Présentation
Depuis plusieurs décennies, la figure de la victime n'a cessé d'occuper une place croissante au sein de l'espace public. Certains travaux historiques ont bien retracé les évolutions et entreprises qui ont favorisé une reconnaissance sociale croissante au statut de victime (Fassin & Rechtman, 2007). Les spécialistes de l'étude des mobilisations, pour leur part, ont bien analysé dans quelle mesure le registre victimaire pouvait, d'une manière générale, constituer un puissant ressort des actions collectives (Lefranc & Mathieu, 2009 ; Jouzel & Prete, 2015 ; Salaris, 2017). Dès lors que les promoteurs de causes collectives investissaient les arènes judiciaires, bon nombre de travaux (Henry, 2003 ; Fillion & Torny, 2015 ; Chappe & Keyhani, 2018) ont pu examiner la diversité et la complexité des « processus de victimisation par le droit » (Jakšić & Ragaru, 2019, p.2). Dans cette optique, les observateurs ont plus particulièrement relevé la nécessité d'analyser la nature des rapports entre, d'une part la parole émouvante des victimes, et d'autre part les procédures et les énoncés experts des professionnels du droit (Barbot & Dodier, 2009, 2014, 2017).
Dans un contexte de judiciarisation croissante des luttes contre les changements climatiques (Cournil & Varison, 2018), la place des victimes mérite d'être à nouveau questionnée. Il s'agit, en effet, ici de s'insurger contre un dommage diffus dont la responsabilité pourrait aisément être imputée au mode de vie énergivore de chacun des citoyens : tous également responsables ? Tous également victimes ? Pourtant, au cours des actions contentieuses lancées ces dernières années afin de lutter contre les dérèglements climatiques, il est parfois autant question de désigner des responsables que d'identifier des victimes plus particulièrement affectées au regard de diverses évaluations expertes (cartographies des risques à venir, catégories juridiques, concepts de la philosophie morale, diagnostiques psychologiques…).
Les intervenant·e·s, au cours de cette journée d'étude pluridisciplinaire, interrogent les tenants et aboutissants de la place qui est accordée à la figure de la victime dans le cadre de plusieurs contentieux climatiques. Dans quelle mesure le registre victimaire permet-il de mobiliser plus aisément des soutiens parmi les profanes du droit ? Quelles sont les argumentaires juridiques que des témoignages de victimes sont susceptibles d'étayer ? Quels liens le registre victimaire entretient-il avec « l'intérêt à agir » que la justice exige des plaignants ? Comment certaines souffrances peuvent faire l'objet d'une qualification experte, telle l'éco-anxiété ? Dans quelle mesure, au final, les témoignages et expertises relatives aux victimes pourraient effectivement compter dans les décisions prises par des magistrats ?
Programme
Entre mobilisation collective et identification des plaignants
9h30 : Ouverture
Sandrine Maljean-Dubois, directrice de recherche, CNRS - DICE
People's climate case. 10 familles plaignantes devant la justice européenne
Clothilde Baudouin, Coordinatrice, Notre Affaire à Tous
#TémoinDuClimat. Une mobilisation numérique pour soutenir un contentieux climatique
Christophe Traïni, Professeur de science politique à Sciences Po Aix
10h50 : Pause-café
11h00 : De multiples procédures judiciaires, des victimes à géométrie variable
Christel Cournil, Professeur de droit public à Sciences Po Toulouse
11h30 : Discussion
Maître Christian Huglo, Huglo-Lepage Avocats
12h30 : Pause déjeuner
L'éco-anxiété, formalisations expertes et reconnaissance judiciaire ?
14h00 : L'éco-anxiété : les impacts psychologiques de la crise climatique
Karine Weiss, professeure en psychologie sociale et environnementale à l'Université de Nîmes
L'approche clinique en éco-psychopathologie. Enjeux diagnostiques et épistémologiques
Jean-Baptiste Desveaux, Psychologue clinicien, chargé de cours à l'Université d'Angers
16h20 : Pause-café
16h30 : L'éco-anxiété, un préjudice réparable par le juge ?
Laura Canali, Doctorante en droit au CERIC, Aix-Marseille Université
Discussion, propos conclusif
Nicolas Dodier, sociologue, directeur d'études à l'EHESS, CEMS
17h00 : Clôture
Pour assister à la journée, inscription gratuite mais obligatoire, avant le 16 mai : christophe.traini@sciencespo-aix.fr
Organisé par Science Po Aix, Université Aix-Marseille avec le soutien de la Région Sud dans le cadre du projet CLIMARM et de l'Agence nationale de la recherche dans le cadre du projet ANR-21-CE03-0011-01 PROCLIMEX