Appel à communication

Le champ du droit de l’Union européenne

Atelier doctoral, Université Panthéon-Assas, février 2021

Date limite le mardi 01 déc. 2020

Le droit de l'Union s'est donné pour tâche de construire un espace complexe de vie sociale. Sa particularité tient à décloisonner des espaces politiques et normatifs en vue de les rendre communicables et interdépendants, sans pour autant les faire disparaître. En découle la formation d'un champ particulier consistant à mettre en relation des institutions, des règles, des pratiques, ainsi que des cultures distinctes. Au sein d'un tel champ se développe de nouvelles formes de subjectivité et de normativité que le droit de l'Union européenne organise et régule. Relativement peu étudiée de façon transversale[1], la formation d'un champ propre au droit de l'Union appelle une analyse tant de son étendue que de son contenu. Trois principaux angles d'analyse peuvent être retenus.

En premier lieu, le droit de l'Union crée son propre espace, ce que l'on peut désigner comme son « champ d'intervention ». A la différence du champ du droit national ou du droit international, ses contours sont profondément variables et imprécis, au point de paraître difficilement saisissables et d'affecter l'identité même du droit de l'Union. Face à cette incertitude, l'étude du champ du droit de l'Union interroge ses limites. Les différentes crises récentes ont montré la difficulté à y répondre et à cerner plus précisément le champ d'intervention de l'Union que ce soit afin de défendre ses valeurs, en vue d'organiser le retrait d'un de ses membres, ou encore de réagir à la crise sanitaire. Si la légitimité du droit de l'Union est contestée, c'est fréquemment en raison de l'extension jugée incontrôlée de son champ d'intervention. Le reproche d'agir ultra vires, hors de leur champ de compétence, concentre nombre de critiques adressées aux institutions européennes, au risque de menacer l'autorité que le droit de l'Union avait péniblement réussi à acquérir dans l'ordre interne ainsi que le montre l'exemple de la compétence monétaire[2]. Le principe de subsidiarité ne semble guère en mesure de contenir l'immixtion jugée parfois inexorable du droit de l'Union dans des champs toujours plus nombreux. La tendance, accentuée par les crises, à recourir à des méthodes de gouvernance faiblement contrôlables démocratiquement, au fur et à mesure de l'extension du champ européen alimente cette critique. Le recours à un champ d'intervention variable, à travers la différenciation, pourrait menacer à terme l'appartenance même à l'Union européenne comme le Brexit l'a montré.

En deuxième lieu, l'« européanisation » croissante de nombreux champs juridiques et sociaux entraîne des modifications structurelles importantes, à la fois dans l'exercice du pouvoir mais aussi dans la construction du savoir, ce que l'on pourrait appeler un « champ de transformation ». Sous l'angle institutionnel, l'inclusion dans le champ du droit de l'Union transforme le fonctionnement de l'appareil institutionnel national, que ce soit au travers l'apparition de nouvelles institutions ou réseaux d'autorité, ou que ce soit au sein même des organes traditionnels de production de la décision[3]. La pleine compréhension des ressorts et résistances au dédoublement fonctionnel des juridictions étatiques au sein du champ du droit de l'Union demeure encore à approfondir. De même, la compréhension du rôle des organes législatifs et gouvernementaux étatiques dans le champ européen offre des perspectives d'approfondissement, éventuellement à l'aune du droit comparé afin de mieux en saisir les tendances. Sous l'angle épistémologique, l'européanisation de pans entiers des disciplines juridiques nationales, allant du droit civil au droit administratif en passant par le droit international privé ou le droit constitutionnel, crée de profondes perturbations sur la manière de penser le droit[4]. Le « champ » normatif du droit de l'Union (ou « scope » of EU law) a des répercussions sur le « champ » académique du droit de l'Union (ou « field » of EU law). L'exigence de la cohérence de la connaissance s'en trouve fragilisée augmentant des risques d'insécurité que le recours au droit vise précisément à réduire. Face à des cultures et systèmes juridiques fort différents, la faisabilité même de cette transformation des champs du savoir juridique se pose, voire celle de la domination éventuelle d'un modèle[5]. Sur le fond, les tendances véhiculées par l'européanisation des différentes branches du droit sont variées, promouvant par exemple l'analyse économique ou encore l'analyse comportementale du droit.

Enfin, en troisième lieu, l'étude du champ du droit de l'Union conduit à s'interroger sur la signification d'y appartenir, son « champ de justification ». Qu'est-ce que signifie sur nos manières de faire et d'être que relever du champ du droit de l'Union européenne ? Le droit de l'Union modifie en profondeur non seulement le raisonnement qui permet de parvenir à la connaissance de ce qui est permis ou interdit de faire, mais influence également nos modes de vie et les principes qui les sous-tendent[6]. Le droit de l'Union crée de nouveaux équilibres et fait émerger de nouvelles figures ou de nouveaux statuts, qui amènent à se poser la question du modèle de vie en société que le droit de l'Union promeut. Tel est le cas par exemple du statut de citoyen de l'Union. L'importance affichée à l'égard des valeurs, incarnées notamment dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union, soulève le problème des moyens pour les faire respecter, y compris le cas échéant hors de son champ (ce qui revient sur la question des limites), et du contenu à leur donner. Quelles formes d'idée de justice[7] sont ainsi attachées à l'appartenance au champ du droit de l'Union, et l'individu européen peut-il s'y identifier ?

 

Plusieurs thèmes de communications sont envisageables, parmi lesquels :

  • Les limites du champ d'application du droit de l'Union (Déclinaisons : marché intérieur, concurrence, droits fondamentaux, politiques de l'Union, etc…)
  • Les notions autonomes en droit de l'Union (de façon transversale ou à travers certains exemples)
  • Le champ des compétences de l'Union (et qui en juge)
  • Le champ d'action de l'Union européenne et la crise sanitaire
  • Le « territoire » de l'Union
  • L'appartenance à l'Union européenne
  • Le Brexit et le champ du droit de l'Union
  • Champ du droit de l'Union et théorie du fédéralisme
  • Concepts structurels et du champ du droit de l'Union (ex. : primauté et champ du droit de l'Union, uniformité et champ du droit de l'Union, etc…)
  • Le juge national et le champ du droit de l'Union (le cas échéant en droit comparé)
  • Le législateur national et le champ du droit de l'Union (le cas échéant en droit comparé)
  • Champ du droit de l'Union et démocratie
  • Champ du droit de l'Union et subsidiarité
  • Le champ des valeurs de l'Union européenne
  • La fragmentation du champ du droit de l'Union européenne
  • La construction d'un champ scientifique spécifique à l'Union européenne
  • L'européisation des champs disciplinaires nationaux (Déclinable par discipline : l'européanisation du droit privé, du droit public, ou par branche, l'européanisation du droit des contrats, du droit de la consommation, du droit administratif, du droit constitutionnel, du droit pénal, etc…)
  • Champ du droit de l'Union et technique de raisonnement
  • L'exception en droit de l'Union
  • Le droit de l'Union hors de son champ

 

 

Calendrier :

Les propositions de contribution (environ 3000 mots) de la part de doctorants et jeunes docteurs doivent être envoyées avant le 1er décembre 2020 à : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Les contributions retenues feront l'objet d'une communication orale en février 2021, puis d'une publication à l'Annuaire de droit de l'Union européenne

 

[1] Voy. H. GAUDIN (dir.), Le champ d'application du droit communautaire, Dossier, Revue des affaires européennes 2003/2004, pp. 7-115 ; C. BARNARD & O. ODUDU (eds), The Outer Limits of European Law, Hart Publishing, 2009, 446 p.

[2] Bundesverfassungsgericht, 5 mai 2020, 2 BvR859/15.

[3] Par exemple, F. SNYDER (Ed.), The Europeanisation of Law. The Legal Effects of European Integration, Hart, 2000, 376 p. ; L. GUILLOUD-COLLIAT, H. OBERDORFF, F. TERPAN (dir.), L'européanisation du droit, LGDJ, 2016, 237 p.

[4] Par exemple J.-B. AUBY (dir.), L'influence du droit européen sur les catégories du droit public, Dalloz, 2010, 990 p.

[5] V. le débat doctrinal sur https://verfassungsblog.de/category/debates/german-legal-hegemony-debates/, 23 octobre 2020.

[6] L. AZOULAI, « Droit de l'Union européenne et passions sociales », Confluence des droits, 2020, n°2, http://confluencedesdroits-larevue.com/?p=107.

[7] Par exemple, D. KOCHENOV, G. DE BURCA, A. WILLIAMS (eds), Europe's Justice Deficit, Hart Publishing, 474 p.


Atelier organisé par le Centre de droit européen, Université Panthéon-Assas (Paris 2).