Présentation
En France, l'essor du droit de la non-discrimination s'est accompagné d'une multiplication des critères de discrimination. Ainsi, alors que le droit dérivé de l'Union européenne comprend sept critères visés par les directives relatives à la lutte contre les discriminations, le droit interne, qui couvre les mêmes champs, en comprend désormais plus de vingt-cinq. Ce phénomène soulève de nombreuses questions, jusqu'alors peu abordées, qui nécessitent aussi bien un regard rétrospectif sur les dynamiques à l'œuvre dans la multiplication des critères qu'un examen de leur opérationnalité tant en droit que dans le champ social.
Se pose par ailleurs la question des combinaisons multiples entre ces critères, notamment à travers la notion d'intersectionnalité. Ce sont ces enjeux que ce colloque pluridisciplinaire (droit, sociologie, science politique, etc.) et comparatiste (Europe, Etats-Unis) abordera. Il sera organisé autour de trois axes : 1 - Genèse et extension des listes de critères prohibés de discrimination ; 2 - La vie sociale et judiciaire des critères de discrimination ; 3 - La liste des critères prohibés, entre discriminations multiples et discriminations intersectionnelles.
Une traduction français-anglais est prévue lors du colloque
Programme
Jour 1 - Jeudi 18 janvier 2018
08h30 : Accueil des participants
09h00 : Introduction
Allocutions d'ouverture
Jacques Toubon, Défenseur des droits
Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice - A confirmer
Cadrage théorique :
Le droit de la non-discrimination
Robin Stryker, Professeure de Sociologie, Directrice de recherche du National Institute for Civil Discourse, University of Arizona
Le droit européen de la non-discrimination
Isabelle Rorive, Professeure de Droit, Université Libre de Bruxelles, Institut d'Etudes Européennes et Faculté de Droit
10h00 : Premier axe
Genèse et extension des listes de critères prohibés de discrimination
Le droit de la non-discrimination a émergé progressivement dans le système juridique français ; son articulation avec le droit de l'égalité est empreinte d'une certaine complexité. Participant tous deux d'un objectif commun de lutte contre les distinctions illégitimes, ils opèrent selon des modalités distinctes : alors que le droit de l'égalité se décline en principes (d'égalité, d'égalité de traitement, « à travail égal, salaire égal », etc.), les règles de non-discrimination s'appuient avant tout sur des listes de critères prohibés. On souhaitera opérer un retour sur l'histoire et les dynamiques qui affectent cette logique de « listes » définies par le législateur, en particulier français : dans quel ordre ces critères sont-ils apparus, et dans quels instruments juridiques (droit pénal, droit du travail, etc.) ? Pourquoi les listes de critères prohibés de discrimination sont-elles fermées ici, et ouvertes là ? S'agit-il d'un élément à mettre en relation avec les types d'ordres juridiques (common law, civil law) ? Cette forme d'écriture du droit de la non-discrimination est-elle toujours porteuse d'une dynamique d'extension, sous l'influence des évolutions politiques, sociales et économiques ? Le cas échéant, quels sont les critères en devenir ? Que penser de la variabilité des listes ? En effet, de manière emblématique, alors que le droit dérivé de l'Union européenne comprend neuf critères visés par les directives relatives à la lutte contre les discriminations, le droit interne français, qui couvre les mêmes champs, en comprend désormais une vingtaine. Y-a-t-il une hiérarchie ou des distinctions entre critères ? A travers ce questionnement, il s'agira de s'interroger sur la définition juridique actuelle de la discrimination et l'évolution de la protection des caractéristiques intrinsèques de l'individu à laquelle elle renvoie.
Intervenants :
Julie Suk, Professeure de Droit, Benjamin N. Cardozo School of Law, Yeshiva University
Morgan Sweeney, Maître de conférences en Droit, Université Paris-Dauphine
Tatiana Gründler, Maîtresse de conférences en Droit, Université Paris Ouest Nanterre-La-Défense
Daniel Goldberg, Député de Seine-Saint-Denis de 2007 à 2017
Modérateur : Daniel Sabbagh, Membre du conseil scientifique, Directeur de recherche en Science politique, Sciences Po Paris
Une pause-café est prévue au cours de cette session.
13h00 : Pause déjeuner
14h30 : Deuxième axe
La vie sociale et judiciaire des critères de discrimination
La liste des critères de discrimination prohibés est donc potentiellement fort longue, tout particulièrement dans le droit français. Toutefois, ces critères sont à la fois diversement connus, et plus ou moins mobilisés selon les cas, qu'il s'agisse de leur invocation simple (dans la vie sociale ou le débat public) ou de leur usage à des fins contentieuses. En outre, dans le contentieux lui-même, certains critères semblent mieux accueillis que d'autres, ce qui ne manque pas en retour d'influer, dans des proportions qui restent à déterminer, la manière dont des stratégies sont mises en place, notamment par les avocats ou d'autres intermédiaires du droit tels que les syndicalistes ou les membres d'associations. Ce deuxième axe du colloque s'intéressera donc à la façon dont les critères produits sous la forme de listes, circulent ou non dans l'espace social, peuvent être mobilisés à diverses fins y compris dans une perspective judiciaire, et sont amenés à prospérer (ou non) devant la justice, dans les décisions, voire dans les commentaires produits par les juristes ainsi que, le cas échéant, la manière dont leur mobilisation ou non-mobilisation juridictionnelle informe, en retour, de nouvelles interventions du législateur.
Intervenants :
Cyril Wolmark, Professeur de Droit et Directeur de l'Institut d'Etudes Judiciaires, Université Paris Ouest Nanterre-La-Défense
Vincent-Arnaud Chappe, Chargé de recherche CNRS en Sociologie, Mines ParisTech
Philippe Icard, Maître de conférences en Droit, Université de Bourgogne
Emmanuelle Boussard-Verrechia, Avocate, Droit du travail et de la non-discrimination
Modératrice : Liora Israël, Membre du conseil scientifique, Maîtresse de conférences en Sociologie, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
Une pause-café est prévue au cours de cette session.
17h30 : Fin de la journée
Jour 2 – Vendredi 19 janvier 2018
09h00 : Accueil des participants
09h30 : Troisième axe
La liste des critères prohibés, entre discriminations multiples et discriminations intersectionnelles
Si le droit, en particulier en France, est amené à étendre l'inventaire des critères pris en compte pour lutter contre les discriminations, on s'interrogera sur le lien entre cette la multiplication des critères juridiques de discrimination et la multiplicité des logiques de domination dont les sciences sociales font aujourd'hui un objet de recherche privilégié. En effet, non seulement celles-ci ne se contentent pas de réduire le « social » aux catégories socio-économiques, soit aux rapports de classe, mais elles s'emploient à prendre en compte une pluralité de ces rapports sociaux (de sexe, de race, mais aussi d'âge, etc.) qu'on peut dire naturalisés puisqu'ils sont inscrits dans les corps : en ce sens, la discrimination est aussi un concept proprement sociologique. Sans doute peut-on penser la multiplication des critères juridiques comme le reflet de la multiplicité des logiques discriminatoires. Toutefois, le concept d'intersectionnalité nous invite à penser, non pas tant des réalités distinctes que la « co-substantialité » de logiques diverses : il s'agit moins de dresser une liste que d'étudier des articulations. Que ce concept prenne naissance aux Etats-Unis, en particulier dans les travaux de la juriste Kimberlé Crenshaw, qu'il nourrisse aujourd'hui, en France comme ailleurs, les analyses des sciences sociales, et qu'il peine à recevoir des traductions juridiques concrètes, sauf à passer par des transformations significatives (exemple : émergence de la notion de « particulière vulnérabilité » dans certains contentieux), nous paraît de nature à inviter à la poursuite de la réflexion sur les rapports entre les approches juridiques et sociologiques des discriminations et leurs enjeux sous-jacents.
Intervenants :
Iyiola Solanke, Professeure de Droit, University of Leeds
Gwénaële Calvès, Professeure de Droit, Université de Cergy-Pontoise
Marie Mercat-Bruns, Maîtresse de conférences en Droit, Sciences Po Paris
Marc Loiselle, Conseiller - Affaires publiques, Protection des droits, affaires publiques, Défenseur des droits
Modérateur : Eric Fassin, Membre du conseil scientifique, Professeur de Sociologie, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis
Une pause-café est prévue au cours de cette session.
12h30 : Conclusion
Françoise Tulkens, Ancienne juge et Vice-présidente de la Cour Européenne des Droits de l'Homme
13h00 : Fin du colloque
Contact : colloque.discrimination@defenseurdesdroits.fr .
Le nombre de places étant limité, merci de vous inscrire avant le 8 janvier 2018.
Organisé par le Défenseur des droits et la Mission de recherche Droit et Justice