Appel à communication

Actualité du droit naturel. De la vitalité des doctrines aux impensés du droit positif

Colloque, Université Paris Est Créteil, 4-5 février 2021

Date limite le mercredi 20 mai 2020

Réévaluer le droit naturel dans la pensée juridique française contemporaine

A la différence de leurs homologues étrangers, rares sont les juristes français qui cultivent actuellement une référence au droit naturel dans leurs écrits. En France, les doctrines du droit naturel semblent être devenues un objet d'étude exclusivement passé dans le champ de l'histoire des idées politiques. On attribue souvent ce repli au triomphe du normativisme kelsénien qui incarnerait l'aboutissement de la neutralité axiologique, en proposant une science émancipée de tout ancrage métaphysique et théologique. La séparation de l'être et du devoir être – l'autonomisation du droit par rapport à la morale – est souvent présentée comme un processus inéluctable du progrès de la connaissance du droit.

Faut-il en déduire que le « droit naturel » soit véritablement moribond ? Doit-on le reléguer à l'histoire des idées ? Ce serait peut-être aller trop vite. D'ailleurs, qu'est-ce, au juste, que ce « jusnaturalisme », par-delà les lieux communs entretenus par ses détracteurs ? Les expressions « droit naturel » et « jusnaturalisme » sont-elles même synonymes ? A y regarder de plus près, on doit constater la formidable diversité, tant sur le fond que dans la méthode, des courants et des approches qui se cachent derrière cette appellation – à commencer par la distinction entre droit naturel « classique » et « moderne ». Peut-on véritablement considérer qu'une telle diversité, le plus souvent mal identifiée, a disparu – ou a-t-elle simplement pris de nouveaux visages en abandonnant une étiquette stigmatisante ?

C'est ce que les travaux de cette journée d'étude chercheront à établir.

 

I. Eclipse partielle du droit naturel en France, vitalité à l'étranger

Force est donc de constater que peu de juristes s'identifieraient aujourd'hui en France au « jusnaturalisme ». Quelques-uns de nos grands auteurs (M. Villey ou G. Kalinowski) ont développé naguère une pensée fondée sur le droit naturel, mais dans une certaine marginalité ; non moins pertinents, leurs héritiers contemporains (A. Sériaux, F. Chénédé, M. Bastit, dans une certaine mesure A. Supiot) éprouvent un isolement doctrinal tout aussi sévère qu'injustifié. Ce faible intérêt pour le droit naturel n'est pas nouveau en France, et ne date pas de l'avènement du normativisme. Il est probablement lié à la spécificité de la culture juridique française, qui, longuement imprégnée, dans un premier temps, de méthode historique, puis, de légicentrisme, s'est presque exclusivement tournée vers l'étude des sources formelles du droit. A l'inverse, nombreux sont les juristes et théoriciens qui représentent actuellement des doctrines du droit naturel à l'étranger. Leurs sources d'inspiration sont diverses. Aucune ne soutient la thèse, que leur attribue H. Kelsen, selon laquelle le contenu des règles du droit positif n'est que la « reproduction » de règles d'un ordre normatif moral dont la validité préexiste à celle du droit (General Theory of Law and State, HUP 1945, p. 416). Certaines théories appréhendent le droit sous l'angle des fins, que ce soit dans le cadre d'une approche néo-thomiste (J. Finnis, J. Hervada), ou d'une conception « aspirationnelle » du droit qui résiste à la réduction de l'institution à son caractère instrumental (L. Fuller, N. Simmonds). D'autres (G. Radbruch) ont cherché à clarifier la distinction entre la règle positive simplement immorale, et la loi dont l'iniquité est telle qu'elle en perd son caractère juridique (sans pour autant affirmer que le droit positif reproduise des prescriptions morales). La grande question, enfin, a été pour certains théoriciens de penser, chacun pour des raisons très différentes, la possibilité de l'émergence du droit par-delà ses seules sources formelles et donc de résister à la réduction du droit au problème formel de la validité (R. Dworkin, R. Alexy, G. Pavlakos).

Les théories de ces auteurs ne se recoupent pas, mais s'inscrivent le plus souvent dans des traditions distinctes, qu'elles soient progressistes ou conservatrices, et répondent à des adversaires différents – parfois même d'autres anti-positivistes. L'appellation « droit naturel » désigne ainsi des mouvements aussi divers qu'actuels, dont aucun ne correspond à l'épouvantail habituellement dépeint.

 

II. L'appel à contribution

Le thème du droit naturel ayant été fort délaissé durant les dernières décennies, le colloque ne portera donc sur aucun courant particulier de cette tradition de la pensée juridique. Les organisateurs proposent donc seulement ici la piste de réflexion suivante :

(i) Les intervenants pourront examiner des tendances tant (positivement) jusnaturaliste que (plus négativement) anti-positiviste. Des nombreuses mouvances et approches étudiées dans la préparation de cet appel à contribution, une même idée centrale se dégage : le droit (ou l'ordre juridique) est un phénomène complexe que l'on ne saurait réduire à un simple agrégat de règles (ou de normes), dont des aspects essentiels sont ignorés si l'on ne se concentre que sur la seule question de la validité des règles et de leur application.

(ii) La seule limite que les organisateurs souhaitent imposer aux intervenants est la suivante : les communications devront éviter une analyse descriptive ou menée exclusivement du point de vue de l'histoire des idées politiques. Bien entendu, cela peut constituer le point de départ d'une intervention ; mais les organisateurs appellent à développer une analyse actuelle du droit à travers des outils conceptuels inhabituels. Dans ce but, nous avons fait le choix de limiter la durée des interventions à 15 minutes, afin de privilégier la présentation succincte et dynamique d'une idée, et de donner plus de place à sa discussion.

(iii) Lorsque cela s'avère possible, les participants cherchent à expliciter ce qu'ils entendent par droit naturel, l'outil analytique qu'ils proposent ainsi que le profit qu'ils tirent de cette démarche.

 

N.B. : l'invitation ne s'adresse pas aux seuls partisans d'une analyse jusnaturaliste du droit, mais à tous juristes et spécialistes de disciplines avoisinantes, quelle que soit leur obédience théorique. Il n'est nullement nécessaire que l'on s'identifie dans ses travaux à un courant du droit naturel – ce qui n'est pas nécessairement le cas des organisateurs de ce colloque.

 

Notre pari est le suivant :

(iv) Il semble tout à fait possible de se faire jusnaturaliste pour un jour en acceptant de faire vivre une tradition qui a longtemps réuni – sans pour autant mettre d'accord (mais est-ce le cas du positivisme ?) – certains grands esprits de la pensée juridique.

(v) Il semble également possible de développer des outils critiques que l'on estime intéressants ou utiles pour ses propres analyses du droit, outils que l'on trouve chez certains auteurs jusnaturalistes, sans pour autant adhérer à l'intégralité de leur système de pensée.

 

Les propositions de contribution doivent être envoyées sous la forme d'un titre provisoire, accompagné d'un résumé (volume compris entre 4000 et 6000 signes) ainsi que d'une biobibliographie.

Les propositions doivent être envoyées aux deux adresses suivantes : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. et Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

La date limite de soumission des propositions de contribution est fixée au 20 mai 2020.

 

Organisateurs : Gregory BLIGH & Nicolas SILD


Colloque organisé par Gregory Bligh & Nicolas Sild, Université Paris Est Créteil.