Appel à communication

La géoingénierie : nouveau paradigme environnemental, nouveau paradigme juridique ?

Colloque INGILAW, IODE, Rennes, 11-12 Octobre 2018

Date limite le mercredi 30 mai 2018

Argumentaire

Corriger l'acidité des océans, extraire le CO2 atmosphérique, gérer le rayonnement solaire, restaurer des zones humides ou concevoir des modes de production agricole s'appuyant sur les fonctionnalités de l'écosystème pour corriger les effets anthropiques sur l'environnement, ces différentes techniques peuvent être regroupées sous le vocable de « géoingénierie ». Egalement appelée ingénierie environnementale, elle vise les modifications intentionnelles de l'environnement par des techniques et/ou par des pratiques, mises en œuvre ou projetées, pour corriger les impacts environnementaux nés de la pression anthropique. Il s'agit donc de « manipuler » l'environnement pour contrecarrer les effets sur la nature des activités humaines. Les deux cibles principales sont le climat et les écosystèmes.

Cette voie nouvelle, souvent controversée, véhicule bien des enjeux quant aux valeurs et aux représentations. L'ingénierie permet-elle de s'affranchir des efforts nécessaires de protection de l'environnement ? Au-delà de la controverse scientifique sur ce point, la géoingénierie présente des enjeux sociétaux majeurs, elle questionne le rapport Homme/nature et structure durablement l'approche de la société face au risque. La dimension économique de la géoingénierie mérite également réflexion. A la croisée des sciences, de la technique et de l'éthique, le rôle du droit face à ces enjeux mérite d'être réfléchi. La doctrine juridique est abondante sur des objets et concepts voisins ou corolaires, comme la prévention, l'adaptation, la restauration, la réparation, la compensation des effets néfastes sur le climat et l'écologie. Néanmoins, les règles juridiques n'appréhendent qu'indirectement ce nouveau phénomène, lequel est caractérisé par une approche corrective et non préventive (en amont) ou adaptative (en aval) des atteintes à l'environnement. Les études sont rares sur les enjeux de l'ingénierie environnementale pour et sur le droit, et absentes en droit francophone.

Quels sont les fondements juridiques existants qui permettent, interdisent, prévoient ou encadrent le développement de ces techniques ? En dépit de l'incertitude qui règne autour de ces techniques, principalement à l'état de scénario ou de projections technologiques à ce jour, quelques dispositions juridiques recensées dans les textes internationaux et nationaux ouvrent la voie vers ce nouveau paradigme, comme la notion de « neutralité carbone » ou de « captage et stockage des émissions de CO2 » ou encore la multiplication des pratiques de « restauration des zones humides ». La Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (convention ENMOD) [1] est susceptible de couvrir la géoingénierie dans l'hypothèse d'une telle finalité. Les membres de l'Organisation Maritime Internationale ont voté en 2008 une interdiction de la fertilisation des océans dans les eaux internationales à l'exception de « recherches scientifiques légitimes et de petite échelle ». La Convention sur la Diversité biologique, adoptée en 1992, est complétée en 2010 par un texte interdisant le déploiement de techniques de géoingénierie climatique sans pour autant s'appliquer de manière contraignante. Plus récemment, l'Accord de Paris sur le climat adopté en 2015 [2] et la Loi française sur la protection de la biodiversité de 2016, attestent à demi- mot du développement de cette logique de géoingénierie dans les politiques et les jeux d'acteurs à plusieurs échelles.

Au-delà du droit positif, le colloque a pour ambition d'explorer les nouveaux enjeux et orientations du droit de l'environnement à l'aune de la géoingénierie, enrichi par une approche interdisciplinaire centrée sur les sciences humaines et sociales. A l'heure d'un nouveau paradigme environnemental, l'anthropocène [3], s'intéresser à l'ingénierie environnementale invite tout d'abord à questionner la finalité du droit de l'environnement. L'objet du droit vise-t-il la planète, l'humanité ou les deux et selon quelle articulation ? Quelles sont les approches privilégiées et pour répondre à quels objectifs ? Cela suppose de s'interroger sur la fonction de la géoingénierie et à l'articulation possible avec l'objectif de conservation ou un objectif de qualité du droit de l'environnement. La discipline juridique reste-t-elle essentiellement préventive, favorise-t- elle une logique de sanctuarisation à l'interface de l'artificialisation et de la gestion des ressources environnementales ? Quelle place occupera la logique actuelle privilégiant la séquence : éviter, réduire, compenser ? Au regard de la géoingénierie, le rôle du droit est-il de définir des limites à ces pratiques et/ou d'encadrer et d'accompagner le développement de ces techniques ? Quels sont les cadres dans lesquels les règles sont ou pourront être adoptées ? Quels mécanismes de responsabilité pourront être mobilisés aux différentes échelles ? Nécessiteront-ils des aménagements ? La notion de justice environnementale est ici certainement incontournable, conjuguée à la fois au présent et pour les générations futures. Considérer la géoingénierie conduit également à s'interroger sur les conséquences juridiques de cette nouvelle relation à l'environnement dans le choix des outils appropriés, mais aussi plus largement dans la recherche de cohérence de la réponse à donner, par exemple au vu du principe de développement durable et du principe d'intégration environnementale. Dans certains domaines, elle s'annonce comme un retour à la nature (agriculture), dans d'autres, comme un enjeu planétaire (changement climatique) ou encore comme une réponse locale à décliner au présent (restauration des zones humides). Les fondements temporels du droit sont également questionnés : un droit d'intervention anticipée ou un droit de résilience, un droit capable de s'adapter tout en offrant une certaine prévisibilité juridique ? Au regard du principe de sécurité juridique, comment penser et construire le droit dans une dynamique évolutive pour accompagner ces évolutions techniques ? Les fondements spatiaux semblent, quant à eux, marqués par une globalisation possible des impacts des atteintes à l'environnement et des mesures correctives, notamment dans le domaine des changements climatiques. Comment les articulations d'échelles, du local au global, structurent-elles les perspectives de gouvernance de l'ingénierie écologique et climatique ? Sur le plan des outils, comment articuler techniques et savoirs ? Face à ces manipulations éventuelles de la nature, comment articuler savoirs professionnels, savoirs autochtones, savoirs locaux et empiriques et savoirs professionnels ou scientifiques ? Comment la géoingénierie peut-elle être conciliée avec les éthiques environnementales des peuples autochtones et des communautés locales ? Aux échelles mondiale et locale, quelle est l'influence des cultures, notamment des cultures juridiques, sur la réception de ces « innovations » technologiques ?

Les communications pourront explorer les pistes évoquées dans ce résumé ou se saisir de questions nouvelles.

Cet appel est ouvert aux universitaires de différentes disciplines et horizons (droit français, droit comparé, droit européen, droit international, droit privé et public), mais également aux autres sciences humaines et sociales, ainsi qu'aux praticiens (juristes d'entreprise, bureaux d'étude et ONG notamment).

 

Modalités de réponse

Les propositions de contribution (1 page maximum), accompagnées d'un court CV, doivent parvenir sous format électronique (format Word ou PDF) en français ou en anglais.

Elles seront adressées, au plus tard le 30 mai 2018, à l'adresse suivante : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Les propositions seront ensuite transmises au comité scientifique pour une double évaluation. Les résultats de la sélection seront communiqués le 30 juin 2018.

 

Modalités de participation

Le colloque se tiendra en français et en anglais, sans traduction simultanée.

Les frais d'hébergement et de déplacement seront pris en charge pour les contributeurs-contributrices au colloque.

Les auteurs transmettront leur contribution écrite pour la publication des actes au plus tard le 1er février 2019.

 

Dates et lieu du colloque

11-12 Octobre 2018

Faculté de droit et de science politique, Université de Rennes I 9 rue Jean Macé, 35000 Rennes

 

Responsabilité scientifique

 

Comité scientifique

  • Alexandra ARAGAO, Professeure de droit, Université de Coimbra, Portugal
  • Marie-Pierre CAMPROUX-DUFFRENE, Maître de conférences, UMR SAGE CNRS, Université de Strasbourg.
  • Amy DAHAN, Directrice de recherche au CNRS, Centre Alexandre-Koyré, UMR 8560, EHESS/CNRS.
  • Emilie GAILLARD, Maître de conférences en droit, Université de Caen, chercheuse associée à l'IODE.
  • Sophie GAMBARDELLA, Chargée de recherche au CNRS, UMR SAGE CNRS, Université de Strasbourg.
  • Nathalie HERVE-FOURNEREAU, Directrice de recherche au CNRS, IODE UMR 6262, Université de Rennes 1.
  • Alexandra LANGLAIS, Chargée de recherche au CNRS, IODE UMR 6262, Université de Rennes 1.
  • Marion LEMOINE-SCHONNE, Chargée de recherche au CNRS, IODE UMR 6262, Université de Rennes 1.
  • Sandrine MALJEAN-DUBOIS, Directrice de recherche au CNRS, CERIC, Directrice de l'UMR DICE 7318 CNRS Aix-Marseille Université.
  • Elisa MORGERA, Professor Global Environmental Law, co-directrice du Strathclyde Centre for Environmental Law and Governance, Royaume-Uni.
  • Alain PAPAUX, Professeur de philosophie du droit en Faculté de droit et Professeur de philosophie du droit de l'environnement en Faculté des géosciences et de l'environnement, Université de Lausanne, Suisse.
  • Solange TELES DA SILVA, Professeure de droit, Universidade Presbiteriana Mackenzie, Sao Paolo, Brésil.
  • Sophie THERIAULT, Professeure agrégée, Faculté de droit, Section droit civil, Université d'Ottawa, Canada.


[1] Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environne- ment à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles, signée le 18 mai 1977 et entrée en vigueur le 5 octobre 1978.

[2] L'art. 4 de l'Accord prévoit « un plafonnement mondial des émissions dans les meilleurs délais », ouvrant implicitement la voie à la géoingénierie.

[3] Terme de chronologie géologique proposé pour caractériser l'époque de l'histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l'écosystème terrestre.