Présentation

Dans la Grèce archaïque et rurale le même mot, nomos, servait à désigner tout à la fois le chant des bergers, le pacage des troupeaux et la loi garantissant le partage équitable des ressources naturelles. C’est pourquoi une longue tradition philosophique et historique attribue aux bergers d’Arcadie les origines communes de la musique, de la poésie et du droit. Alors que la philosophie et l’histoire du droit opposent la loi (nomos) à la nature (physis), le principe de justice qui fondait les premières civilisations pastorales garantissait au contraire l’articulation harmonieuse de toutes les parties constitutives de la nature vivante : la terre, l’eau, le végétal, l’animal et l’humain.

Plusieurs philosophes et historiens de la Grèce antique témoignent des effets civilisateurs du nomos pastoral, qui par sa polyvalence a durablement assuré la constitution démocratique des petites cités arcadiennes autonomes, jusqu’à ce que la coalition de cités plus puissantes finisse par les détruire.

Les articulations pratiques de ce principe d’équité polyvalent, vital pour toute société, ont fini par être oubliées mais il en subsiste des traces dans l’art, dans la poésie et la musique. Les joutes poétiques improvisées appelées en Corse chjam’è rispondi, variantes du chant alterné des anciens bergers d’Arcadie, en sont un vestige vivant, particulièrement remarquable dans le cuntrastu. Pour désamorcer les conflits, les civilisations les plus archaïques maîtrisaient la force de persuasion et de retournement de la parole, dont les sociétés modernes ont perdu l’usage. L’artiste et philosophe Monica Ferrando a interrogé cette perte dans deux livres qui retracent la longue histoire du nomos pastoral comme « paradigme politique » : Il regno errante. L’Arcadia come paradigma politico (2018) et Arcadia sacra (2024). La vaste documentation qu’elle y a réunie atteste l’existence et la viabilité des modèles de civilisation pastoraux, fondés sur la juste répartition des communs et soutenus par des constitutions non hiérarchisées, grâce à la liaison de ces trois principes d’harmonie sociale que sont la musique, le droit et le partage des ressources.

La Chaire Art et Droit de l’Université de Corse, en partenariat avec l’Ordre des avocats de Corse, l’Associu di u chjam’è rispondi, l’ADECEC et le Centre National de Création Musicale Voce, invite juristes, chercheurs et improvisateurs à dialoguer pendant deux jours avec Monica Ferrando et l’ethnomusicologue  Cristina Ghirardini, pour interroger les possibilités d’actualisation d’un modèle de civilisation pastoral durable et transposable, qui a longtemps préservé la fonction de cohésion des cuntrasti improvisés devant un public averti. Ces échanges seront illustrés par des documents d’archives et un chjam’è ripondi expérimental.

Programme

Vendredi 20 Juin 2025

(Università di Corsica,)

14h00 : Discours de bienvenue
Pr. André Giudicelli, Directeur de l’EMRJ
Graziella Luisi, Directrice la Fondation de l’Université
Pr. Namaria Luciani, Co-Responsable scientifique de la Chaire "Art et Droit" (EMRJ UR 7311)

14h30 : Introduction - L’art comme principe de justice et d’équité
Françoise Graziani, Professeure émérite de littérature comparée, UMR CNRS 6240 LIsA

15h00 : Les bergers d’Arcadie, un modèle politique archaïque et durable
Monica Ferrando, Artiste et Philosophe

16h00 : Pause

Réinventer le partage des communs en Corse

16h30 : Table-ronde animée par Namaria Luciani

Avec :
Petru Santucci, ancien Ingénieur en agro-pastoralisme
Jean Michel Sorba, Ingénieur INRAE, UMR SELMET et FRES
Petru-Antone Tomasi, Enseignant-Chercheur contractuel, EMRJ UR 73110

18h00 : Fin de la 1^ère journée

Samedi 21 Juin 2025

(Pigna, Auditorium)

10h00 : Audition d’un chjam’è rispondi enregistré à Pigna en 1977 entre U Furcatu et Filice Filippi
Présenté et commenté par Toni Casalonga (CNCM VOCE)

10h30 : Enjeux socio-politiques du chant improvisé traditionnel
Entretien de Monica Ferrando avec Cristina Ghirardini, Docteure en ethnomusicologie, Jean-Luc Luciani, Professeur de philosophie en Lettres supérieures au Lycée Giocante de Casabianca de Bastia, et Catalina Santucci, Docteure en langue et culture corse

12h30 : Pause déjeuner

14h00 : Chjam’è rispondi
Avec les poètes improvisateurs Paulu Calzarelli, Cristofanu Limongi, Francescu Luciani, Gjhuvanpetru Ristori et Petru Santucci

15h30 : Pause

16h00 : Le chjam’è rispondi, l’art du cuntrastu et le principe du contradictoire
Débat participatif avec le public

Animé par Namaria Luciani, Lucie Lorenzini, Maître de conférences en droit privé à l’Université de Corse (EMRJ UR 7311), et Claire Mathieu, Avocate

17h30 : Débat final

18h00 : Clôture

Inscription : 0420202214 | laleure@universita.corsica