Présentation
Dans un bref essai consacré à la « blasphémie » [1], Benveniste appelait à « prêter attention à la nature de cette interdiction qui porte non sur le 'dire quelque chose' qui serait une opinion, mais sur le 'prononcer un nom' qui est pure articulation vocale. C'est proprement le tabou linguistique : un certain mot ou nom ne doit pas passer par la bouche. Il est simplement retranché du registre de la langue, effacé de l'usage, il ne doit plus exister ».
Ce type particulier de restriction de la liberté d'expression mérite effectivement un examen approfondi. Il peut concerner plusieurs formes d'expression : certains mots (« en F », « en N », « en I »…), certaines images (figure religieuse, croix gammée…) ou certains gestes (salut nazi). Leur interdiction se caractérise par son application, qui semble indépendante envers le contexte : peu importe si le mot ou l'image est véritablement utilisé(e) ou simplement mentionné(e) voire dénoncé(e), peu importe l'intention apparente de celui qui l'emploie. Dès lors, ces restrictions sont susceptibles de s'appliquer aussi bien à des occurrences d'emblée pensées par leurs locuteurs comme transgressives, qu'à d'autres qui se voulaient innocentes. Elles sont par ailleurs vulnérables aux stratégies de contournement : « la blasphémie », remarquait Benveniste, « suscite l'euphémie ».
Les polémiques incessantes de ces dernières années exigent d'inventorier ces restrictions et de les soumettre à un nouvel examen. Quels types de mobilisations et de luttes, indissociablement sémantiques et sociales, aboutissent à ces restrictions et à leur contestation ? Sous quelles formes, plus ou moins informelles, ces normes s'institutionnalisent-elles ? Comment s'appliquent-elles, et sont-elles réellement insensibles aux contextes d'emploi ?
Ce phénomène, tout comme celui plus large des expressions taboues, interroge des disciplines variées (droit, études littéraires, histoire, linguistique, science politique, philosophie ou sociologie). Il provoque des débats dans de multiples domaines, tels que les espaces littéraires (renommer les œuvres), religieux (caricatures), médiatiques (remise en cause de l'ampleur de la liberté de presse) ou académiques (controverses sur l'emploi de certains mots dans le cadre d'enseignements ou de recherches).
[1] Emile Benveniste, « La blasphémie et l'euphémie », in Problèmes de linguistique générale, vol. 2, Paris, Gallimard, 1974, p. 254-257.
Programme
9h30 : Mot de bienvenue
Véronique Champeil-Desplats, Vice-Présidente de l'Université Paris Nanterre
Présentation de la chaire
Mathilde Barraband, Université du Québec à Trois-Rivières
Gisèle Sapiro, EHESS, CNRS
9h45 : La profanation religieuse sous l'angle du droit : regards croisés Canada / France / CEDH
Pierre Rainville, Université Laval
Commentaires de Thomas Hochmann, Université Paris Nanterre et Dominique Lagorgette, Université Savoie Mont Blanc
Sous la présidence de Patrick Taillon, Université Laval
11h25 : Pause
11h40 : Débats sur « le mot en N » au Québec : discours concurrents sur les libertés académique et de création
Maryse Potvin, Université du Québec à Montréal et d'Agnès Berthelot-Raffard, York University
Commentaires de Mathilde Barraband, Université du Québec à Trois-Rivières et de Lionel Zevounou, Université Paris Nanterre
Sous la présidence de Stéphanie Hennette-Vauchez, Université Paris Nanterre
13h20 : Déjeuner
14h30 : L'"islamophobie" au prisme du droit
Lauren Bakir, Université de Strasbourg
Commentaires de Hanane Karimi, Université de Strasbourg et Solange Lefebvre, Université de Montréal
Sous la présidence de Gwénaële Calvès, Université de Cergy-Pontoise
16h10 : Pause
16h30 : Du tabou à la répression pénale : le rôle du juge judiciaire dans l'identification des mots interdits
Clémence Faugère, EHESS
Commentaires de Nathalie Droin, Université de Bourgogne et Mathieu Soula, Université Paris Nanterre
Sous la présidence d'Anna Arzoumanov, Université Paris Sorbonne
18h10 : Cocktail
Le lancement de la Chaire se poursuivra par une présentation le 31 mai à 18h30 à la bibliothèque Gaston Miron, 8 avenue de Saint-Mandé – 75012 Paris.
Retrouvez l'actualité du projet sur le blogue hypothèses de la Chaire COLIBEX : https://libexpress.hypotheses.org/306
Inscriptions : https://ctad.cnrs.fr/2023/05/30/mots-interdits-et-tabous/
Organisée dans le cadre du lancement de la Chaire collective de recherche France-Québec sur les enjeux contemporains de la liberté d'expression (COLIBEX) par le CTAD, Université Paris-Nanterre