctrine ?

Prendre pour objet la doctrine juridique ou un de ses aspects ne va pas nécessairement de soi quand on est enseignant-chercheur ou enseignante-chercheuse en droit. Il est en effet possible d'étudier et d'enseigner le droit, dans toutes ses composantes, sans réflexivité, sans se soucier plus avant de considérations épistémologiques et, en particulier, sans avoir à se demander qui nous sommes et ce que nous faisons en tant qu'universitaires. Il y a donc lieu de commencer ce colloque par un exposé des raisons qui poussent certaines et certains à l'étude de cet objet.

Parmi les pistes envisagées, évoquons l'idée que la doctrine est parfois considérée comme une source matérielle du droit et qu'en tant que telle, elle a pu faire partie des objets d'étude privilégiés du juriste ; que le droit a dû s'intéresser, au moins dans une certaine mesure et parce qu'il est une discipline universitaire, à ses méthodes, ses approches et plus généralement aux auteurs et autrices et à leurs pratiques ; que ces réflexions ont pu conduire, dans certains contextes, à une évaluation, voire à une critique, de ces façons de faire des recherches, avec pour objectif leur amélioration ; que la recherche en droit est une pratique qui, en tant que telle, a pu intéresser les chercheurs et chercheuses étudiant les rapports d'autorité, de pouvoir, les établissements d'enseignement supérieur et plus largement le champ universitaire et son rôle social.

 

Deuxième axe – Comment étudier la doctrine ?

Alors qu'il est devenu classique, pour les juristes qui s'intéressent à l'épistémologie tout du moins, de s'interroger sur les méthodes de recherche en droit, la question est ici différente : elle porte non pas sur les méthodes d'étude du droit, mais sur les méthodes d'étude de la doctrine, plus particulièrement quand ces études sont menées par des juristes universitaires – ce qui constitue la majorité, voire la totalité des cas dans le contexte français.

Les questions que le colloque souhaite poser et auxquelles les propositions d'intervention pourront proposer des réponses sont concrètes, plus que théoriques. Par exemple, comment identifier concrètement les discours et les individus proches d'une école de pensée déterminée ? Comment décrire et reconstruire la pensée d'un auteur ou d'une autrice et en mobilisant quelles sources, notamment biographiques ? Quand l'étude porte sur une controverse doctrinale ou le point de vue de la doctrine sur un point particulier, comment sélectionner les écrits les plus pertinents, y avoir accès et exploiter un nombre potentiellement important de sources ? Dans la mesure où l'étude de la doctrine, phénomène social et intellectuel, apparaît largement empirique, comment savoir s'il y a lieu, dans le cadre d'une recherche précise, de se déplacer sur le terrain, de rencontrer des personnes déterminées, voire de réaliser une série d'entretiens ? Ces questions sont d'autant plus importantes que les réponses diffèrent selon le sous-objet étudié, qu'il s'agisse d'un auteur ou autrice, d'un courant ou d'un ensemble de publications.

En outre, la doctrine, tant sur le plan organique que matériel, tant sur le plan des personnes que des discours, peut-être étudiée à partir de plusieurs points de vue. Il est possible de concevoir une pluralité d'approches disciplinaires – historiques, sociologiques, de science politique, philosophiques, juridiques – et une pluralité d'approches au sein de chacune de ces disciplines, sur la doctrine en tant qu'objet. Ce colloque vise à rendre compte de ces différentes approches et à les croiser, autant que possible, pour saisir l'apport, les limites et les particularités de chacune d'entre elles.

 

Troisième axe – La doctrine : quels sous-objets ?

Dans le cadre de ce colloque, il est à la fois question de la doctrine comprise comme un ensemble, de manière systématique, et des sous-objets qui la constituent et sur lesquelles portent en réalité la plupart des travaux et pourront porter les propositions de contribution.

Par exemple, il est possible d'étudier les émetteurs et émettrices spécifiquement, leur statut, leurs incitations à écrire, la manière dont elles et ils se répartissent le travail doctrinal, les liens entre leurs missions d'enseignement et de recherche, leur carrière, les interactions entre leurs activités de service public et d'autres activités libérales. Il est également possible d'étudier les institutions, qu'il s'agisse des laboratoires, des associations académiques, des manifestations scientifiques et de la manière de les préparer, mais aussi du Groupe 1 du CNU, au moins dans ses sections 01, 02 et 03. Sur le plan des discours, on peut s'intéresser aux formes que prennent les publications, aux raisons qui poussent à écrire des monographies ou des manuels, à l'influence des éditeurs. Le fond du discours est également objet d'analyses, qu'il s'agisse des écoles de pensée, des fondements épistémologiques ou ontologiques des discours sur le droit, des questions de neutralité axiologique. En lien avec l'axe de recherches « Genre » du CURAPP-ESS, ces différents sous-objets pourront être étudiés par ce prisme.

 

 

Les éléments évoqués ici ne sont pas exhaustifs. D'autres questionnements peuvent se greffer dans chacun des trois axes, au-delà des trois axes, voire être à cheval sur plusieurs d'entre eux.

 

Les propositions de communication, de 3000 signes environ, doivent indiquer le titre provisoire, l'objet de l'étude, les principales sources et les méthodes mobilisées. Elles sont à adresser à Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. et Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. avant le 31 mars 2024.

 

La manifestation aura lieu en novembre ou décembre 2024. Une publication des actes est envisagée par la suite.

 

Responsables scientifiques : Yannick GANNE (UPJV – CURAPP-ESS) et Sacha SYDORYK (UPJV – CURAPP-ESS).

 

[1]      E. Millard, « Ce que ''doctrine'' veut dire », in Association française pour la recherche en droit administratif (dir.), La doctrine en droit administratif, LexisNexis, 2011, pp. 3-12, citation p. 7.