Présentation
Dans une époque qui voit l'information se multiplier tout en changeant de forme, il est nécessaire de s'interroger sur la question de la parole et surtout de sa genèse moderne à sa profusion, mais également à son impact. Le projet Anthropologie religieuse et politique de la parole vise à mettre en lumière l'importance de la problématique de la gestion de la parole dans les sociétés politiques modernes. Dans un paradoxe tout à fait fascinant, la parole politique oscille entre abondance et rareté : le pouvoir qu'elle détient lui provient de cette dernière et son utilisation doit donc être parcimonieuse et, surtout, contrôlée. C'est ainsi que des stratégies communicationnelles et des acteurs institutionnels naissent ou se développent afin de maitriser la production, la diffusion et la réception de la parole politique. Cependant, ils ne sont pas seuls détenteurs du Verbe politique et les crises successives qui secouent la première modernité encouragent une amplification des discours : l'opposition se multiplie en même temps que les pôles de production, l'imprimerie rend la diffusion plus aisée mais plus incontrôlable, et le pouvoir sacré de la parole souveraine est mis à mal par de nouvelles concurrences. Dans la gestion politique des crises, la parole est alors à la fois problème et solution.
Le champ de recherche couvre l'Europe occidentale de la première paix de Cappel jusqu'au traité de Westphalie. Un intérêt tout particulier sera consacré aux pensées transversales et interdisciplinaires capables d'apporter à la question de la parole des réponses à la fois historiques et à la fois issues d'autres sciences humaines permettant de confronter différentes approches. Nous nous pencherons ainsi sur des sujets ciblés, afin de pouvoir rentrer dans le vif de cette parole jurée, profuse et mystifiée : par exemple, les préambules légaux et la manière dont ils introduisent les conjurés, les serments qui entourent les paix de religion, le règlement des conflits ou au contraire les déclarations de guerre, la promesse royale ou princière (qu'elle soit directe ou indirecte), les sermons de guerre, la traitrise et l'abjuration, les savoir-faire administratifs liés à l'acte du don de parole, la matérialité de cette pratique, la force perlocutoire des mots jurés, l'iconographie du serment, ses évolutions et ses permanences, etc…
Les premières journées d'étude de ce projet seront organisées à l'université de Genève. Durant les différentes interventions, nous nous intéresserons à la parole promise et aux différentes formes que cet acte peut recouvrir (serment, charte, foi jurée, profession de foi, confession, menace, malédiction, etc.). S'interroger sur l'acte performatif qu'est le don de parole – comment jure-t-on et quelles sont les conséquences des mots prononcés ou signés ? −, c'est se questionner à la fois sur les modalités linguistiques, institutionnelles et rituelles qui sous-tendent cette pratique et, plus encore, repenser les liens de confiance et d'alliance, le capital symbolique mis en gage par les deux parties : qui jure, et pourquoi cette pratique revêt une telle importance dans la société d'Ancien Régime ?
Nous voulons interroger les éléments constitutifs de la parole jurée, en particulier son media (l'oral, l'écrit ou des formes hybrides) et son effectivité. Deux questions sont centrales : comment est construite la promesse ? Qu'est-ce qu'elle produit en termes d'impact sur le présent et le futur de la situation d'énonciation ? Il est alors nécessaire d'interroger la source de la valeur du serment, les gages donnés pour les parties, mais également les acteurs (producteurs et/ou détenteurs de la parole). Ces « jureurs » peuvent s'engager pour eux-mêmes, mais aussi pour une entité plus large, puisque jurer implique non seulement un gage personnel mais aussi communautaire, soit collectif et gouvernemental. De ce fait, peut-être faut-il envisager l'acte de jurer comme le symbole de la convergence de volontés plurielles. D'une parole jurée, on peut ainsi mettre en exergue les ressorts d'un dispositif politique et religieux largement utilisé et persistant, par une déconstruction minutieuse des contextes et des pratiques, afin d'observer sa pluralité en tant que discours et idées. Cela nous amènera à considérer l'économie de la parole dans son écriture, sa proclamation, sa conservation et ses changements.
Les trois journées d'étude seront complétées par des visites pour les conférenciers invités afin de faire découvrir le patrimoine culturel genevois aux chercheurs conviés. De plus, étant sensibles à la problématique de la diffusion des savoirs, nous produirons un contenu numérique de médiation scientifique autour de la thématique abordée durant les journées d'étude pour vulgariser les recherches de manière novatrice au plus grand nombre grâce à une collaboration avec un projet étudiant. Cette rencontre aboutira également à un deuxième cycle de conférences qui aura lieu les 15 et 16 septembre 2022 à l'université du Luxembourg et qui sera organisé par la Prof. Monique Weis.
Programme
Mercredi 16 Février 2022
13h00 : Accueil des participants
13h15 : Introduction
Paul-Alexis Mellet, Université De Genève/IHR
Jérémie Ferrer-Bartomeu, UNIGE
Panel 1
13h45 : Parole(S) donnée(s) – parole(s) rompue(s). Une relecture de la Révolte des Pays-Bas (1565-1581)
Monique Weis, Université du Luxembourg
14h15 : Les dictions contraintes : Philippe de Hesse, Jean Frédéric de Saxe face à Charles Quint en 1547
Denis Crouzet, Université Paris-Sorbonne
14h45 : Discussion
15h00 : Pause
Panel 2
15h30 : Paroles, promesses et signatures : consigner la parole jurée dans les registres de délibérations de Touraine au temps des guerres de religion
Rémi Demoen, Université de Tours/CESR
16h00 : Négocier, promettre et restaurer la confiance par la parole. Villeroy et l'engagement pour la paix pendant la Ligue (V.1588-V.1594)
Damien Fontvieille, Université Paris-Sorbonne
16h30 : Discussion
16h45 : Pause
Panel 3
17h15 : Le traicté d'association faicte par Monseigneur le Prince de Condé avec les princes... (1562) : Le serment au croisement de la religion, de la loi, et des enjeux féodaux
Ullrich Langer, Université du Wisconsin
17h45 : Appeler A prendre les armes pour défendre la paix : Parole et discours du Duc pendant les guerres de Rohan (1620-1629)
Fanny Giraudier, Université de Lyon/LARHRA
Appeler A prendre les armes pour défendre la paix : Parole et discours du Duc pendant les guerres de de Rohan (1620-1629)
18h15 : Discussion
18h30 : Fin de la 1ère journée
Jeudi 17 Février 2022
Panel 4
9h15 : Accueil des participants
9h30 : Parole, acte et pouvoir : discuter la formule et la prestation de serment au sein de la confédération (1526-1655)
Andreas Würgler, Université de Genève
10h00 : Pour le bien commun. Prestation de serment, unité de la cité et bon gouvernement dans la ville d'Ulm aux VIIème siècle
Fabrice Flückiger, Université de Berne
10h30 : Discussion
10h45 : Pause
Panel 5
11h15 : Paroles de prélats : les alliances franco-cardinalices durant les périodes troublées de sede vacante (1ère moitié du xviiè siècle)
Dorian Varenne, Université Paris-Sorbonne
11h45 : N'a-t-on qu'une parole ? promesses et serments politiques dans les relations internationales (XVI è-XVII è siècles)
Jean Sénié, Université de Tours/CESR
12h15 : Discussion
12h30 : Pause déjeuner
Panel 6
14h30 : Porter la parole promise : stratégies communicationnelles dans le discours politique catholique avant la conversion d'Henri IV
Sophie Yvert-Hamon, Université de Stockholm
15h00 : "Leur serment de conscience porte de ne dire jamais vérité". Dénoncer l'hypocrisie d'un adversaire commun pour souder les catholiques zélés durant la Ligue (1585-1594) et les guerres de Rohan (1621-1629)
Alexandre Goderniaux, Université de Liège
15h30 : Discussion
15h45 : Pause
Panel 7
16h15 : Guerre juste contre mépris de la parole de Dieu. Une analyse au prisme des écrits de Lambert Daneau
Marc Aberlé, Université de Genève
16h45 : La parole est à Satan : démonologie et politique dans la France des guerres de religion
Nicolas Balzamo, Université de Neuchâtel
17h15 : Discussion
17h30 : Fin de la seconde journée
Vendredi 18 Février 2022
Panel 8
9h15 : Accueil des participants
9h30 : Service du roi ou solidarité parlementaire ? Les serments des conseillers au parlement de Paris à la fin du règne de Louis XIV
David Feutry, Ecole Nationale des Chartes
10h00 : La parole donnée dans le Kanun albanais (BESA)
Kostanca Jorgji, Université de Limoges/OMIJ
10h30 : Discussion
10h45 : Pause
Panel 9
11h15 : Sfida et pronunziamento : la parole menaçante pendant les guerres d'Italie
Florence Alazard, Université de Tours/CESR
11h45 : Ce bon et brave chevallier avoit bien besoing d'un tel escrit et publiement de sa vertu et valeur : la parole jurée des mémorialistes militaires français du XVI è siècle
Guillaume Pinet, Université de Tours/CESR
12h15 : Discussion
12h30 : Pause déjeuner
Panel 10
14h30 : Ferdinand d'Aragon entre Hannibal et Catilina ? Simulation et dissimulation aux temps des guerres d'Italie
Florence Bistagne, Université d'Avignon/IUF
15h00 : I bellissimo inganno di sinegallia : l'admirable stratagème de César Borgia ou l'irruption du machiavélisme en politique
Arnaud Fontaine, Université de Rennes
15h30 : Discussion
15h45 : Pause
Panel 11
16h15 : L'extinction de la rebellion. Contributions à l'étude des marges dans l'iconographie des prises de paroles cérémonielles au XVI è siècle
Jérémie Ferrer-Bartomeu, Université de Genève
16h45 : La peinture de Ter Borch sur Le Serment de la Paix de Münster entre l'Espagne et les Provinces-Unies
Claire Gantet, Université de Fribourg
17h15 : Discussion
17h30 : Clôture
Contact : Prof. Paul-Alexis Mellet : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Organisées par l'Université de Genève sous la direction du Prof. Paul-Alexis Mellet, Unige-IHR et du Dr. Jérémie Ferrer-Bartomeu, Unige